Oh les beaux jours
de Samuel Beckett

critiqué par Veneziano, le 29 avril 2006
(Paris - 47 ans)


La note:  étoiles
Interrogations métaphysiques, l'air de rien
Dans cette pièce du genre absurde, sont "campés" deux personnages, Winnie et Willie. Ils sont enfoncés dans la terre jusqu'à la taille, dans une espèce de vallée informe. C'est elle, Winnie, qui parle surtout, lui se contentant de quelques répliques. Les dialogues, en eux-mêmes, paraissent relativement insignifiants, mais, joints aux didascalies, ils émanent l'humour absurde de la pièce : la contingence de la pièce liée à son incongruité finit par faire mouche, sans qu'il ne soit jamais dit expressément ce qu'il se passe. En soi, pas grand-chose, mais comment ces personnages en sont-ils arrivés là ? Elle inventorie son sac, examine sa brosse à cheveux, déploie son ombrelle, contemple la lumière - "Ah, le beau jour !" - , se souvient des moments heureux - Ah, les beaux jours ! " -
On finit par en déduire que ces deux personnages, un couple, attendent la mort, sans rien faire, ou presque, et que le moindre détail devient ainsi toute leur vie.
De manière surprenante, on constate que Willie peut se retirer dans son trou et en revenir : ils n'ont donc pas été ensevelis par accident par des genres de sables mouvants. Leur sort est volontaire : ils veulent partir.
Dans le second acte, on ne voit plus que Willie, dont ne dépasse que la tête. C'est une sorte d'au-revoir.

Comme dans En attendant Godot, il y a la même dimension métaphysique, à savoir l'attente de la mort. On peut faire une comparaison : dans le film Le Charme discret de la bourgeoisie, les personnages, par moment, se retrouvent à marcher sur une route, d'un pas pressé, puis résigné : ils ont compris. Dans En attendant Godot, les deux clochards attendent au bord d'une route que la mort viennent à eux, ce qui ne les empêche pas de converser. La présente pièce est une sorte de fin d'évolution : on se met en situation, en commençant par se terrer, pour progressivement s'enterrer.

Il y a de mignonnes répliques, touchantes ; cette pièce est intrigante, et très courte. Elle laisse un bon souvenir, tout en faisant réfléchir, de manière mélancolique, sur la - triste - condition humaine, dont il n'est pas infamant de choisir la fin.

La pièce est suivie de "Pas moi", qui ne m'a pas vraiment convaincu. Je n'ai pas dû la comprendre : elle m'a paru un peu "gratuite". Elle ne fait que quelques pages.
Déconcertant, puissant et tragique 10 étoiles

Winnie et Willie sont les deux personnages de cette pièce de théâtre. Winnie est enterrée à moitié alors que Willie reste essentiellement dans un trou, tel un animal. Les dialogues reposent sur des considération futiles, les gestes des personnages sont secondaires et masquent en réalité la vacuité de l'existence. Winnie parle afin d'occuper ce vide et de se sentir encore vivante même si elle doute grandement sur de l'écoute de Willie. Elle ne veut surtout pas "parler dans le désert" et il faut occuper les journées comme on peut. Cela rappelle le divertissement pascalien qui invite à occuper l'esprit et à ne pas réfléchir au tragique de la condition humaine sous peine de sombrer.

Les répliques de Winnie sont saccadées : il y a beaucoup de points de suspension, d'implicite, de phrases sans verbe et puis des remarques qui nous paraissent futiles et qui pourtant nous donnent une vision pessimiste de l'existence. Comme toujours chez Beckett, les didascalies occupent une grande place et sont aussi importantes que les dialogues. Les objets ont aussi une place importante, permettant aux personnages de s'occuper, de se rattacher à la vie quand Winnie a des soucis de coquetterie, mais aussi nous rappellent le pire comme ce revolver qu'elle a confisqué à son époux. Dans cet univers apocalyptique où très peu d'hommes sont encore vivants, il y a tout de même une part d'humanité comme ces fourmis qu'elle observe à la loupe et l'attachement qu'elle éprouve pour Willie.

J'ai toujours eu de grandes difficultés à entrer dans l'oeuvre de Beckett mais cette pièce a été un déclic. Elle est sombre et angoissante même si quelques passages font sourire le lecteur, mais elle est profonde. Le dramaturge peut agacer ou ennuyer parfois, mais il faut reconnaître que derrière l'apparente logorrhée des personnages il y a un questionnement profond sur l'existence. La prose de Beckett demande du temps, une lecture patiente et très attentive. Il faut créer du lien durant les points de suspension. Cette pièce a quelque chose d'hypnotique et le décor contribue à captiver le lecteur. Cette pièce possède la force des textes mythiques ou métaphysiques.

Pucksimberg - Toulon - 45 ans - 23 août 2019