L'Obscur
de John McGahern

critiqué par Eireann 32, le 11 avril 2006
(Lorient - 77 ans)


La note:  étoiles
Après l’obscurité, la grisaille. !
Ce livre est le second écrit par Mc Gahern, celui par qui le scandale, sa mise à pied et son exil arriva. Edité en 1965, il est enseigné dans les écoles irlandaises aujourd’hui, sorte de symbole d’une libération du catholicisme et des mœurs. Il fut, il y a bien longtemps, le premier John Mc Gahern que j’ai lu.
Les premières pages sont terrifiantes par la violence physique et morale dont le père (veuf) fait preuve à l’égard de son fils. Allant jusqu'à lui mettre une allumette enflammée près des paupières pour vérifier s’il dort. Puis certains soirs, ce sont des attouchements sexuels dans le lit qu’ils partagent. Ce père radin, lunatique, violent se plaignant toujours, gâche la vie de ses enfants, même les pique-niques sont des corvées. Mahoney, le père, déteste les prêtres, mais il leur confie Joan, une de ses filles pour lui trouver du travail, le narrateur penche pour la prêtrise, mais quelques jours dans une église lui font changer d’avis.
Les études lui semblent le meilleur moyen de s’en sortir, mais cela coûte, et le père rechigne :
-« Je peux aller en Angleterre et te rembourser de là bas.
Tout le monde peut aller en Angleterre ».
Le départ pour le collège est une délivrance pour ce jeune homme que sa sexualité gène dans un monde dominé par l’église catholique et ses confessions hebdomadaires. Mais les affres de l’examen remettent tout en cause, la sécurité de l’église ou les aléas de la vie civile avec, en cas d’échec, certainement l’exil :
-« Tu travailleras dans une usine de la banlieue de Londres, et on t’appellera Pat (ou Paddy).
L’examen est obtenu, suivi par la rentrée à l’université, puis l’heure des questions survient. Puis les illusions et le désenchantement prennent le dessus et la réussite se transforme en échec, les grands rêves en médiocrité.
A noter que ce roman est écrit alternativement à la première personne «Je» puis à la seconde personne «Tu» comme pour marquer une rupture entre l’enfance et l’adolescence. Chose rare, le père et le fils n’ont pas de prénoms comme pour souligner leur étrange relation. Il n’y a pratiquement pas de présence féminine à part ses sœurs et les fantasmes sexuels du narrateur. Par contre l’homme, l’adulte, le père par procuration, que ce soit le prêtre ou le professeur, sont omniprésents et étouffent l’adolescent.
Un grand roman qui avec le recul ne méritait pas les sanctions qui l’ont frappé (censure), ni celles qui ont frappé leur auteur.
Extraits :
-Il y a beaucoup de protestants par ici ?
A peu près autant que de catholiques, mais ce sont eux qui possèdent les meilleures terres, monsieur.
-«Pas la moindre trace de goût, des gens parfaitement incultes même après quarante ans de liberté, voilà ce qu’est la masse des Irlandais».
-«Mon père je veux devenir prêtre!» . On s’occuperait de tout pour toi.
L’émancipation 7 étoiles

Le père est le personnage le plus intéressant de ce roman. De prime abord il peut sembler monstrueux. Sa violence est pourtant psychologique et non physique et elle n’est pas gratuite. L’homme a perdu son épouse et tente tant bien que mal d’élever ses mômes avec les maigres revenus d’une terre agricole.

Dommage que ce personnage disparaisse une grande partie du récit pour laisser la place au fils en recherche de son chemin dans la vie: prêtrise ? Fonctionnariat ? Ou études universitaires ?

Assurément, ce roman saura combler les adeptes de littérature irlandaise, on y retrouve tous les caractéristiques typiques. Si le titre peut sembler glauque, il s’agit tout au long d’une émergence vers la lumière alors ce n’est pas du tout assommant.

Aaro-Benjamin G. - Montréal - 55 ans - 24 septembre 2014


Le choix d'une vie 10 étoiles

Ce livre de John McGahern est un véritable chef-d’œuvre. C’est la touchante histoire d'un jeune homme issu d’une famille terrienne irlandaise qui s’acharne à faire des études afin de se libérer de l’emprise du père, Mahoney. Un thème qui revient régulièrement dans l’œuvre de McGahern est celui de l’importance de faire des études afin de pouvoir s’échapper d'une existence misérable et limitée. Je suis entièrement d’accord avec lui. Notre jeune homme obtiendra la chance de pouvoir aller à l’université grâce à une bourse obtenue grâce à des notes exceptionnelles, résultat de longues soirées d’études et d’une négociation serrée afin que sa chambre soit chauffée, ce qui occasionne des dépenses supplémentaires à son père. Une belle histoire racontée avec simplicité et beaucoup d’émotions par McGahern dont l’écriture est tout simplement magnifique :

« Derrière la vitre, par-delà les lauriers alignés, les pierres tombales se dressaient dans le clair de lune ; tu étais entouré de tous ces morts, de toutes ces vies jadis aussi imbues d’elles-mêmes et de leur importance que toi en cette nuit ; ton indécision, ton trouble et tes aspirations se retrouvaient sur un pied d’égalité avec le rire en ce domaine de l’argile ; et ils étaient allongés là, tranquilles, comme tu le serais à ton tour au long d’une éternelle nuit, pendant qu’un autre, rongé de soucis et d'incertitudes, resterait étendu sans dormir comme toi dans cette chambre. Souvent tu avais entendu dire qu’après minuit ils quittaient leurs tombes et se mettaient à marcher en quête de pardon, poussés par le remords. La plupart venaient à la maison du prêtre implorer miséricorde : comme eux il était fait de chair et capable de comprendre, mais il détenait entre ses mains la puissance surnaturelle de Dieu, le pouvoir de pardonner. Néanmoins, cette nuit la demeure semblait aussi calme que le cimetière. »

Des thèmes encore une fois assez graves : l’autorité paternelle, la terre, l’Irlande, la religion, les études et les timides velléités d’indépendance d’un jeune homme attachant qui doit choisir sa voie. Absolument magnifique !

Dirlandaise - Québec - 69 ans - 18 juillet 2006