Adrienne Mesurat
de Julien Green

critiqué par Réaliste-romantique, le 6 mai 2006
( - - ans)


La note:  étoiles
Le dur passage à l'âge adulte
Adrienne Mesurat, 18 ans, vit à La Tour-L'Évêque, une petite ville en Seine-et-Oise, entourée de sa grande soeur de 35 ans, Germaine, malade chronique, et de leur père retraité, qui ne tient à rien autant qu'à sa tranquillité.
"Puis, sans attendre la réponse, elle monta jusqu'à la chambre de la vieille fille et entra. Une odeur d'eucalyptus lui fit faire la grimace, la fenêtre était fermée; dans une soucoupe placée au chevet du lit, une cigarette médicale achevait de se consumer." (oui, vous avez bien lu!)
La vie du trio est réglée comme une horloge, faite d'habitudes qu'il ne faut pas déranger, codes qu'aucun des trois n'oserait enfreindre.
"Il y a quelque chose de terrible dans ces existences de provinces où rien ne paraît changer, où tout conserve le même aspect, quelles que soient les profondes modifications de l'âme. rien ne s'aperçoit au dehors de l'angoisse, de l'espoir et de l'amour, et le coeur bat mystérieusement jusqu'à la mort sans qu'on ait osé une fois cueillir les géraniums le vendredi au lieu du samedi ou faire le tour de la ville à onze heures du matin plutôt qu'à cinq heures du soir."
Mais cet été ne sera pas comme les autres. Adrienne questionne à quelques reprises au sujet des locataires qui occuperont la villa d'en face. Un jour, elle croise le mystérieux docteur Maurecourt, et en tombe amoureuse aussitôt. Adrienne cherche à vivre sa passion, mais sa soeur et son père la surveillent de près. Elle tente d'abord de les affronter, mais sans grand succès. Sur le point de s'avouer vaincue, sa vie est chamboulée dramatiquement : sa soeur fuit inopinément la maison et ensuite son père meurt d'une chute dans l'escalier!
Adrienne se retrouve seule, et la seule personne qu'elle fréquente est madame Legras, la nouvelle locataire d'en face. Sa vie pourrait s'être simplifiée, mais ce n'est pas le cas. Jeune et innocente, elle ne sait comment vivre son amour; elle ignore même réellement la nature de cette émotion. De plus, il y a quelque chose de pas net dans le décès de son père. La population de la petite ville commence à chuchoter, car, en plus du comportement un peu étrange d'Adrienne, Mme Legras n'est peut-être pas une fréquentation très recommandable pour elle...
Ce livre présente beaucoup d'affinités avec l'ouvrage précédent de Julien Green, Mont-Cinère. On retrouve dans ce livre aussi une atmosphère d'oppression dans l'intimité, d'un huis-clos entre personnes pas faites pour vivre ensemble. La protagoniste est une jeune fille qui a été tenue à l'écart du vrai monde toute sa vie et qui entre dans le monde adulte sans y être guidée. Les figures d'autorité sont des contraintes et non des appuis, ils ne recherchent que leur satisfaction personnelle. Encore une fois, certains revirements, comportements et raccourcis sont un peu forts, mais on pardonne, car c'est tout de même pour raconter une bonne histoire. Et la fin comprend aussi un dénouement dramatique qui fait table rase du passé.
La souffrance... 8 étoiles

«Nous qui sommes bornés en tout, comment le sommes-nous si peu lorsqu’il s’agit de souffrir?» Marivaux.

Cette citation se retrouve en exergue à l’intérieur de l’édition que j’ai lue, ainsi qu’une préface de l’auteur, Julien Green, que celui-ci a écrite pour la réédition en 1973 de ce livre, publié à l’origine en 1927.

Dans cette préface, l’auteur tente de se rappeler, presque cinquante ans plus tard, d’où l’inspiration lui est-elle venue pour le personnage d’Adrienne Mesurat?
Celui-ci est-il autobiographique, est-il particulièrement influencé par la psychanalyse de Freud introduite à cette période, une démarche analytique à laquelle Julien Green avoue rarement s’adonner après la complétion d’une oeuvre, tout en étant profondément convaincu que, consciemment ou non, ses personnages sont tous des composantes de sa réalité.

Presqu’un siècle plus tard, l’histoire de ce personnage m’a beaucoup émue; la simplicité de l’écriture, la concision du récit, l’adroite faculté de traduire au lecteur l’angoisse, la culpabilité, la solitude, les pauvres espoirs de cette jeune héroïne, presqu’une enfant, nous enfermant en sa compagnie dans son intérieur trouble…
Une lecture oppressante, souvent à la limite du supportable, qui se lit malgré cela comme un suspense jusqu’à l’inéluctable fin.
Un beau portrait de femme dans sa lutte discrète, sans cesse contrariée mais obstinée, contre la médiocrité de son existence.

FranBlan - Montréal, Québec - 82 ans - 18 octobre 2013


4,5 étoiles! 9 étoiles

Julien Green au sommet de son art! Durant la période d'avant guerre il a su nous livrer une série de romans d'excellentes factures (sa meilleure période). L'histoire est haletante, les personnages sont savamment croqués. Un régal!

Auster69 - - 64 ans - 27 août 2010


le monde d'Adrienne 8 étoiles

Je dirais seulement qu'apprendre à connaitre le monde intérieur d'Adrienne permet d'imaginer les représentations et les sentiments qui habitent une personne psychotique. On voit le cheminement d'un psychisme pathologique allant jusqu'à la décompensation psychotique... comment l'auteur a-t-il réussi à restituer de manière aussi juste cette terrifiante intimité?
Un excellent livre...à lire avec empathie!

Isaco - - 51 ans - 18 février 2009