Le chagrin des Belges
de Hugo Claus

critiqué par Mieke Maaike, le 4 décembre 2005
(Bruxelles - 51 ans)


La note:  étoiles
Petit pays, petits esprits
1939-1947 : huit années de la vie du jeune Louis Seyneave dans une petite ville flamande, ou le passage à l'adolescence d'un enfant intelligent, précoce et dévoreur de livres.

Après sa dernière année de pensionnat chez les religieuses, Louis entre chez les jésuites au moment où éclate la guerre. Frustré de vivre dans le mensonge et le non-dit, il va commencer lui-même à mentir pour défendre ses propres intérêts. Obligé de quitter une fraternité fondée sur une petite société secrète et gentiment blasphématoire, il va être attiré par la rigueur et la discipline des mouvements de jeunesses hitlériennes.

A travers le regard d'une grande lucidité de cet adolescent, le lecteur découvre une famille haute en couleurs: son père, Staf, écrasé par son propre père-patriarche, militant acharné de la cause flamande et tenté par la collaboration; sa mère, Constance, retrouvant une joie de vivre en s'investissant dans son nouveau travail d'assistante dans l'administration de l'occupant; ses nombreux oncles et tantes, aux caractères bien trempés et très finement décrits à travers une multitude de petits dialogues du quotidien.

C'est aussi l'histoire d'une population culturellement opprimée dans un petit pays, attirée par la grandeur du pangermanisme que lui propose Hitler. Puis la perte des illusions après la défaite allemande et la prise de conscience des horreurs du régime nazi.

Ce livre se compose d'une succession de petits tableaux mélant réalisme cru, imagination débridée et dialogues en langue populaire, le tout bourré d'allusions culturelles, religieuses et même franc-maçonnes. On ressent souvent l'influence de Louis Paul Boon ( http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/?l=9092 ) dans l'écriture de Claus, mais sans en atteindre l'audace ni la petite pointe de génie. Hugo Claus l'avoue lui-même dans la préface de la "Route de la Chapelle" de Boon: "aucun jeune écrivain qui a lu Boon ne peut plus écrire comme on le faisait auparavant". Mais avec sa maitrise parfaite de la langue intellectuelle, poétique et populaire, Claus reste néanmoins un des plus grands écrivains contemporains régulièrement en course pour le prix Nobel.
Les Belges sont tristes mais vivants 10 étoiles

Je dois dire que pour ma part, j'ai adoré ce livre, son côté en apparence fouillis (en réalité très bien construit et logique de bout en bout). Evidemment, il y a beaucoup de personnages et de situations (n'oublions pas que l'auteur a plus de 30 pièces de théâtre à son actif), mais c'est surtout la vie ,le flux de la vie que traduit ce roman magnifique.
Moi-même ne suis pas Belge, et pourtant je l'ai apprécié plus que beaucoup d'autres, le relisant même plusieurs années plus tard avec un plus grand plaisir encore! C'est un livre universel, parce que Hugo Claus y a trouvé le "local sans les murs". C'est un grand livre parce qu'il ne peut laisser personne indifférent.
La preuve.

Mario-Le-Sot - - 52 ans - 19 janvier 2013


Par devoir patriotique 2 étoiles

Si ce livre m’a profondément barbé, au moins, il m’a appris quelque chose sur le grand mal dont ont souffert les Flamands : ils se sont sentis exclus de la Belgique. Dans cette période dont nous parle le livre, de 1936 à 1950, la Belgique des affaires et du pouvoir parlait français et les Flamands qui parlaient flamand, ne savaient pas qui ils étaient.
Quand est arrivée la guerre, certains ont cru que leur salut serait dans l’adhésion de la Flandre au pangermanisme dont rêvait Hitler. Et il leur était bien difficile d’être patriotes dans une Belgique qui, selon eux, ne les aimait pas.

C’est un peu ça l’histoire du livre, qui s’appelle le Chagrin des Belges mais qui, selon moi, aurait dû s’appeler le Chagrin des Flamands. (Pour ne pas dire, Le Chagrin du Lecteur).

Je crois que l’ambition de Hugo Claus était d’écrire l’Histoire de la souffrance de son peuple, à travers une grande saga de sa propre famille, un peu à la manière des romans russes qui racontent l’Histoire d’une époque à partir de l’histoire d’une famille emblématique.

Mais, à mon avis, le résultat n’est pas à la hauteur de ses ambitions. Il a procédé d’une manière très particulière et son livre ressemble plus à un roman du terroir qu’à un grand roman sur fond d’Histoire : tout le livre est constitué d’une succession d’anecdotes, parfois amusantes, parfois scabreuses ou spirituelles mais, la plupart du temps, sans queue ni tête ou incompréhensibles. Des tas de personnages de l’histoire ou du folklore flamand interviennent ; ou alors ce sont des célébrités locales, des sportifs, des personnages fictifs ou des héros de légende. Si bien que le lecteur qui n’est pas Flamand, et qui n’est pas sensé connaître tout ça, ne s’y retrouve pas très bien.

La lecture de ce livre m’a paru longue et par moment, vraiment pénible mais je voulais le terminer par devoir patriotique ! Je voulais en savoir plus sur ces mystérieux Flamands qui, après tout, sont nos frères, puisque « Flamand et Wallon sont nos prénoms, et Belge est notre nom de famille ».

Mais quand je me souviens que ce roman a porté les espoirs de tout un peuple pour l’obtention d’un prix Nobel, j’en tombe à la renverse !
Il faut dire que Hugo Claus est, pour les Flamands, « le » génie universel de la littérature et, pour eux, s’il n’a pas remporté le prix Nobel, c’est qu’il a été victime d’un obscur complot contre la mère Flandre.

Plus de 600 pages d’une lecture à ce point éprouvante, par devoir patriotique ! C’est bon pour une fois, on ne m’y reprendra plus…

Saint Jean-Baptiste - Ottignies - 88 ans - 30 mai 2012


Un chagrin inaccessible? 5 étoiles

Je rejoins Printemps et Débézed : les références culturelles sont tellement nombreuses qu'il m'a été difficile de m'approprier le livre et de comprendre, dans les grandes lignes, l'enchaînement des évènements. Je suis wallon et j'ai 25 ans, ce qui explique cela peut-être.

Il bien sûr inévitable qu'un roman autobiographique soit rempli de références. Mais pour le lecteur d'aujourd'hui, cela demande un effort important, et vu la longueur du livre, j'ai pensé plusieurs fois arrêter la lecture.

J'ai pu le terminer en me faisant une fiche des personnages des deux familles (sans parvenir toutefois à tout résoudre : qui est Omer? L'un des 5 enfants vivants de Mérèke Bossuyt?) et en me constituant un lexique (Brigade Noire, Brigade Blanche, Dinaso, Verdinaso, VNV, Volk en Staat, De Vlag, van Ostaijen,...).

La spontanéité de la lecture était moindre, mais c'était le seul moyen pour moi de m'y retrouver!

J'ai été aussi gêné par la galerie impressionnante de personnages, il n'est pas toujours simple de savoir qui est qui, entre Holst, Mme Laura, Sale Sef, Marnix de Puydt, Djeedie, etc.

Enfin, le changement de narration constant (parfois Louis, parfois un narrateur extérieur) et l'enchevêtrement d'épisodes réels et de rêves n'arrange rien!

Donc en ce qui me concerne, un tableau pas très positif, je suis content d'avoir tenu jusqu'au bout, mais je trouve que c'est un livre compliqué à lire. Peut-être est-il plus accessible en flamand.

Etienne85 - - 39 ans - 15 octobre 2010


le chagrin flamand 6 étoiles

Ce livre m'a plu pour le suivi de l'évolution de Louis, son développement dans un milieu clos et son désir de s'en évader par les livres et l'écriture. J'ai particulièrement apprécié les descriptions des rêveries et des jeux propres à des enfants et adolescents de l'époque. Sa description des rapports entre les humains avec toute leur turpitude m'a aussi intéressée. Je regrette seulement que sans connaissance des mouvements de pensées qui guidaient la Flandre à l'époque de la deuxième guerre mondiale et même avant il est parfois difficile de comprendre ce qui anime certains personnages. Un livre que, malgré sa longueur, je recommanderais à ceux qui veulent peut-être mieux comprendre cette partie de la Belgique qui se sent mal à l'aise dans ce pays bilingue.

Printemps - - 66 ans - 31 octobre 2008


Hommage à un grand écrivain 9 étoiles

En forme d’hommage à Hugo Claus décédé ce jour et bien que n’ayant aucun rapport avec la Belgique même si j’aime la bière qu’on y brasse, je voudrais dire que j’ai beaucoup apprécié ce livre car Hugo a osé aborder un problème que bien peu ont eu le courage de regarder en face dans la communauté germanophone. Il suffit de se rapporter à la volée de bois vert ramassée par Martin Walser lorsqu’il a publié « Une source vive ».
Parler de l’engagement dans les mouvements nazis, du désir d’appartenir à la grande communauté germanophone réunie et de dire son mal être dans un pays bicéphale n’était pas chose très facile même en 1983. En France, l’histoire n’avait pas encore rattrapé Papon ni Bousquet.
J’ai aimé ce livre pour le courage de l’auteur, la justesse des personnages et le ton si vivant que Claus a su donner à son récit. Il écrit des scènes d’une vérité qui, vu de loin, nous semblent d’une grande crédibilité et d’une grande justesse, plus vraies que vécues. J’ai reçu ce livre comme un véritable témoignage et j’en garde un excellent souvenir bien que je l’aie lu il y a une bonne dizaine d’années déjà.
Hugo, même s’ils ne t’ont pas donné le Nobel, tu as ta place réservée au panthéon des écrivains.

Débézed - Besançon - 77 ans - 19 mars 2008


Des relents d'encens et de sperme 6 étoiles

Hugo Claus relate dans ce livre considéré comme son chef-d'oeuvre les années d'adolescence d'un enfant précoce dans la Flandre profonde de la seconde guerre mondiale. Dans un milieu imprégné de catholicisme et d'indépendantisme flamand, son jeune héros observe le monde avec un mélange d'étonnement et de dérision. Ce regard lucide et désabusé d'un jeune homme dont l'intelligence semble le pré-destiner à souffrir est souvent drôle mais le ton général est plutôt pessimiste voire presque dépressif.

Ce livre est annoncé comme un chef-d'oeuvre pourtant je me suis souvent ennuyé en le lisant. Il est très long et même si on éprouve beaucoup de sympathie pour le personnage et à travers lui pour l'auteur (car je suppose que le livre est largement autobiographique) le récit n'est guère passionnant. Je suis probablement passé aussi à côté de certaines références culturelles et religieuses qui soit m'échappaient soit me laissaient indifférent. Bref de ce livre il me reste principalement la sensation d'être passé à côté d'un chef-d'oeuvre.

Saule - Bruxelles - 59 ans - 4 janvier 2006


Et le bonheur des lecteurs 8 étoiles

Oui vraiment la critique de Mieke Maaike est remarquable. Je voudrais revenir sur un point évoqué par Jules: Faut-il être Flamand pour en apprécier la saveur? Toute la saveur peut-être, mais la saveur, certainement pas. Je suis Français et j'ai beaucoup aimé ce livre pour sa truculence et sa tendresse, sa langue et son atmosphère. Et j'y ai retrouvé certaines sensations de l'enfance qui sont universelles.

En une autre occasion, Hugo Claus a dit: "Quand on traite d'amour et de mort, il faut être à la hauteur de cette intensité."

Je ne peux que vous conseiller de lire "le chagrin des Belges" pour votre bonheur. Et peut-être qu'après, vous ferez comme moi et aimerez "La chasse aux canards" qui est aussi excellent.

Jlc - - 80 ans - 5 décembre 2005


Oui, un très bon livre 8 étoiles

En tant que gantois de naissance, et je le suis resté jusqu'à 13 ans, je ne pouvais pas laisser passer cette critique, très bien faites par ailleurs, sans réagir. Oui, ce livre est très bon. Mais je reste croire qu'une bonne partie de sa saveur ne sera appréciée que par des Flamands eux-mêmes.

Bien sûr, les différents portraits, finement fait par Claus, peuvent s'adapter à bien d'autres endroits que la Flandre ou la Belgique et il en va de même pour des situations.

Il n'empêche qu'à l'époque de sa lecture, ce livre m'a fait remonter mon enfance au coeur aussi fortement que le fait l'odeur de la carbonnade flamande préparée par ma mère...

Merci Mieke Maaike pour cette remontée de souvenirs et j'avoue que je ne peux pas retourner à Gand sans y faire, à chaque fois, toute une série de pèlerinages. En langage courant, cela s'appelle vieillir...

Le marché du Vendredi, le château des comtes, Saint-Bavon, la porte de l'Institut de Gand, le cheval Bayard, le parc de tous nos jeux, la place d'Armes et son kiosque.

Jules - Bruxelles - 80 ans - 5 décembre 2005