Entre toutes les femmes
de John McGahern

critiqué par Eireann 32, le 2 novembre 2005
(Lorient - 77 ans)


La note:  étoiles
La fin d’un homme et de son époque.
Le meilleur roman de Mc Gahern, (à mon humble avis) ; il raconte les dernières années de la vie de Moran, militant de la guerre d’indépendance. Cet homme est revenu de tout et ayant conscience qu’on lui a volé sa victoire et il en ressent une certaine amertume.
Dans sa ferme de «Grande Prairie» Moran, veuf depuis plusieurs années, vieillit inexorablement, entouré de ses filles, il règne sans partage sur son domaine. Il s’est fâché avec son compagnon de lutte, le seul ami qui lui restait. Il se remarie. La présence de Rose amène une certaine sérénité dans la ferme, les filles sont plus joyeuses, la vie plus agréable, et le temps passe, les enfants partent et reviennent, mais l’incompréhension règne. Moran est rattrapé et dépassé par le monde moderne, ses sacrifices envers son pays furent loin de correspondre à sa vison idéaliste.
Des personnages remarquablement étudiés. Moran, individualiste hautain, dur envers lui-même et les autres, ses positions sont très tranchées. Il représente les rebelles qui ont gagné la guerre, et qui ont été évincés de la paix et du pouvoir :
- C’étaient les médecins et les prêtres, et non les vrais rebelles combattants, qui jouaient maintenant le rôle le plus important dans le pays. Les prêtres, eux au moins, devaient payer pour ce rôle par le célibat et la prière.
Rose joue un très grand rôle dans ce livre, comme souvent les secondes épouses dans l’œuvre de Mac Gahern, peu à peu avec l’aide de ses belles-filles, elle humanisera le vieil homme, lui apportant douceur et bonté.
Lucke, fils aîné, copie conforme de son père, a quitté le foyer définitivement, il sert d’exutoire et de prétexte à la violence du père. Son cadet Michael aussi partira en Angleterre.
Les filles, sortes de fantômes, craignant ce père tyrannique, partiront pour trouver une vie normale, elle le chériront,
malgré tout.
Ce sont ces femmes qui garderont la mémoire de Moran et seront l’avenir de l'Irlande
Une écriture brillante et simple, l’éternel rythme des saisons, des foins et de la vie de la ferme. Une histoire ordinaire, belle, mais la mort l’emporte toujours.
- Un drapeau tricolore aux couleurs passées recouvrit le cercueil…
- Un petit homme coiffé d’un chapeau de feutre brun, assez vieux et assez raide pour avoir combattu aux côtés de Finn et d’Ossian émergea de la foule. Avec un profond respect, il ôta son chapeau
avant de plier le vieux drapeau usé.
Chronique d'une famille irlandaise 9 étoiles

John McGahern dépeint dans ce livre la vie d’une famille irlandaise dont le père, Moran, a combattu dans l’armée d’indépendance et exerce un pouvoir teinté de violence sur sa famille et en particulier sur ses trois filles, presque réduites à l’état d’esclaves. Le fils aîné Luke, a quitté la famille pour ne plus jamais y revenir et gagne bien sa vie à Londres. Michael, le plus jeune, fuguera deux fois, craignant le fusil de son père et partira comme son frère mais reviendra souvent à la maison familiale. Leurs études terminées, les trois filles quitteront le cocon familial pour travailler, l’une à Londres comme infirmière et les deux autres à Dublin comme fonctionnaires. Mariage, naissances et mort parsèment ce récit au charme vieillot, pittoresque et d’une âpre beauté. La vie à la campagne dans l’Irlande de l’époque est présentée au lecteur dans toute la dureté des nombreux travaux de la ferme mais aussi dans tout son indéniable attrait. D’ailleurs, les trois filles resteront très attachées au père qu’elles visitent régulièrement, trop peut-être ?

Plusieurs scènes du livre sont remarquables, en particulier celle où toute la famille travaille au foin et celle de l’enterrement de Moran. J’ai découvert que dans les familles irlandaises, quand quelqu’un meurt, on le revêt d’une bure brune et on arrête toutes les horloges de la maison. Les travaux de la ferme y sont également décrits en détail d’une façon très intéressante et instructive. Et toutes les marques de civilité et de politesse campagnardes sont absolument savoureuses. Les cancans et la peur du qu’en-dira-t-on dominent la population du petit village de la famille Moran où le bureau de poste sert de lieu de rendez-vous et de centre d’information.

Chacun des personnages possède son caractère bien particulier : Moran, le père dominateur et parfois violent, Rose, sa seconde épouse, douce et conciliante, toujours prête à excuser et à pardonner, Luke l’indépendant qui est parti car il détestait son père et sa violence, Maggie dont les ambitions de devenir médecin ont vite été éteintes par le refus de son père de lui payer ses études, Sheila la plus sociable et Mona la plus jolie qui restera célibataire. Les trois filles forment un bloc compact et indestructible et vouent à leur père un culte et lui restent fidèles même au-delà de la mort.

Un très beau livre de John McGahern.

Dirlandaise - Québec - 69 ans - 15 juillet 2006