Dostoïevski et la Bible
de Simonetta Salvestroni

critiqué par Saule, le 24 octobre 2005
(Bruxelles - 59 ans)


La note:  étoiles
Le royaume ici et maintenant
Dostoïevski est un auteur qui parle directement à mon « âme », cela le met pour moi très loin devant tout les autres écrivains. Je veux dire par là qu’en lisant Dostoïevski je fais parfois l’expérience de sentir une force d’attention agrandie, comme si une dimension supplémentaire se mobilisait, augmentait mes facultés et ma capacité d’écoute. Cela met cet écrivain très loin devant les autres.

Cet essai de Simonetta Salvestroni, qui analyse l’œuvre de Dostoïevski d’un point de vue biblique et spirituel, m’a dès lors passionné et fortement enrichi. Il devrait combler tout les lecteurs chrétiens de Dostoïevski au risque de les inciter à relire l’œuvre complète de Dostoïevski ainsi que les quatre évangiles et l’Apocalypse !

Utilisant le large réseau de citations bibliques qui parcourt l’œuvre du génial écrivain russe, Salvostreni commente les quatre principaux romans de l’auteur. Elle montre l’influence des pères de l’église d’Orient sur les grandes idées qui sous-tendent l’œuvre de Dostoïevski. Les citations de celui-ci proviennent principalement des évangiles et surtout de celui de Jean (que l’auteur connaissait par cœur). C’est passionnant. Et puis ce qui est formidable c’est que d’une part une connaissance des textes bibliques fournit une clé de compréhension de l’œuvre de Dostoïevski mais dans l’autre sens la lecture de ses romans est pour le lecteur chrétien une formidable chance de revisiter et de méditer la Bible. Il y aurait beaucoup à dire, il faudrait parler de l’humilité et de la compassion, de la souffrance rédemptrice, du problème du mal et de sa réponse mais je ne peux pas m’étendre alors je me limite à deux points qui m’ont particulièrement touché : la notion de royaume intérieur et celle de purification par la souffrance.

« Le royaume des cieux est en-nous » est-il écrit dans l’évangile, c'est-à-dire ce n’est pas (uniquement) quelque chose réservé à la vie après la mort mais c’est un état qui se rencontre pendant la vie terrestre. On l’acquiert souvent par une longue ascèse et une longue phase de « descente de l’esprit dans le cœur » ou alors, comme pour certains personnages de Dostoïevski, suite à une expérience d’une grande souffrance ou la proximité de la mort physique, ce qui les laisse nus et ouverts à autre choses et leur permet d’entrevoir le paradis dans la vie présente.

Quant à la notion de purification par la souffrance, un concept difficilement appréhendable même par les chrétiens, il faut écouter Sonia, la jeune prostituée de « Crime et châtiment » qui possède une foi éclatante et qui est pour moi le personnage le plus lumineux de la littérature (il y a dans ce personnage une force « qui nous pousse à nous mettre à genoux » comme dirait Etty Hilesum). Ces paroles que Dostoïevski met dans la bouche de Sonia sont tirées des notes sur « Crime et Châtiment » et citées par Salvestroni (p. 40): « Dans une situation confortable, dans la richesse, probablement n’auriez-vous rien vu des malheurs humains. Dieu envoie à celui qu’Il aime et en qui Il espère, mille malheurs pour qu’il en ait une expérience personnelle et développe une plus grande connaissance, car on voit mieux la douleur humaine quand on souffre que quand on est heureux ». Avec ça tout est dit, on est en fait très proche de la petite Thérèse, une autre amitié particulière pour moi…