Japon : le Japon vu par 17 auteurs
de Frédéric Boilet, Collectif

critiqué par Shelton, le 17 décembre 2005
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Que de regards sur le Japon !
Les mangas, bandes dessinées japonaises, qui fleurissent en France depuis que certains dessins animés, pas toujours de très bonne qualité, initièrent une partie de la jeunesse à cette littérature orientale, extrême orientale, sont maintenant des incontournables des catalogues des maisons d’éditions de bandes dessinées… Tout le monde en veut, tout le monde en aura, les auteurs ne manquent pas… Mais qui aura les meilleurs, c’est l’une des questions que le lecteur cherche à résoudre, car, même si le prix est moindre que pour les bédés classiques, on ne peut quand même pas tout acheter… Commençons donc par nous poser quelques questions élémentaires qui vous permettrons, vous les non initiés de pénétrer le monde des mangas…
Mais qu’est-ce qu’un manga ?
Oui, je sais, il y a parmi vous ceux qui ont peur des mangas, ceux qui adorent, ceux qui confondent dessins animés et bandes dessinées, ceux qui n’ont jamais réussi à les lire dans le sens de lecture japonais… Alors mettons un peu d’ordre dans tout cela pour éclaircir la lanterne du tout un chacun…
On peut dire un ou une manga (le Larousse, propose « un »), il faut dire qu’il est toujours très délicat de traduire un mot en français et de lui donner un genre. En effet, le genre dépend du vocabulaire initial mais il est aussi lié à l’esprit d’une langue. Frédéric Boilet, traducteur, adaptateur, illustrateur et directeur de collection de mangas chez Casterman, qui a épousé une japonaise, qui parle japonais et qui vit au Japon, pense que l’on doit dire « la » manga comme on dit « la » bédé. Dominique Véret, directeur de la collection Akata (mangas de chez Delcourt), dit le manga car il est capable de dire tout ce que vous voulez du moment que c’est le contraire de ce qu’affirme Frédéric Boilet… Néanmoins, tout en restant sérieux, ce sont ces deux grands spécialistes des mangas, voyez comme je ne me mouille pas, qui vont nous permettre de définir ce genre littéraire.
Frédéric Boilet le décrit souvent de l’extérieur, comme s’il n’était qu’un simple observateur, ce qui est faux car il est l’auteur, par exemple de Mariko Parade (Casterman) avec Takahama. Mais, toute contradiction mise à part, quand il en parle c’est clair :
« La manga c’est tout simplement la bande dessinée japonaise. Un moyen d’expression extrêmement riche que j’ai découvert lors de mon premier séjour au Japon en 1993/1994. C’est une expression beaucoup plus diverse et adulte que ce que l’on croit habituellement. Elle touche tous les genres, tous les publics, un peu comme le cinéma, et elle est beaucoup plus universelle que la bédé francobelgee. Je parle là de la manga vue au Japon, car malheureusement, vue de France, on en a une vision beaucoup plus étroite, liée à la toute petite partie qui a été traduite. Une bande-dessinée pour adolescent, pour garçon même, à visée extrêmement commerciale… » .
Dominique Véret vit le manga de l’intérieur. Il en est ! Il voit cela comme une aventure, une épopée, c’est son Odyssée… Il oublie le côté narratif pour directement voir le social, le révolutionnaire pour cet occident qui lui semble s’endormir :
« Le manga est un élément de culture populaire qui prend de plus en plus d’importance en France qui est un peu l’expression des transformations de la société en cours. Mais ce n’est pas la vision officielle, c’est une réalité vécue qui devient de plus en plus forte. »
Mais, en fait les deux se complètent bien. C’est un jeune étudiant en littérature de Bordeaux qui prépare actuellement une thèse sur les mangas qui viendra compléter la définition du manga. Julien Mallemont, lecteur de mangas, il n’en lit que deux à trois par jour. Il a commencé par les dessins animés comme Dragon Ball et le reste à suivi… Les études de lettres lui permettent d’allier l’utile à l’agréable :
« Le manga est avant tout un art narratif comme la bande dessinée francobelge. Mais pour un lecteur français, c’est avant tout le plaisir de retrouver ses héros de dessins animés, sur papier, moins censurés, avec des aventures plus longues… Les enfants qui ont été collés devant la télévision dans les années quatre-vingt sont devenus les lecteurs de mangas des années deux mille ! »
Oui, s’il y a bien un point qui les rassemble tous c’est celui-là : les lecteurs de mangas sont si nombreux qu’aucun éditeur ne veut prendre le risque d’être absent de ce marché et que pour la première fois le festival d’Angoulême 2005 leur a offert une place dans les mêmes tentes que les illustres collections franco-belges…
Mais comment doit-on lire un manga ?
Effectivement, le non initié qui se retrouve avec un manga dans les mains découvre avec angoisse que le sens de lecture n’est pas le même que chez nous, même quand c’est traduit… Le sens de lecture japonais serait de la droite vers la gauche…
Le sens japonais n’existe pas en fait. Le japonais est une langue à lecture verticale et le fait de construire les bandes dessinées de droite vers la gauche est une tradition récente et pas évidente du tout même pour un lecteur japonais. La preuve les Coréens, avec une langue asiatique de même nature que les Japonais, ont réalisé des bandes dessinées dans un sens de lecture directement adaptable en occident… et ils y ont gagné, au moins économiquement quand on voit le nombre de leurs traductions en anglais.
Quant à ce plaisir qu’ont certains jeunes (ou moins jeunes) à lire les livres à l’envers, qu’on ne s’en inquiète pas particulièrement, c’est un jeu, une initiation, un peu comme ceux qui parlent en verlan…
Le néo-lecteur de mangas doit donc s’armer d’un peu de patience et faire l’effort de lire son livre à l’envers. Si le sens des pages ne pose que très peu de soucis, l’ordre dans les pages mérite un peu plus d’attention. N’oubliez pas de bien commencer par la vignette du haut à droite… Dans tous les cas, chaque fois que vous vous tromperez, le sens vous rappellera à l’ordre, donc pas de soucis et au travail… Ou alors, petite idée au passage, il existe quelques mangas rétablis dans un sens de lecture occidental, en particulier dans la collection « écriture » de chez Casterman.
Pour commencer votre initiation au Japon et son travail en bande dessinée, je vous invite à découvrir le Japon et sa culture à travers le regard de 17 écrivains de cet art narratif, spécialistes du neuvième art comme Sfar, Davodeau ou De Crécy, ou expert en mangas comme le fameux Taniguchi ou Igarashi dont j’aime beaucoup le travail…
Ce ne sont pas de longues histoires, juste des petits clins d’œil, des nouvelles, des souvenirs, qui donnent envie de partir pour le Japon, ou, à défaut, car le voyage reste cher, de partir pour sa librairie et acheter des œuvres de tous ces auteurs, à commencer par les Japonais qui nous initient à ces mangas qui font si peur…
Bien sûr, je reviendrai vous présenter ces albums et livres pour vous donner envie de lire ces ouvrages que nous ne connaissons que si peu et dont nous voudrions parler, ne serait-ce que pour avoir l’air moins bête devant nos enfants…
Il faut remercier Frédéric Boilet qui est à l’origine de cet ouvrage mais qui se bat aussi depuis des années pour promouvoir les mangas en France, enfin pas tous les mangas, ceux qu’il estime de bonne qualité… Une forme de mangas art et essais, des mangas de bonne tenue culturelle… mais c’est encore un autre problème dont nous parlerons un de ces jours…