Le procès-verbal de J.M.G. Le Clézio
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Le premier roman de J-M Le Clézio, prix Renaudot.
En 1963, on avait un peu rangé l’auteur dans la case « Nouveau Roman », mais c’était dans l’air du temps : tout ce qui sortait du balzacien pur et dur, on le rangeait dans le Nouveau Roman. D’ailleurs, tout était nouveau : au coin de ma rue, l’échoppe du réparateur de godasses arborait fièrement le titre de « Cordonnerie nouvelle ».
Et même si ce n’était pas à proprement parler du « Nouveau Roman », au moins pour moi était-ce du roman nouveau. Pour la première fois, j’avais l’impression de lire quelque chose de surprenant que mes profs de français ou mes parents n’avaient pas encore lu. Surprenant sur un plan un peu cosmétique d’abord : on y trouve des faux extraits de journaux dans la mise en page « journal », on y trouve des listes de courses par exemple, des lettres écrites à la va-vite sur un coin de table souillée et dont il manque des mots parce qu’ils ont été en contact avec des restes de beurre, des phrases comportant des parties raturées qui permettent, ou non, de voir les mots rejetés… Bref, tout un arsenal d’originalités qui tiennent un peu du procédé mais qui font parfaitement sens dans le roman. Mais là n’était pas la surprise principale, même si c’était sans doute la plus voyante. L’originalité réelle résidait dans le fait que ce morceau de littérature était en même temps une remise en cause de la littérature. Et bien sûr, en cela, c’était un peu du « Nouveau Roman ».
Le personnage principal – et presque unique – du récit, c’est Adam Pollo, trentenaire pour le moins original vivant en bordure de la société dans une maison vidée de ses occupants, partis sans doute en vacances. Il va à la plage et se mêle à la foule, il suit un chien dans la ville, assassine un rat, il regarde le monde et parfois le harangue. Une jeune femme le rejoint parfois. L’a-t-il plus ou moins violée quelques temps auparavant ? C’est probable. Du moins le croit-il. Mais il est sûr de si peu de choses. Par exemple, vient-il de fuir l’armée (en 1963, la guerre d’Algérie vient de se terminer et les angoisses d’Adam Pollo y font assez clairement référence), ou bien sort-il d’un asile d’aliénés, ou tout bêtement a-t-il quitté ses parents ? Peu importe après tout. Tout ce passé est en lui comme il est sans doute en nous tous, à cette époque.
Adam Pollo regarde le monde et il le regarde tant qu’il devient impossible de l’interpréter.
Et surtout, il veut se fier aux apparences : « (…) comme quand on faisait des parties de cache-cache et que j’apercevais ton œil, ta main ou tes cheveux, entre les rondelles des feuillages, et qu’en y pensant d’un seul coup, j’arrivais à ne plus me fier aux apparences, à dire en criant d’une voix suraiguë : je t’ai vue ! ». Ou bien cette description d’un verre de bière. On passe du très physique (couleur, bulles…) à des choses comme, « On aurait dit (…) un de ces aquariums, derrière la vitrine d’un grand restaurant, où les gourmets sérieux viennent se faire crocher, à coups d’épuisettes, la carpe grasse qui laissera son trou d’eau, entre la lampe témoin, l’insufflateur d’oxygène et les fausses algues, abandonnant sa cloison d’émeraude pour un monde de torture, de beurre, de persil dans les yeux et de tomate dans la bouche ».
Il faut le rappeler : on est parti d’une comparaison avec un verre de bière ! Y a-t-il vraiment moyen de prendre cette comparaison au sérieux ? N’est-on pas nettement, et avec beaucoup d’ironie, dans la dérision de toute comparaison ?
Et pourtant, « (…) à force de voir le monde, le monde lui était complètement sorti des yeux ; les choses étaient tellement vues, senties, ressenties, des millions de fois, avec des millions d’yeux, de nez, d’oreilles, de langues, de peaux, qu’il était devenu comme un miroir à facettes. Maintenant, les facettes étaient innombrables, il était devenu mémoire (…) ».
C’est pendant sa visite d’un zoo que le personnage proclame avec beaucoup de force et de simplicité (c’est le moins qu’on puisse dire) son manifeste le plus « Nouveau Roman ». Face à une cage devant laquelle bavardent gentiment quelques visiteurs, il se mêle à leur conversation : « C’est ni joli ni mauvais (…), c’est ou ouistiti ». Le réel mène sa vie à lui, indépendamment de la conscience individuelle. Un ouistiti est bien uniquement un ouistiti, ni joli ni méchant parce que la présence humaine est totalement contingente.
Lorsqu’il rêve d’un métier possible, Adam Pollo évoque celui de projectionniste de cinéma grâce auquel on est seul et qui surtout permet d’être « un des rares personnages à ne pas être dupe de ce qui se passe ».
D’une certaine manière Adam Pollo fait penser à Meursault : il est déconnecté de son passé, de son futur et en partie des autres humains qui lui feront payer son « étrangeté » (étrangeté qui autorise un regard neuf sur le monde) au travers d’un « Procès » : « (…) j’espère qu’on me condamnera à quelque chose, afin que je paye de tout mon corps la faute de vivre ; si on m’humilie, si on me fouette, si on me crache au visage, j’aurai enfin une destinée, je croirai enfin en Dieu ». Il est « christique », si j’ose dire, notre Adam…
D’ailleurs, à la fin du récit, lorsqu’il se retrouve face à des étudiants en psychologie, le personnage est à lui seul l’ensemble de l’humanité.
On trouve ceci à propos d’une des étudiantes : « Sa mère était suissesse. Son père était mort d’un ulcère dix ans plus tôt ». Ces détails n’ont aucune espèce d’importance dans le récit. Manifestement, Le Clézio se moque des « écrivains omniscients » et il les singe jusqu’à l’absurde.
Je terminerai avec cet extrait : « Vous ne voyez pas que celui qui a écrit, ‘la terre est bleue comme une orange’ est un fou ou un imbécile ? (…) Ça décolle de la réalité (…). Mais moi, j’ai besoin de systèmes, ou alors je deviens fou. Ou bien la terre est orange, ou bien l’orange est bleue. (…) Je suis arrivé à un point où je ne peux plus souffrir d’incartades. Vous comprenez, j’ai trop de mal à trouver la réalité. (…) La terre est bleue comme une orange, mais le ciel est nu comme une pendule, l’eau rouge comme un grêlon. Et même mieux : le ciel coléoptère inonde les bractées. »
Adam Pollo est fou. Sans doute. Mais si proche de notre folie qu’une crainte nous vient.
Les éditions
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Le Procès-verbal [Texte imprimé] J. M. G. Le Clézio
de Le Clézio, J.M.G.
Gallimard / Collection Folio.
ISBN : 9782070363537 ; 8,60 € ; 16/03/1973 ; 312 p. ; Poche
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Les critiques éclairs (6)
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J'ai essayé...
Critique de Vinmont (, Inscrit le 12 août 2014, 50 ans) - 22 août 2014
Pour le Procès-verbal, sans savoir que ce livre était un exemple et un symbole du nouveau roman, j'avoue qu'au bout de 40 pages, je n'ai pu que lâcher le livre.
Des bribes descriptives d'une époque sont néanmoins intéressantes et finalement j'ai repris cet ouvrage pour le finir...mais en lisant en diagonale.
Je reconnais le côté déstabilisant de l'écrit mais qui ne vient pas contrebalancer le peu d'intérêt de l'histoire de ce marginal lancé dans une quête déroutante.
Le Clézio aura sans doute quelques autres occasions de me convaincre (je ne me déclare pas vaincu) mais pas cette fois !
Comment ne rien dire...
Critique de José A. (, Inscrit le 18 décembre 2010, 67 ans) - 26 juillet 2013
Des débuts prometteurs...
Critique de Lecassin (Saint Médard en Jalles, Inscrit le 2 mars 2012, 68 ans) - 23 septembre 2012
Un livre écrit pour une grande part avant les accords d'Evian qui mettront fin à La guerre d'Algérie… Algérie, Camus, Meursault, l'étranger le soleil la révolte…
Révolte de la jeune génération qui peut se retrouver sous les drapeaux avec un billet pour Alger… absurde…
Absurde… Camus Adam Pollo
Un « roman jeu », un « roman puzzle » tel que revendiqué par Le Clézio dans sa préface, et si l'on en croit Claude Cavallero, grand spécialiste de l'auteur, un roman teinté de « nouveau roman »… A voir…
Je ne supporte pas le nouveau roman, et n'ai aucun souvenir d'une difficulté particulière à lire ce roman, certes parfois décousu, entaché de longueurs, mais tellement rafraichissant … troublant … dérangeant, qui sait … peut être même tout ça à la fois!
Pas convaincu
Critique de Benson01 (, Inscrit le 26 mai 2012, 28 ans) - 25 août 2012
Néanmoins, j’ai quand même mis deux petites étoiles à ce classique car le tout dernier chapitre est plus marquant que le reste du roman (d’après moi). Le face à face entre Adam et les apprentis psychologues est un passage réussi et cela mérite d’être dit.
En résumé, ne lisez que le dernier chapitre…
Une folie douce sereinement destructrice
Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 47 ans) - 15 novembre 2008
Les rapports d'Adam avec Michèle paraissent complexes, et je rejoins Bolcho sur la véritable nature de leurs relations, sur leur genèse.
La présentation, distanciée, presque analytique, fait qu'on accroche à l'histoire de ce type médiocre, là où elle aurait pu, autrement présentée, virer au glauque, voire au trivial.
L'auteur, vers la fin, cite des articles de presse, de faits divers. Ce n'est pas anodin : c'est pour tester notre aspect un peu voyeur. Et c'est cette distance qui permet de garder une sérénité suffisante.
Ce nouveau roman me laisse perplexe
Critique de Ichampas (Saint-Gille, Inscrite le 4 mars 2005, 60 ans) - 25 septembre 2008
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