Les grands malheurs
de Bernard Clavel

critiqué par Lincoln, le 4 janvier 2006
( - 65 ans)


La note:  étoiles
“Les grands malheurs”… pour notre plus grand bonheur
Comment définir ce livre?
Un roman historique? Un hommage au terroir jurassien, à ses gens? Histoire d’une famille? Recueil des incertitudes quant à tirer les leçons des horreurs, des erreurs de l’histoire? Peut-être est-ce tout à la fois.

Le titre, “Les grands malheurs”, ne trahit pas le sentiment que l’on éprouve à la lecture. Ce roman qui nous transporte de 1914 à 2003 rassemble tout ce que la vie peut comporter de malheurs et, en même temps, toute l’authenticité de personnages profondément enracinés dans leur histoire.

Roman historique?
Les ravages de la première guerre mondiale qui a dévasté les corps et les âmes, marqués à jamais. Un entre-deux-guerres qui semble avoir parfois laissé si peu de répit aux laborieux. Et puis la deuxième guerre mondiale, pas celle du front mais celle qui gronde à l’arrière, sur la ligne de démarcation, disloquant les familles pour finir dans les exactions les plus monstrueuses, les assassinats de civils, la collaboration… la répugnance.

Hommage au Jura?
Ce n’est pas une nouveauté chez Bernard Clavel pour qui l’amour de cette région semble ne pas avoir de limite. Ses descriptions dans un vocabulaire choisi nous font sentir la terre, la toucher jusqu’à enfoncer les doigts dans le terrain du vignoble. Une région profonde mais rude marquée par la culture, l’élevage et, surtout, pour l’auteur, par le vignoble. Des paysages qui marquent le fond du regard, des terres en pente, des vallées, rivières, fleuve… sans jamais nous lasser. Des femmes et des hommes qu’on n’imagine même pas vivre ailleurs, trempés de caractères râpeux mais tellement humains.

Une famille?
Les Roissards qui, de génération en génération, sont des vignerons exemplaires, décorés pour leur production de vin jaune du Jura. Mais une famille en proie aux traces indélébiles laissées par deux guerres. Les blessures physiques, morales, le lourd fardeau d’une désertion en 1916.
Eugène Roissard, vigneron traumatisé et mutilé par la première guerre, râleur pour l’éternité, jusqu’à rendre le personnage insoutenable au lecteur. Seuls saluts à ses yeux:, le travail acharné à la vigne et… Pétain.
Noémie, sa femme, soumise corps et âme aux exigences du labeur quotidien et de la vigne mais surtout qui endure les colères et l’intolérance de son ronchon de mari. Elle voue un amour maternel sans borne à son fils, Xavier. C’est d’ailleurs ce qui l’amènera, elle, cette épouse modèle, à se révolter contre son irascible mari.
Xavier Roissard, son fils, qui grandit dans l’apprentissage du métier de vigneron mais aussi dans les contradictions qu’apporte la deuxième guerre mondiale dans la famille. Son père Pétainiste et lui, plutôt Gaulliste. D’oppositions en pardons et réconciliations, d’un attachement profond à sa mère et à “sa” terre en envie de s’engager dans la résistance, Xavier devra faire le choix de SON existence.

Recueil d’incertitudes?
Tout au long du roman, les carnets de M.Richardon, instituteur ancien combattant mais farouche adversaire de la guerre et de Pétain. Et le doute, le doute de l’enseignant qui se sent impuissant à faire entendre raison à ses jeunes élèves pris dans la tourmente des influences familiales, plus séduits par cette guerre, ces combats, ces armes. La chenille dévastatrice de l’histoire qui broie les raisons sur son passage. Cet instituteur dont les convictions ne céderont aucun terrain à la folie guerrière, faudrait-il pour cela, au péril de sa vie, désobéir aux consignes d’un gouvernement qu’il réprouve.

La réussite de Bernard Clavel dans ce roman est d’avoir mêlé tout cela dans une histoire émouvante. Non Clavel ne faiblit pas. Ses positions et analyses de ces périodes de l’histoire ne laissent planer aucun doute. Nul n’est épargné.
Un livre à lire, si possible, dans un fauteuil profond au coin d’un feu de bois crépitant, promenant ses lueurs orangées sur les pages et, à défaut… à savourer où que vous vous trouviez!
Poignant 8 étoiles

Bernard Clavel, non seulement dénonce la stupidité des guerres, ce qui n'est pas très original, mais montre qu'elle peut entraîner une autre guerre... au sein même d'une famille.
Dans ce roman où le père est pour Pétain, alors que le fils défend de Gaulle, les liens familiaux se déchirent.
N'est-ce pas là le plus grand malheur...
Livre humain, plein de sagesse. La plume précise de Clavel nous transporte. De la grande littérature, chez un grand auteur.

Bernard2 - DAX - 75 ans - 27 février 2007


A donner à lire aux écoliers 9 étoiles


J'ai retenu trois choses de cette lecture.

1. Bernard CLAVEL est un écrivain humain, réaliste et obsédé ou habité par la guerre. Il a peur pour l’humanité que ces horreurs ne reviennent.
2. BC a tout à fait raison de nous montrer la cruauté des deux guerres mondiales qui se sont suivies de si près. Surtout pour ceux qui sont nés malheureusement dans ces périodes-là. Certains ont eu leurs vies parsemées des souvenirs, d’anecdotes, de débrouilles et des histoires de guerre racontées inlassablement par les « anciens » qui ont connu ça, eux !
3. Ce récit, sous forme de roman, mais en réalité très complet, devrait être donné en lecture aux jeunes écoliers afin qu’ils se rendent compte que la violence et la haine des autres peuvent à tous moments faire exploser le monde.

Gilou - Belgique - 76 ans - 10 mars 2006