Croire en quoi ?
de Umberto Eco, Carlo Maria Martini

critiqué par Septularisen, le 10 avril 2006
( - - ans)


La note:  étoiles
CROIRE AU XXIème S
Tiens il y a donc encore un livre d'Umberto ECO qui n'a pas été critiqué sur CL?

Un petit livre en fait, tout au plus une centaine de pages, mais comme toujours avec ECO, on "s'éclate" les neurones et on en prend "pour son grade"!

Il s'agit en fait ici de la transcription d'un échange épistolaire qui à eu lieu entre mars 1995 et janvier 1996 dans la revue italienne Liberal entre Umberto ECO donc et l'ancien Cardinal de Milan (aujourd'hui à la retraite) Monseigneur Carlo Maria MARTINI (longtemps pressenti pour succéder à Jean-Paul II sur trône de Saint Pierre).

Le dialogue porte, bien sûr, sur la foi, sur le rapport entre l'homme et Dieu, sur la croyance, sur l'athéisme... L'un des deux interlocuteurs pose la question, l'autre répond. Lors des trois premières questions c'est ECO qui commence pour la dernière, c'est MARTINI.

L'intérêt du livre réside aussi dans la spécificité des questions posées et des réponses qui y sont apportées. Bien que des titres "pompeux" ont été attribué à chaque question et à chaque réponse, on peut "en gros" les résumer ainsi : Question 1 intitulée "L'obsession laïque de la nouvelle Apocalypse" : En fait faut t'il avoir peur du nouveau millénaire? Et quelle vie pour le croyant dans le nouveau millénaire (rappel le livre date de 1995).

Question 2 " Quand commence la vie humaine" parle de la procréation, du contrôle des naissances, d'avortement…

Question 3 " Les hommes et les femmes selon l'église." Selon moi la plus intéressante car on y parle sans ambiguïté, et sans faux fuyant du rôle de la femme dans l'église. On y voit d'ailleurs MARTINI répondre avec une parfaite franchise que tout compte fait l'église elle même ne sait pas pourquoi la femme ne peut "jouer" un rôle dans l'église d'aujourd'hui. Sa réponse est d'ailleurs très claire, c'est visible à partir du titre même de celle-ci : " L'église ne se satisfait pas des attentes, elle célèbre des mystères."

Et enfin dernière question posée par Carlo Maria MARTINI : "Où le laïc trouve t'il la lumière du bien"? est elle sur les croyances du bien et du mal, sur leur origine, sur l'éthique en général.

Notons que le dialogue entre les deux interlocuteurs reste très cordial, ECO allant même jusqu'à écrire dans la dernière lettre "… j'ai beaucoup apprécié la résolution et l'humilité avec laquelle, par trois fois, vous avez détruit la légende selon laquelle les jésuites répondraient à une question par une autre question." Reste que pour lire ce livre (et comme toujours avec ECO) il faut se "creuser" les méninges et ne pas hésiter une seconde à consulter son dictionnaire et/où internet. D'ailleurs même MARTINI le dit …"certains lecteurs se sont plaints à moi de l'excessive difficulté de nos dialogues". Ce à quoi ECO répond avec un flegme tout britannique et en fait plus par son sens des "happy fews" … "et peu importe si d'aucuns trouvent nos propos difficiles : ils ont sans doute été encouragés à penser trop facile par la révélation mass-médiatique, prévisible par définition. Qu'ils apprennent à penser difficile, car ni le mystère ni l'évidence ne sont faciles". Le ton est donné…

Enfin, je trouve que le titre original beaucoup plus représentatif et explicite sur le contenu du livre. "In cosa crede chi non crede"? à savoir "En quoi croît celui qui ne croît pas"? (titre qui est malheureusement impossible à utiliser en français), le titre en français ("Croire en quoi?" ) choisi par l'éditeur est vraiment un peu réducteur par rapport au contenu du livre...
Un dialogue de lettrés 8 étoiles

Cet échange épistolaire entre Eco et le cardinal Martini est effectivement de bonne tenue. Les deux hommes s'apprécient, se respectent et disons-le on sent qu'ils se font plaisir, un plaisir qui est communicatif mais qui donne parfois l'impression au lecteur d'assister à une joute ou chacun fait étalage de ses connaissances. Le style est impeccable, ce sont deux grands manieurs de plume. Il s'agit de vulgarisation, c'est abordable mais bien évidemment nécessite un effort.

Quant au fond j'ai été légèrement déçu par les trois premières lettres, qui me semble-t-il ne contiennent rien de nouveau. Le dernier échange, et particulièrement la réponse faite par Eco m'a fortement intéressé : Eco y explique que l'être humain a besoin d'une réciprocité avec un autre pour exister, et donc même sans croyance en un Dieu personnel l'être humain sera conduit presque naturellement a une conduite éthique respectueuse de l'autre et de la vie en général. Cette notion d'autre est essentielle en effet.

A la lecture de ce petit essai je me fait la réflexion que les concepts d'athée et de croyants sont flous, peut-être devrions nous reconnaître que nous sommes tous agnostiques ?

Saule - Bruxelles - 59 ans - 2 juin 2006


Des hommes de bonne volonté. 10 étoiles

L'intéressante critique de Septularisen a eu le mérite de nous avoir fait découvrire ce merveilleux petit recueil de lettres d'Umberto Eco et du Cardinal Martini.
Ne disons rien du style épistolaire, qui est un ravissement, pour en venir directement au fond.
Il m'a semblé que les deux lettres les plus intéressantes étaient la première et la quatrième.

Dans la première, Eco pose la question :
- Le monde laïc peut-il partager avec le monde croyant la même Espérance qui donnerait un sens à l'Histoire (les majuscules sont de Eco).
Dans sa réponse le Cardinal se réjouit que le laïc et le croyant, à partir de références différentes, en arrivent à un même besoin d'Espérance.
La raison de cette Espérance doit exister, dit Martini, nous avons le même engagement responsable vis-à-vis de l'avenir et nous donnons sans doute des noms différents pour définir les mêmes valeurs essentielles pour l'humanité.

La deuxième lettre parle de la définition de la vie humaine et de l'avortement.
La troisième lettre parle du rôle de la femme dans l'Eglise.
Dans ces deux lettres comme dans la première c'est Eco qui pose le problème et il le fait d'une manière magistrale et complète avec des références à l'Ancien Testament, saint Thomas et saint Augustin.
Il est amusant de constater que le Cardinal demande à Eco d'être, dans son exposé, plus accessible aux lecteurs, mais celui-ci répond non :
- Le lecteur doit faire un effort pour comprendre des explications difficiles quand les problèmes sont difficiles !

La quatrième lettre m'a personnellement passionné parce que le Cardinal Martini pose une question que je me suis posée souvent.
- Comment un laïc (un athée), donc quelqu'un pour qui il n'y a "Personne", pour qui tout est Néant, peut-il concevoir une morale absolue, pour laquelle il ira jusqu'au sacrifice de sa vie ?
Le Cardinal précise bien que cette question est posée dans le but de comprendre, afin d'arriver à un meilleur dialogue entre croyant et non-croyant ; et il appelle de tous ses vœux l'existence pour l'humanité d'un "Mystère" commun qui pousse croyant et non-croyant à l'action pour un monde meilleur.
La réponse d'Eco m'a parue par moment teintée d'émotion ; comme si cet auteur voulait cacher le regret d'avoir perdu la foi de son enfance. Et j'ai pensé à cette parole de Dieu reprise en Jean 15,16 : "Vous ne m'avez pas choisi, mais moi je vous ai choisi".

Dans tout ce recueil on est frappé par la qualité des échanges et la valeur de l'argumentation ; mais aussi par le respect mutuel de ces deux hommes ; un respect qui dés la deuxième lettre semble déjà se muer en réelle amitié.
Ce livre demande une lecture attentive mais il est accessible à tous.
Comme le dit le Cardinal, pour tous ces problèmes, il faut faire appel au recours simple de l'intelligence et de la conscience individuelle, plutôt que de prendre le parti des grands courants prônés par les écoles philosophiques.
On ne peut pas mieux dire ! L'intelligence et la conscience individuelle suffiront pour tirer le plus grand intérêt de ce petit livre tout en profondeur et en réflexion.

Saint Jean-Baptiste - Ottignies - 88 ans - 21 mai 2006