L'agonie de la IVe République : 13 mai 1958 de Michel Winock

L'agonie de la IVe République : 13 mai 1958 de Michel Winock

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Histoire

Critiqué par Jlc, le 11 avril 2006 (Inscrit le 6 décembre 2004, 81 ans)
La note : 8 étoiles
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La peur d'un bonheur menacé

La peur d’un bonheur menacé.

Il n’est rien de plus dramatique qu’une agonie, fin lente et douloureuse, au printemps, temps où tout reparaît possible.
Pourquoi le 13 mai 1958 est-il une de ces journées qui ont fait la France ? Parce que c’est à la fois « un moment destructeur et créateur dans la durée. » Un aboutissement, le naufrage d’un régime méprisé et bafoué, mais aussi une fondation, la restauration de l’autorité de l’Etat et, de manière paradoxale mais plus imperceptible sur le moment, le début de la décolonisation. Le 13 mai fait bien partie de ces journées qui créent une rupture et dont on dit ensuite qu’il y eut un avant et un après.

Michel Winock, dans cet excellent livre, analyse, raconte et explique les faits sous trois temporalités, le temps long, la moyenne durée et l’immédiat.

Le temps long, c’est la genèse d’un événement issu d’une colonisation séculaire devenue impossible et d’une double logique, celle de l’indépendance et celle de la résistance. Il faut remonter à la conquête de l’Algérie, qui ne fut pas une promenade de santé, pour comprendre ce qui s’est passé le 13 mai. Vers 1840, le général Bugeaud, l’homme de la casquette - air connu autrefois -, veut « la complète soumission des Arabes ». Puis dans la seconde moitié du XIXème siècle, la spoliation devient la règle. La colonisation de peuplement avec beaucoup d’Italiens et d’Espagnols ne parvient pas à contenir la démographie algérienne. En 1930, pour le centenaire de la colonisation, on exalte « les aptitudes vraiment supérieures de notre pays à la colonisation ». Toutes les tentatives d’assimilation échoueront et c’est ainsi que peu à peu, il va être trop tard. Les morts de Sétif, le statut inégal de 1945, la fraude électorale, « 130 ans d’aveuglement » résume de Gaulle conduisent à un climat de guerre civile car « l’assimilation est impossible et l’indépendance impensable ». Au fil du temps, les élites musulmanes sont passées « du désir d’assimilation à la volonté d’indépendance ».
Toute cette partie du livre est remarquablement rendue et c’est, d’une certaine façon, la plus nouvelle, tout au moins sous cette forme. Le dernier mot, pour décrire la situation, revient à Albert Camus : « Dans cet admirable pays qu’un printemps sans égal couvre en ce moment de ses fleurs et de sa lumière, des hommes souffrent de faim et demandent justice ».

La moyenne durée est le temps de la IV ème république, régime « crépusculaire entaché d’impuissance » .
La certitude que « l’Algérie c’est la France » affichée par tous les hommes politiques de droite comme de gauche est la clé psychologique des Français d’Algérie. Winock montre bien comment « l’affaire algérienne » gangrène la vie politique d’un régime faible. Le 6 février 1956, qui voit le chef du gouvernement, Guy Mollet, reculer devant la bronca algéroise, est une date capitale car elle fait prendre conscience aux « Pieds noirs » de leur pouvoir. Les choses iront de mal en pis pour ce régime à la dérive même si le général Massu gagne « la bataille d’Alger », paradoxe d’une alternative de plus en plus nette entre une guerre à outrance ou la négociation.
C’est cette impasse qui va encourager l’armée à sortir de sa réserve, une armée meurtrie par Juin 40, Dien Bien Phu, Suez et pour qui « L’Algérie est la revanche ». Les officiers qui, contre la guerre subversive du Front de Libération Nationale (FLN), veulent mener une guerre psychologique voient dans ce nouveau combat un nouvel épisode de la lutte entre la croix et le croissant, soutenu, disent-ils, par le communisme international. Pour gagner cette guerre révolutionnaire, il faut inventer les mots d’ordre de la contre révolution. Pour conquérir les populations musulmanes, ces officiers vont se fixer pour objectif l’intégration et c’est en son nom qu’ils vont faire le 13 mai. C’est ainsi que les colons dont beaucoup -ceux de la petite bourgeoisie urbaine- ne se conçoivent pas comme une force d'oppression et qui hier étaient hostiles à l’intégration, se considérent maintenant comme victimes de l’impéritie politique, sentent bien leur bonheur menacé et vont oublier leurs divisions et faire corps avec l’armée en qui ils ont placé leur confiance.

Enfin le troisième temps, l’immédiat quand il suffit d’un événement parfois mineur pour mettre le feu aux poudres. Ici ce sera une crise diplomatique après le bombardement par l’aviation française d’un village tunisien, entraînant une nouvelle crise ministérielle, l’appel pour former le gouvernement à un homme perçu par les Pieds noirs comme un bradeur.
Avec l’érudition de l’historien, le talent de l’écrivain et le sens de l’instant du journaliste, Michel Winock raconte cette journée folle et celles qui suivirent jusqu’au retour au pouvoir du général de Gaulle.
Si tout s’est passé dans cette logique temporelle, la contingence a aussi joué son rôle. L’histoire de cette journée n’était pas écrite d’avance. Elle tiendra à la fois de la nécessité –nous sommes dans une impasse- et de la contingence –le rôle qu’y ont joué quelques personnages : Delbecque l’activiste qui souffla à un Salan réticent, détenteur de tous les pouvoirs militaires et civils en Algérie « Vive le général de Gaulle », Pflimlin le légaliste, Salan l’ambigu, Guy Mollet subjugué par de Gaulle, René Coty président de la république sans pouvoir mais pas sans influence ou sagesse et, enfin de Gaulle, stratège exceptionnel qui sut conjuguer hardiesse, lucidité, esprit de décision avec un sens aigu de la pratique de la surprise-. Il est d’ailleurs dommage, à ce sujet, que Michel Winock ne se soit pas fait le portraitiste plus appuyé de ces protagonistes et quelques autres, ce qui aurait certainement été utile pour ceux qui n’ont pas connu cette époque.

Le 13 mai fut-il un coup d’état ? Certes un complot a bien été ourdi, une opération, Résurrection, mise sur pied mais de Gaulle qui ne voulait pas arriver au pouvoir par un coup de force n’a ni conçu l’un, ni ordonnancé l’autre, même s’il a laissé faire pour, si nécessaire, en profiter. Il y eut bien « complicité d’intention » et Winock préfère parler joliment de « coup d’état de velours » faisant référence à ce qui se passera trente ans plus tard à Prague. Car le retour de de Gaulle au pouvoir fut légal et plus encore légitime quand on sait le résultat du référendum du 28 septembre 1958 et des élections qui suivirent.

Ce livre passionnant de bout en bout, riche de mille faits, est l’histoire d’une journée de dupes. Provoquée par la peur du bonheur menacé des Pieds noirs, il en sortira très vite la décolonisation de l’Afrique noire puis plus tard, après tant de drames, l’indépendance de l’Algérie. Oui il y eut bien un avant et un après.

J’allais avoir quinze ans et je me souviens de ce printemps là comme d’un temps superbement ensoleillé. Mais ceci est une autre histoire… française.

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Les éditions

  • L'agonie de la IVe République [Texte imprimé], 13 mai 1958 Michel Winock
    de Winock, Michel
    Gallimard / Les Journées qui ont fait la France
    ISBN : 9782070775972 ; 23,40 € ; 16/03/2006 ; 381 p. ; Broché
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