L'oeil du voyageur
de Nicolas Bouvier

critiqué par Sahkti, le 1 mars 2006
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Le regard de Nicolas Bouvier
Lors de son voyage de Suisse en Inde, périple qui donnera naissance au superbe "L'Usage du monde", Nicolas Bouvier a pris un nombre considérable de photographies, au fil des pays traversés et des êtres rencontrés. Personnages, paysages, humeurs, lumières et ambiances... avec toujours ce regard si particulier que Bouvier portait sur les choses et les gens.
Accompagnant ces photos, et c'est la deuxième belle surprise de cette édition, un texte inédit de Bouvier retrouvé par son épouse Eliane. Son périple vers l'Inde à travers le Pakistan, devenu indépendant quelques années plus tôt. Une suite, en quelque sorte, de la traversée du Khyber Pass qui clôturait "L'Usage du monde".
L'écriture est belle et intime, comme toujours chez Bouvier. Déchirée aussi, tourmentée, meurtrie. Ecrire lui demandait des efforts, il savait que c'était son âme qu'il couchait sur papier.
Un texte indissociable des dix-huit mois de voyage illustrés par les photographies reprises dans cet ouvrage.
Des images qui ne sont pas inconnues pour la plupart, car ayant été utilisées dans le cadre de l'exposition "Le Vent des Routes" (voir sur le site sous ce titre) et ont été publiées dans le recueil "Dans la Vapeur blanche du soleil" (Editions Zoé, 1999).
Un bonheur à déguster sans modération aucune!
La pudeur de Bouvier mêlée à son sens aigu de l'observation et à son amour du monde...
De la Suisse à l’Inde 8 étoiles

De la Suisse à l’Inde via les Balkans, la Yougoslavie, la Turquie, puis l’Iran, l’Afghanistan, et enfin le Pakistan, récemment séparé de l’Inde (le voyage a lieu en 1953) puis l’Inde. Nicolas Bouvier est parti avec Thierry Vernet, peintre et dessinateur, et tous deux, dans cette petite « Topolino » font la route, découvrent et font connaissance avec les pays traversés et leurs habitants au fil des kilomètres. C’est le voyage à l’état pur. Pas tant aller d’un point à un autre que cheminer et découvrir au fil des rencontres. Ce voyage donnera lieu à l’ouvrage le plus célèbre de Nicolas Bouvier « L’usage du monde », mais les photos qu’il a prises en chemin, agrémentées de textes fragmentaires constituent cet « Œil du voyageur », à la fois un livre de voyage et des réflexions de voyageur.

« Nicolas Bouvier … comprit alors qu’ « un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait ou vous défait. » Ou, plus imagé : « On ne voyage pas pour se garnir d’exotisme et d’anecdotes comme un sapin de Noël, mais pour que la route vous plume, vous rince, vous essore, vous rende comme ces serviettes élimées par les lessives qu’on vous tend avec un éclat de savon dans les bordels. » »

Et c’est bien l’esprit de cet « Œil du voyageur ». Avec en sus l’écriture de Nicolas Bouvier, sensible et chatoyante comme les sentiments qu’on éprouve à se laisser porter quand on est « en voyage ».
Les photographies sont en noir et blanc et valent surtout par leur côté documentaire de ce voyage hors du commun. Pas un reportage. Des coups de cœur, des flashes, soutenus par les mots de Nicolas Bouvier.

« Les grandes routes en Inde – et surtout celles qui partent de Delhi – ont beaucoup pour elles ; quelle que soit la direction choisie on a 1000, 2000 miles devant soi, des savanes mauves, des vols de vautours tournant dans un ciel cannelle, des villages verts où gitent des dieux de glaise couverts de minium frais et de papier d’argent, des villes croulantes et tarabiscotées, des légions de pieds nus battant la poussière et une infinité de rencontres et de regards qui croisent le vôtre jusqu’à la satiété la plus complète. »

Tistou - - 68 ans - 26 juillet 2012