Kuru
de Thomas Gunzig

critiqué par Bidoulet, le 2 novembre 2005
( - 56 ans)


La note:  étoiles
Les six compagnons à Berlin
Dans l’univers social de Fred, il y a son père : « un infec trou-du-cul dont le patrimoine génétique lui semblait plus éloigné du sien que celui d’un opposum » mais un «riche entrepreneur des années quatre-vingt ». Seulement c’est bien cet infâme paternel qui entretient Fred dont les seules activités consistent à lire des essais de philosophie ou de théorie politique. Dans la tête de Fred, il y a surtout des mouches qui volent et vrombissent dès que surgit une contrariété ou un stress dû par exemple aux remarques continuelles de son père sur son oisiveté insouciante.

Le ton est donné. Dans la vie de Fred, il y a aussi Kristine sa vieille copine intello, avec laquelle il a eu une furtive aventure dix ans auparavant, et dont le visage lui évoque désormais celui d’un jeune bouc. En réalité, c’est à Katherine, une petite bourgeoise futile adepte d’astrologie et qui se révèle être investie de certains pouvoirs magiques, que Fred rêve de faire l’amour. Sauf que Katherine c’est Fabio qu’elle a choisi d’épouser. Fabio est un bel italien bien stéréotypé mais dont le défaut principal est d’être sexuellement défaillant.
Dans le cercle des amis de Fred, il y a aussi le souffreteux Pierre, époux de Kristine, qui est le fruit d’un programme de clonage humain ambitionné par une communauté d’allumés dont ont fait partie ses parents (toute ressemblance avec une secte existante n’est pas fortuite). Il a une deuxième bouche au milieu du ventre (Ah ! les manipulations génétiques !). Son autre tare physique est d’être atteint d’une multitude d’allergies qui se déclenchent à chaque péripétie du livre.
Enfin, il y a Paul, sorte d’idéaliste radical de gauche, avec qui Fred est brouillé depuis quelques années. Lui aussi souffre d’un mal : une blennorragie obsédante.
Pierre dit travailler pour une sorte de réseau d’altermondialistes qui prépare une opération visant à dénoncer les violences policières d’un prochain sommet du G8 à Berlin.
Fred, bien que peu concerné par le combat politique dans lequel se sont engagés Pierre et Kristine, accepte de les accompagner tout en ne cessant de se demander ce qu’il est venu faire dans cette galère. Paul est aussi de la partie.

A Berlin, les quatre amis – «Fred le migraineux, Kristine l’intello, Paul la brute révolutionnaire et Pierre le clone souffreteux » - sont accueillis par un étrange couple qui s’évertue à combattre un complot mondial ultra-libéral auquel il croit dur comme fer.

C’est aussi à Berlin que Katherine entraîne Fabio soigner ses éjaculations précoces chez un soi-disant spécialiste allemand aux méthodes si peu orthodoxes que le résultat bouleversera fatalement la vie du couple.

Tout ce petit monde se retrouve fortuitement dans une suite de scènes cocasses que Thomas Gunzig met à profit pour peindre les portraits de ces grotesques décérébrés, tous plus frustrés et plus perturbés les uns que les autres.
Les apprentis héros ne sont finalement pas si loin de nos sympathiques Bronzés du Splendid qui seraient projetés, non pas au Club Med où on les attendrait plutôt, mais dans un contexte de violence politique très décalé par rapport à leur univers d’origine.

Le style alerte et percutant du surdoué des Lettres belges s’accommode avec beaucoup de talent aux événements auxquelles il confronte sa bande d’originaux.
Même dans la dramatique scène finale de la manifestation, Thomas Gunzig ne manque pas de diriger ses personnages avec drôlerie. Et cette fois, l’adage ne se vérifie pas : le ridicule tue.
Tous malades ? 6 étoiles

Un regard narquois posé sur des combats d’aujourd’hui. Ce n’est pas de la grande littérature qui façonne l’Histoire mais un récit plaisant où l’on trouve du suspens (non, pas haletant : ce n’est pas le but), du mystère et un ton particulier qui se la joue « décalé ».
Mais que nous dit finalement l’auteur ? Je ne sais pas trop. J’avoue être un rien perturbé par les gens qui nous parlent politique en rigolant. Par exemple ici, Gunzig tourne beaucoup autour de l’idée du «Grand complot capitaliste » destiné à décérébrer les pauvres couillons de simples travailleurs. Et il le fait par le biais de personnages excessifs et frappés, ce qui ridiculise forcément le propos. Doit-on en conclure que l’auteur cherche à ridiculiser le combat altermondialiste ? Ou bien doit-on ne rien conclure du tout et savourer cette déconnade amusante, facile, agréable à lire ?
A propos du titre, l’auteur nous le signale : le « kuru » serait une maladie du système nerveux dont le traitement est inconnu. Il aurait presque disparu « car la consommation rituelle de cerveaux humains a quasiment cessé d’être pratiqué ». Après tout, le « message » est peut-être là : le kuru n’a pas disparu, au contraire, et nous en serions tous atteints…
Quelques pages sont de purs délices. Je pense à celles où Gunzig établit une relation de cause à effet entre la pratique intensive de la baise (dans les années 70) et les opinions philosophiques.
A signaler que l’éventuel correcteur a laissé traîné pas mal de fautes et d’approximations, que la ponctuation se conforme parfois aux lois du hasard et que les quelques phrases en allemand, mises là pour faire couleur locale, sont du « petit nègre » pur jus.
A retenir un roman sans prétention très branché sur son époque et qui rappelle que « les poussées épidémiques de sorcellerie sont l’indice de mutations sociales, de périodes d’articulations historiques… ».
Disons « mysticismes en tous genres » à la place de « sorcellerie » et on a un constat lucide.

Bolcho - Bruxelles - 76 ans - 27 août 2006