Les Jardins de Mardpur
de Yojana Sharma

critiqué par FROISSART, le 9 mai 2006
(St Paul - 77 ans)


La note:  étoiles
La lecture de Patryck Froissart
Titre : Les Jardins de Mardpur
Auteur : Yojana Sharma
Titre original : The buffalo thief
Traduction de Françoise du Sorbier
Editeur : Albin Michel
ISBN : 2253156019

Tout au long des 700 pages de ce roman, l’auteur introduit le lecteur dans l’univers poétique, religieux, spirituel de l’Inde d’aujourd’hui.
Raman, un modeste employé des postes rêve d’écrire un roman qui le rendra suffisamment riche pour pouvoir participer à la dot de mariage de ses filles jumelles, élevées par ses frères qui, eux, se sont enrichis dans le commerce des sarees qu’ils ont hérité de leurs parents sans en laisser à Raman sa part congrue.
Il rend visite régulièrement à une vieille voyante, Amma, veuve, qui a eu son heure de gloire et de richesse en effectuant les prévisions astrologiques des princes nouveaux-nés dans les cours des maharajahs, et qui vit seule avec sa petite-fille Deepa, sa servante Usha qui raconte à toute occasion des histoires de baolis, et sa bufflonne Jhotta qui donne un lait sans pareil.
Il se trouve qu’Amma souffle à Raman les éléments du roman qu’il écrit laborieusement, et qu’elle prétend qu’elle ne fait que révéler au narrateur ce qu’il a déjà dans sa tête, alors que lui-même est persuadé que l’inspiration lui vient des vertus magiques de la raïta faite à partir du lait de la bufflonne, et que Deepa réécrit les parties manuscrites qu’une par une Raman vient cacher, par peur qu’on les lui dérobe, dans la maison de l’astrologue qui, pour les uns, est peuplée de bhooths, et, pour les autres, recèle le trésor constitué des bijoux donnés par les rois à Amma et à son époux à l’époque où ils prédisaient l’avenir des princes.
L’intrigue principale s’enroule autour de l’écriture de ce roman, dans une foison d’événements grands et humbles de la vie de la petite ville de Mardpur.
L’ensemble se lit avec un plaisir qui croît à chaque chapitre. Les personnages, avec leurs qualités, leurs défauts, deviennent facilement familiers au lecteur qui, rapidement, tant s’habitue à partager leur existence qu’il se crée entre eux et lui une véritable complicité familiale, une authentique promiscuité culturelle, voire un indéniable attachement affectif, si sincère que lorsqu’arrive la dernière ligne le lecteur a l’impression de ce vide dans lequel évolue toute personne qui, d’un coup, se retrouve transportée loin de ses proches, de son quartier, de son pays.
En filigrane est posée la question angoissante, pour tout écrivain, de la panne d’inspiration, alors que Raman est pris à un tel point par la panique de la page blanche et du calame sec qu’il va jusqu’à voler Jhotta pour avoir son lait à demeure et en permanence.
La hantise, pour les parents, du bon mariage pour leurs enfants, le poids de la religion, des castes, des traditions, des superstitions, les mille et uns détails du quotidien, les rêves, les ambitions, et les déceptions des uns et des autres, tout se conjugue ici dans une narration critique, amusée, tendrement moqueuse, d’une Inde toujours attirante pour l’occidental, qui, à la lecture de ce beau roman, ne risque rien d’autre que de perdre quelques-uns de ses préjugés.

Patryck Froissart, le 9 mai 2006