Oeuvre poétique de Léopold Sédar Senghor

Oeuvre poétique de Léopold Sédar Senghor

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie , Littérature => Africaine , Littérature => Francophone

Critiqué par Nathie, le 26 mai 2006 (Paris, Inscrite le 20 mars 2006, 45 ans)
La note : 10 étoiles
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Un grand poète à lire, relire et relire et...!!!!

Ayant découvert le site récemment (avec bonheur…), j’ai été très étonnée de ne trouver aucune critique sur l’œuvre de Léopold Sédar Senghor… Surmontant mon « trac », j’ai pris mon stylo pour vous présenter le recueil de poèmes « Œuvres poétiques » de Senghor.

Né en 1906 au Sénégal, Léopold Sédar Senghor nous a quittés le 20 décembre 2001. Premier agrégé africain de l’Université en 1930 (grammaire), il est nommé, en 1937, professeur de lettres et grammaire au Lycée Descartes à Tours, puis professeur au Lycée Marcelin Berthelot à Saint-Maur-des-Fossés.

Elu député du Sénégal dès 1947, il est élu président de la République du Sénégal dès l’indépendance en 1960, fonction qu’il occupera jusqu’au 31 décembre 1980. Il quitte le pouvoir de son plein gré, laissant sa place à Abdou Diouf, successeur qu’il s’est choisi et a préparé à la fonction.

Parallèlement à ces mandats politiques, Léopold Sédar Senghor a su mener de front une riche activité littéraire. Il réussit à concilier activités politiques et activités poétiques.

Poète de langue française, il publia plusieurs recueils de poésie :
-Chants d’ombre (1945) ;
-Hosties Noires (1948) ;
-Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache (1948) ;
-Langage et poésie négro-africaine (1954) ;
-Ethiopiques (1956) : à mon avis l’un des recueils de poésie les plus aboutis de Senghor. « Chaka » étant pour moi l’un des plus beau poème de Senghor. Par ailleurs, dans sa postface au recueil Ethiopiques, Senghor répond, au nom des « poètes nègres », aux interrogations et aux reproches de certains critiques littéraires ;
-Nocturnes (1961) ;
-Elégies majeures (1979).

Dans son œuvre, il s’est attaché à réhabiliter les valeurs culturelles africaines et à développer le concept de négritude.

L’objet de cette critique n’est pas, bien sûr, de faire un cours sur la notion de « négritude » ou sur les écrivains majeurs de ce mouvement littéraire (de nombreux ouvrages vous renseigneront beaucoup mieux que moi sur ce sujet :-)). Toutefois, dans la mesure où on ne peut, à mon sens, appréhender l’œuvre poétique de Senghor sans connaître, voire plus sûrement comprendre et intégrer, la notion de négritude, je me suis permise de vous faire un petit topo sur cette notion (sans être exhaustive pour autant).

Généralement, on considère trois écrivains majeurs du mouvement de la Négritude : René Maran, Martiniquais d’origine guyanaise ayant fait ses études en France, Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor.

En 1934, Senghor fonde avec Aimé Césaire et Léon Damas la revue « L’Etudiant Noir », où il dépose ses premières réflexions sur la négritude : « La Négritude est la simple reconnaissance du fait d’être Noir, et l’acceptation de ce fait, de notre destin de Noir, de notre histoire et de notre culture », « Objectivement, la négritude est un fait, une culture. C’est l’ensemble des valeurs, économiques et politiques ; intellectuelles et morales, artistiques et sociales, non seulement des peuples d’Afrique noire, mais encore des minorités noires d’Amérique, voire d’Asie et d’Océanie. »

Extrait de « Œuvres poétiques » :
« Ma négritude point n’est sommeil de la race mais soleil de l’âme, ma négritude vue et vie.
Ma négritude est truelle à la main, est lance au poing
Il n’est question de boire, de manger l’instant qui passe
Tant pis si je m’attendris sur les roses du Cap-Vert !
Ma tâche est d’éveiller mon peuple aux futurs flamboyants
Ma joie de créer des images pour le nourrir, ô lumières rythmées de la Parole ! »

On perçoit aisément que les notions de littérature « nègre » et de « négritude », sont des notions ambiguës et qui évoluent selon le regard que l’on pose sur elles, et la période ou les auteurs pris en considération. Ainsi, le terme de négritude n’à pas obligatoirement le même sens, il ne désigne pas les mêmes choses chez Césaire et chez Senghor dans la mesure où le vécu de l’un et de l’autre n’est pas identique (ainsi que l'histoire de leurs pays réciproques).

Ainsi, Léopold Sédar Senghor a longtemps représenté une certaine image de l’Afrique, même si aujourd’hui il est contesté, par certains écrivains africains, comme plus imprégnés de culture blanche et catholique que d’identité africaine… Parlant de ses influences, outre Saint-John Perse et Paul Claudel, il précisera avoir surtout lu et entendu des poèmes négro-africains.

Le recueil de poésie « Œuvre poétique » comprend l’œuvre poétique intégrale de Léopold Sédar Senghor : successivement « Chants d’ombre » (1945), « Hosties Noires » (1948), « Ethiopiques » (1956), « Nocturnes » (1961), « Elégies majeures » (1979), « Poèmes perdus » ainsi que les Dialogues sur la poésie francophone et un ensemble de poèmes divers.

Par ailleurs, il contient également un lexique rédigé par Léopold Sédar Senghor lui-même afin d’expliciter certains termes à ces lecteurs non-africains. C’est significatif de la teneur de ce recueil de poésie : écrit pour les Africains de langue française, il tend vers l’universalisme (comme toute poésie…) et permet à tout individu (Africain ou non-Africain) de s’imprégner d’images, de traditions et de rêves africains.

Concernant le « style » de poésie de Senghor, pour moi, ce qui l’évoque le mieux reste la qualité « musicale » de ses poèmes. Poète « symphonique », Léopold Sédar Senghor précise ainsi en tête de la plupart de ces poèmes, une indication instrumentale « trois kôras et un balafong », « pour flûtes et balafong », « pour tama », « pour riti », « pour khalam », « sur un fond sonore de tam-tam funèbre »…

Senghor lui-même précise d’ailleurs dans le recueil « Œuvres poétiques » que ses poèmes doivent être de préférence dansés et chantés.

« […] on peut réciter un poème selon la tradition française, en soulignant l’accent majeur de chaque groupe de mots. […] On peut encore réciter le poème en s’accompagnant d’un instrument de musique : tam-tam, tama, kôra, khalem, comme le fait Maurice Sonar Senghor. Il s’agit alors de souligner l’accent final du verset et ceux des arêtes lyriques, à la manière du crieur public dans les villages noirs. On peut psalmodier le poème sur un fond musical avec les mêmes instruments ou, de préférence, des flûtes, des orgues ou un orchestre de jazz. […] On peut enfin, chanter vraiment le poème sur une partition « musicale ». […] Je persiste à penser que le poème n’est accompli que s’il se fait chant, parole et musique en même temps ».

Personnellement, j’ai eu l’immense chance d’entendre sur Paris une troupe d’artistes africains danser et chanter à plusieurs voix le poème « Chaka » (Ethiopiques). Magnifique poème évoquant la destinée d’un chef de guerre Africain… Appropriation extraordinaire du texte, imprégnation d’images et surtout découverte du rythme des mots : un griot venant murmurer un poème à mon oreille… J’espère que certains d’entre vous auront la chance d’entendre les poèmes de Senghor. En attendant cette expérience, n’hésitez pas à lire ces poèmes : pour ma part, je pense qu’ils ont énormément apporté à la poésie française contemporaine.

Et comme « on n’est jamais mieux servi que par soi-même », je n’ai pas résisté à citer des certains des poèmes de ce recueil pour vous inciter à le lire ou le relire!!!

Poème : Femme noire, extrait du recueil « Chants d’ombre »

Femme nue, femme noire
Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté !
J’ai grandi à ton ombre ; la douceur de tes mains bandait
mes yeux
Et voilà qu’au cœur de l’Eté et de Midi, je te découvre,
Terre promise, du haut d’un haut col calciné
Et ta beauté me foudroie en plein cœur, comme l’éclair
d’un aigle.

Femme nue, femme obscure
Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir,
bouche qui fais lyrique ma bouche
Savane aux horizons purs, savane qui frémis aux caresses ferventes du Vent d’Est
Tam Tam sculpté, tam tam tendu qui gronde sous les doigts du vainqueur
Ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l’Aimée

Femme noire, femme obscure
Huile que ne ride nul souffle, huile calme aux flancs de l’athlète, aux flancs des princes du Mali
Gazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles sur la nuit de la peau.

Délices des jeux de l’Esprit, les reflets de l’or ronge ta peau qui se moire

A l’ombre de ta chevelure, s’éclaire mon angoisse aux soleils prochains de tes yeux.

Femme nue, femme noire
Je chante ta beauté qui passe forme que je fixe dans l’Eternel
Avant que le destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les racines de la vie.
Poème : Prière de paix (pour grandes orgues), extrait du recueil « Hosties noires »

[…]
« Seigneur Dieu, pardonne à l’Europe blanche !
Et il est vrai, Seigneur, que pendant quatre siècles de lumières
elle a jeté la bave et les abois de ses molosses sur mes ternes
Et les chrétiens, abjurant Ta lumière et la mansuétude de
Ton cœur
Ont éclairé leurs bivouacs avec mes parchemins, torturé mes
talbés, déporté mes docteurs et mes maîtres-de-science.
Leur poudre a croulé dans l’éclair la fierté des tats et des
collines
Et leurs boulets ont traversé les reins d’empires vastes
comme le jour clair, de la Corne de l’Occident jusqu’à
l’Horizon oriental
Et comme des terrains de chasse, ils ont incendié les bois
intangibles, tirant Ancêtres et génies par leur barbe paisible.
Et ils ont fait de leur mystère la distraction dominicale de
bourgeois somnambules.
Seigneur, pardonne à ceux qui ont fait des Askia des maqui
- sards, de princes des adjudants
De mes domestiques des boys et des paysans des salariés,
de mon peuple un peuple de prolétaires.
Car il faut bien que Tu pardonnes à ceux qui ont donné
la chasse à mes enfants comme à des éléphants sauvages.
Et il faut bien que Tu oublies ceux qui ont exporté dix
millions de mes fils dans les maladreries de leurs navires
Qui en ont supprimé deux cents millions.
Et ils m’ont fait une vieillesse solitaire parmi la forêt de mes
nuits et la savane de mes jours.
Seigneur la glace de mes yeux s’embue
Et voilà que le serpent de la haine lève la tête de mon
cœur, ce serpent que j’avais cru mort… »
[…]

Bonne lecture !

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