Le silence des Chagos de Shenaz Patel

Le silence des Chagos de Shenaz Patel

Catégorie(s) : Littérature => Africaine

Critiqué par FROISSART, le 2 avril 2006 (St Paul, Inscrit le 20 février 2006, 77 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (1 844ème position).
Visites : 4 556  (depuis Novembre 2007)

La lecture de Patryck Froissart

Titre : Le silence des Chagos
Auteur : Shenaz Patel
Editions de l’Olivier/Le Seuil 2005
ISBN : 2879294541

En 1967, tout en négociant avec ses sujets mauriciens l’indépendance de l’île, le pouvoir anglais déporte à Maurice tous les habitants indigènes des Chagos, puis vend cet archipel pourtant considéré comme partie intégrante de Maurice aux Américains qui en font, jusqu’à ce jour, une de leurs bases militaires stratégiques, pièce maîtresse en particulier de leurs visées impérialistes belliqueuses sur l’Irak et sa région.
Depuis, les Chagossiens, ou les « Îlois », comme les appellent de façon méprisante certains Mauriciens de souche, n’ont plus que leurs yeux pour pleurer en scrutant la mer.
C’est le cas de Charlesia, dans Le Silence des Chagos, qui vient, tout au bord du quai de Port-Louis, tenter vainement, avec la régularité désespérée des êtres privés d’avenir et l’obstination inébranlable des déracinés, de distinguer derrière l’horizon le croissant de lune de son île natale ou d’en humer l’odeur perdue du coprah qu’on brûle.
C’est le cas de Désiré, né sur le bateau de la déportation, ce Nordvaer sur lequel on les a tous fait embarquer après leur avoir donné une heure pour rassembler leurs affaires.
Quant à Mimose, la fille de Charlesia, recroquevillée sur elle-même à longueur de temps depuis qu’on l’a jetée dans ce quartier insalubre de la Vallée des Prêtres, c’est en elle qu’elle cherche son île, sa mer, sa vie antérieure, paisible, simple, tranquille, sur le sable familier de l’archipel volé.
Shenaz Patel trace à grands traits intimistes les portraits figés de ces damnés de la mer, qui n’ont plus de chez eux, qui ne savent plus qui ils sont, qui se cognent, comme des papillons aveugles, aux parois de l’île prison. Les récits et les destins individuels se croisent, chacun des personnages portant sa propre souffrance, et l’injustice collective en sort brandie comme la bannière d’un combat que l’écrivaine elle-même accompagne de sa compassion, et dont elle est, cela se lit, naturellement solidaire, comme ne peut manquer de l’être tout lecteur quelque peu humain.
Puissent les Chagossiennes gagner leur juste et pacifique guerre contre les spoliateurs !
Puissent les Chagossiens retrouver bientôt la terre de leurs pères !
Puisse Shenaz y avoir quelque peu contribué, par ce livre émouvant et éclairant,


Patryck Froissart, le 1er avril 2006

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Le drame de Diego Garcia

9 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 17 juin 2006

Shenaz Patel est mauricienne, d’origine indienne comme 70% de la population mauricienne. Elle s’était fait connaître avec un superbe roman, hélas introuvable en métropole, qui avait obtenu en 2002 le Prix Radio Francedu Livre de l'Océan Indien décerné par un jury de lecteurs présidé par J.M.G. Le Clézio : Le Portrait Chamarel.
Avec Le silence des Chagos, S. Patel, journaliste à la base, nous fait partager via son roman de fiction le drame des habitants des Chagos, déportés en masse à Maurice, juste avant l’Indépendance de celle-ci, en 1968. Déportés pour faire place nette aux Américains qui installaient une base militaire stratégique sur l’île de Diego Garcia.
« Chagos. Au milieu de l’Océan Indien, un archipel en équilibre précaire, dans la courbe arquée de la dorsale médio-indienne. Emergeant du plateau Tchagos-Laquedives, une soixantaine d’ïlots répartis en quatre atolls. Peros Banhos, Salomon, Egmont, Diego. Diego Garcia. »
Fiction des personnages sur un fait historique avéré et peu connu.
Roman sur le déracinement, non désiré, des troubles qu’il engendre. Charlesia, Désiré, Mimose, autant de personnalités perturbées sur lesquelles s’appuie S. Patel pour décrire le syndrome des « Ilois » comme les dénomment dédaigneusement les Mauriciens … mauriciens.
L’écriture de S . Patel n’est pas une écriture sèche de journaliste. Elle emprunte à la poésie pour nous laisser à entendre, à imaginer. Certainement le passage consacré aux souvenirs de Charlesia de la vie antérieure, aux Chagos, est-il idéalisé ? Comme nos souvenirs. On garde le meilleur, on oublie le reste. N’empêche. Coincés à Maurice, rejetés, méprisés, les Charlesia, Désiré, Mimose, survivent dans les bidonvilles où ils ont été parqués à leur arrivée, victimes de la géostratégie américaine.
« Désiré la regarde. Sur ses bras et ses mains où brillent çà et là quelques écailles de poisson, un entrelac de veines vert sombre court sous la peau, comme le tracé des fleuves sur la terre brune d’un planisphère.
Il hésite un moment et se lance.
- Grand-mère, à moi vous pouvez le dire. Est-ce que c’était vraiment aussi bien que ça là-bas ? Vraiment ?
- Elle semble contempler sa question, la tête légèrement penchée sur le côté. Puis elle répond d’une voix ferme :
- -C’est comme ça dans notre souvenir. Et le souvenir, c’est tout ce qui nous reste. »


enfermement,silence, évasion ???

10 étoiles

Critique de Printemps (, Inscrite le 30 avril 2005, 66 ans) - 25 mai 2006

Un livre que j'ai lu d'une traite. Un silence qui m'attirait et me pesait. Les personnages sont déportés, cloîtrés dans un monde qui n'est pas le leur. Ils rêvent du passé bienheureux, inconnu pour les plus jeunes (Désiré), mais pressenti. Lui aussi subit le sort d'enfermement des Chagossiens, que ce soit lors de sa tentative de regagner le paradis perdu, jamais connu, dans la cabine d'un navire de pêche, en proie au mal de mer, ou sur le chantier de construction où le béton, le ciment l'enferment dans leur grisaille. A ces déracinés il ne reste que le souvenir et "le souvenir, c'est un hameçon qui se fiche sous la peau. Plus tu tires dessus, plus il te cisaille les tissus et s'enfonce profondément. Impossible de le faire sortir sans inciser la chair. Et la cicatrice qui restera sera toujours là pour te rappeler la crudité de cette douleur. Mais tu n'arrêteras pas pour autant d'y revenir. Sans cesse. Car c'est là que pulse toute ta vie. Vois-tu, petit, c'est plus vivant encore que le souvenir. On appelle çà la souvenance." Charlesia à Désiré (p. 149-150).

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