Gargantua & Pantagruel
de François Rabelais (Scénario), Dino Battaglia (Dessin)

critiqué par Shelton, le 18 décembre 2005
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
"Fais ce qu'il te plait !"
Quand j’étais petit – ça me fait toujours rire de commencer une critique littéraire de cette façon – je trouvais que les histoires de géants étaient les meilleures… C’était comme une sorte de prémonition de mes 1m85 et 108 kilos… Allez savoir !
Je suis tombé, un jour, sur une première version illustrée de Gargantua. C’était assez simple, basique devrait-on préciser, mais si le texte n’était pas complet, les dessins assez explicites pour me faire entrer dans la magie rabelaisienne qui m’allait parfaitement : « A table ! »…
Ma chance fut alors d’avoir un père – oui, il faut bien parler de son père de temps en temps, ne laissons pas cela qu’aux romanciers contemporains – qui aimait passionnément cet auteur de la charnière entre Moyen-Age et Renaissance. Il en avait compris toute la finesse et la subtilité, la profondeur et la foi… Du coup, merci mille fois, je me suis retrouvé avec le texte original très jeune… Le chapitre XIII de Gargantua, «Comment Grandgousier connut l’esprit merveilleux de Gargantua à l’invention d’un torchecul», me permit de surprendre mon petit monde – enfin, il devenait possible de dire du pipi caca devant tout en citant un auteur classique – et d’entrer en littérature comme d’autre sont entrés dans les ordres. En troisième, je recevais mon premier volume de La pléiade, et surprise, c’était l’œuvre complète de Rabelais… Mais depuis je pensais que cette page était refermée à tout jamais. Parler de Rabelais en société, ce n’est jamais terrible car les mots rabelaisien, gargantuesque et pantagruélique sont assez péjoratifs. Rabelais sommeillait en moi… quand soudain…
Un professeur de français faisait appel à moi… « Dis, toi qui aime Rabelais… Non, ne dis pas le contraire, je sais… Dis, tu ne voudrais pas faire quelque chose pour m’aider, Rabelais est au programme de cinquième… Je n’aime pas ça, je ne l’ai pas lu en entier et je ne sais pas comment faire… » Comme c’était une amie, je suis monté dans mon grenier intérieur et j’ai réveillé mon vieil ami et il m’a crié : « A boire ! »… et nous sommes descendus à la cave ensemble…
Mais comment faire pour initier des jeunes enfants de cinquièmes, une douzaine d’années au compteur, à une telle littérature, dans une école religieuse de surcroît… La question était délicate et une fois décidé à relever le défi, j’ai commencé par relire les textes de Rabelais. Je me suis rendu compte de la modernité extraordinaire de cette œuvre. Les thèmes ne pouvaient qu’être acceptés par les jeunes, à condition d’y mettre quelques formes : liberté, foi, culture, vie collective, éducation, guerre, humanité… Oui, Rabelais était bien ce génie qui avait illuminé ma jeunesse… Mais comment faire la passerelle entre jeunes lecteurs et texte en vieux français… Comment leur donner l’envie et le désir de philosopher si jeune… C’est alors que je suis tombé, dans ma librairie préférée, sur une bande dessinée de Battaglia, Gargantua et Pantagruel… «Mais c’est bien sûr !» m’écriais-je, à la surprise de tous les clients…
Cette bande dessinée est une pure merveille. Elle est réalisée par un homme qui est d’abord amateur, amoureux même, de Rabelais. Il respecte tellement le génie rabelaisien qu’il a préféré choisir des scènes entières quitte à mettre des textes de transition pour faciliter la navigation du lecteur, plutôt que de faire un résumé fade et sans sens… Le dessin est fait à l’aquarelle, les personnages sont très crédibles pour tous ceux qui aiment les créatures de Rabelais. Certaines séquences peuvent sembler un peu statiques à ceux qui ne connaissent et n’aiment que la bédé d’aventure, mais au bout de quelques planches on découvre que le mouvement, la vitesse et l’énergie sont bien présents mais parfois avec un petit côté cérébral… Rabelais reste quand même Rabelais, même en bande dessinée…
Le travail avec la classe fut de très bonne qualité car, très rapidement, les jeunes ont compris la force de Rabelais. Nous avons pu, ainsi, en trois séances d’une heure, parler de vocabulaire, de philosophie, de religion… Ma collègue était bluffée. Depuis trois ans, nous répétons ensemble ce travail que nous avons perfectionné. En cinquième, oui à douze ans, il devient possible de parler de la foi, de la liberté de pensée, de croire, d’évoquer humanisme et dictature, guerre et paix… et la bande dessinée de Battaglia, très respectueuse des ouvrages de Rabelais, nous a facilité ce travail. Qu’il en soit remercié ici…
Quant à vous chers amis, que vous soyez amateurs ou pas de scènes pantagruéliques, je ne peux que vous donner rendez-vous dans ces merveilleuses planches de bédé… Comment donner moins de cinq étoiles ?