Viol : Une histoire d'amour de Joyce Carol Oates

Viol : Une histoire d'amour de Joyce Carol Oates
( Rape : a love story)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Montgomery, le 2 juin 2006 (Auxerre, Inscrit le 16 novembre 2005, 52 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 6 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (913ème position).
Visites : 9 098  (depuis Novembre 2007)

Ce que maîtriser son sujet veut dire

L’histoire du viol collectif commis sur Tina Maguire, trentenaire pétillante, en présence de sa fille dans un hangar à bateaux n’a rien de très réjouissant. Sujet délicat donc, mais traité avec quelle maestria par la très grande Joyce Carol Oates.
La victime n’a pratiquement pas la parole , comme pour mieux montrer que la douleur peut être indicible, surtout lorsque les violeurs, conseillés par un as du barreau, invoquent contre l’évidence des actes consentis ( après tout, comme le souligne si bien l’auteur, « la vérité n’est qu’une attirance parmi d’autres. »).

C’est bien là que se situe la grande force du roman : ce qui est suggéré est plus fort et plus parlant que ce qui est dit explicitement; utilisé pour dévoiler les sentiments et les douleurs les plus intimes des personnages, mais aussi pour renforcer l’intrigue ( c’est là qu’on se souvient que J. C. Oates a écrit des polars sous le pseudo de Rosamond Smith), le non-dit s’inscrit comme la clef de voûte de cette belle et subtile construction.

Et puis, il y a Béthel, la fille de Tina. Personnage central du roman, elle est le lien, l’intermédiaire entre Dromoor, moitié ange gardien, moitié justicier , et sa mère qui ne croit plus en grand chose, à commencer par la justice de son pays. Elle est aussi le point d’appui d’une narratrice qui l’interpelle, elle, la victime collatérale du viol de sa mère. Ainsi le lecteur comprend vite que, pour Béthel, il y a désormais un « avant » et « un après » et que la vie et ses problèmes s’affrontent seul(e) : « Tu apprenais que, lorsqu’on ne parle pas de quelque chose, même les gens qui vous sont proches, les gens qui vous aiment, supposent qu’elle n’existe pas ».

Trop de romans au titre abscons, ou trop beau, cachent une histoire étique, mal ficelée, quand il y en a une ; celui-ci, au contraire, s’il propose un titre qui va droit au but, donne la mesure du talent et de la maîtrise de J.C. Oates à piloter une histoire, à dérouler une intrigue.
La science de cette romancière est impressionnante, et, quand elle trouve pareille concrétisation, nous aurions vraiment tort de bouder notre plaisir.

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que justice soit faite…

10 étoiles

Critique de Jfp (La Selle en Hermoy (Loiret), Inscrit le 21 juin 2009, 76 ans) - 9 février 2020

Un roman coup-de-poing par la fine fleur des lettres américaines. Polar noir, très noir, ou histoire d’amour ? Impossible de définir le genre littéraire de ce roman écrit au vitriol, osant la crudité des mots pour décrire l’insoutenable. Un viol collectif, commis sous les yeux d’une fillette de douze ans, non loin du paysage sauvage et urbain des chutes du Niagara. Dans l’ambiance festive et pétaradante de la fête nationale américaine, personne n’a remarqué les cris de la mère et de sa fille, sauvagement agressées par une bande de fêtards imbibés d’alcool et de substances inscrites au tableau. Pour elles, la fête est finie et va les faire basculer dans un autre monde, dont elles ne reviendront jamais intactes. Joyce Carol Oates décrit un monde cruel, où la justice s’avère impuissante devant le pouvoir de l’argent, justifiant la violence comme seule parade à la violence lorsque l’accumulation des preuves et des témoignages ne suffit pas. Un message que ne renierait certes pas Clint Eastwood, dont on connait la morale terriblement désenchantée. Cette Amérique-là, que décrit si bien ce court roman, est-ce le monde que nous voulons ? Est-ce le monde dans lequel nous aussi nous vivons ?

Superbe

10 étoiles

Critique de Cyclo (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 79 ans) - 28 août 2011

Jour de l'indépendance (4 juillet) dans une petite ville en déshérence industrielle des USA, Niagara Falls. On fait la fête. Martine (Tina) Maguire, trente-cinq ans, a copieusement arrosé la soirée chez son ami Casey, mais elle n'est pas ivre. C'est la nuit. Pour rentrer chez elle avec sa fille Bethel (Bethie), douze ans (cinq minutes à pied), elle décide de traverser le parc voisin. Mal lui en prend. Un groupe de jeunes hommes, des désœuvrés éméchés et défoncés, les surprend et les entraîne avec violence dans un hangar à bateaux. Bethie, terrorisée, ne les intéresse guère et, petite souris, parvient à se cacher dans un coin sombre du hangar où les autres oublient son existence. Épouvantée, dans le noir, elle assiste impuissante et sans rien voir, aux violences subies par sa mère, laissée pour morte dans une mare de sang. Dès le départ des tortionnaires, elle se précipite vers la route. Une voiture de police passe. Dromoor le policier croit d'abord que c'est elle la victime, mais elle l'emmène dans le hangar où il découvre, horrifié, la mère (que d'ailleurs il connaît déjà, pour l'avoir rencontrée dans un bar, et qu'il considère comme une amie) ; il appelle les secours. Tina arrive à l'hôpital dans le coma. Elle a été victime d'un viol collectif, frappée violemment, on ne sait pas si elle en sortira ni comment. Mais Bethie, elle, peut parler. Elle a vu certains des assaillants, peut les reconnaître. Même si elle sait que, désormais, son enfance est finie.

Peu à peu, plusieurs des agresseurs sont arrêtés, reconnus par Bethie derrière une glace sans tain. Bethie est recueillie par sa grand-mère. Mais voilà que sournoisement, la rumeur enfle : "La parole de cette femme contre la leur. Tout le monde peut crier au viol". Avant même que Tina sorte du coma. Quelle idée aussi, à son âge, de s'habiller comme une adolescente aguicheuse, d'habituer sa fille à sortir la nuit ; on la dit volage, au fond, elle a bien cherché ce qui lui est arrivé. Après la sortie du coma, des séquelles neurologiques graves sont apparues : difficultés à trouver des mots, amnésie partielle, Tina ne se souvient de rien tout d'abord. Et voilà que les violeurs prennent pour avocat Kirkpatrick, un habitué des causes indéfendables, qui pense que pour les membres d'un jury, "la vérité n’est qu’une attirance parmi d’autres" et que "un doute raisonnable, c'est ce qu'il faut à un jury". D'ailleurs, il "ne suffit pas que ce soit arrivé. Que Tina Maguire ait failli mourir. Il faut aussi que ce soit prouvé". Il est de plus certain qu'il suffit d'un "bon contre-interrogatoire, et elle [la victime] serait discréditée". Et malgré les preuves matérielles indéniables de l'agression (ADN, sperme des suspects) que la procureure énonce lors de l'audience préliminaire, l'avocat retourne la situation en faveur des accusés en prétendant qu'ils ont tenté d'obtenir les faveurs de la jeune femme contre paiement, que l'acte était donc consenti, que Tina réclamait plus qu'ils ne voulaient donner, qu'ils sont partis en colère après l'avoir seulement légèrement frappée, et que c'est un autre groupe de jeunes qui a commis les violences qui ont failli la tuer.

Tina, très diminuée, est estomaquée, incapable de prendre la parole, tant sa douleur morale est indicible ; c'est une femme brisée. Après cette audience, elle s'alite, refuse tout contact, même avec la procureure chargée de l'accusation, et refuse d'en dire plus, désespérée de la justice. Dans la ville, les rumeurs enflent, les mères des accusés défendent avec acharnement leurs chérubins. Seul Dromoor pense qu'il faut agir, que la justice ne sera pas correctement rendue, car il a bien vu à l'audience la connivence entre le juge et l'avocat de la défense, "le regard qu'ils échangeaient, un regard indiquant une entente subtile, du respect. Il se dit Les salopards. Ils sont sûrement membres du même yacht-club". Devant le risque d'un acquittement scandaleux, c'est Dromoor qui va se charger d'une justice à sa façon.

Tout ça ne vous rappelle rien ? Cherchez bien ! Non ? Eh bien, à moi, ça me rappelle plein de choses, beaucoup même, énormément ! Je suis bouleversé de cette lecture, j'ai été scotché par ce court roman de Joyce Carol Oates, intitulé Viol, une histoire d'amour (Seuil. Points, 2007). Totalement ému par ces personnages dévastés, tandis que les violeurs plastronnent, sûrs d'être acquittés. Par cette petite Bethel, deuxième victime, harcelée par ses camarades de collège, tous plus ou moins parents ou amis des familles des violeurs, et qui n'ose pas parler de ce harcèlement à sa grand-mère ni à sa mère : elle ne dit rien même, plus tard, à son mari. Elle comprend qu'il faut épargner "les adultes de ta famille". En effet, "lorsqu'on ne parle pas de quelque chose, même les gens qui vous sont le plus proches, les gens qui vous aiment, supposent qu'elle n'existe pas".

Et puis, je lis ceci : "Kirkpatrick a chargé une équipe d'enquêteurs juridiques d'essayer de salir les victimes de ses clients. Sa stratégie consiste à attaquer les victimes, Martine Maguire en l'occurrence, à donner l'impression qu'elle a cherché ce qui lui est arrivé. Kirkpatrick pense que si les jurés ont le sentiment qu'une victime mérite sa punition, ils n'ont pas envie de punir l'accusé, mais s'identifient à lui". Ce passage ne vous rappelle-t-il pas des événements récents ?

En fin de compte, tous les viols ou les tentatives de viol, se ressemblent. Les victimes sont salies de toute façon. Deviennent coupables, en quelque façon, comme on le voit dans une affaire actuelle. On comprend pourquoi, au final, la plupart ne portent jamais plainte.


Un titre banal pour un livre qui ne l'est pas

8 étoiles

Critique de Elya (Savoie, Inscrite le 22 février 2009, 34 ans) - 28 mai 2010

Un sujet (un viol et les vies qui en découlent) assez redondant dans la littérature, et pourtant j'ai choisi d'emprunter ce livre, car il était écrit par cette grande écrivain américaine contemporain qui j'en étais sûre n'allait pas me décevoir.

Ce fut le cas ; une écriture fluide, une atmosphère pesante, l'aperçu d'un espoir tout au fond de l'histoire, des personnages sincères envers le lecteur, qui décrivent leurs émotions sans jamais tomber dans les banalités ou l'extravagance.
Le fait que le narrateur s'exprime essentiellement au travers de la fille de la victime, témoin passive du viol, rajoute de l'intérêt et de la douleur à l'histoire.

Il ne se passe pas grand chose ici, mais le livre n'est pas trop long, ce qui nous laisse juste le temps d'admirer les diverses facettes du talent de JC Oates.

Dur, mais magnifique !

10 étoiles

Critique de Laurent63 (AMBERT, Inscrit le 15 avril 2005, 50 ans) - 18 mai 2007

Ce livre est très dur à lire car l'histoire est racontée avec beaucoup de détails, mais sans jamais tomber dans les clichés. L'auteur maitrise parfaitement le sujet de ce roman, elle nous fait prendre part aux événements avec un talent extraordinaire. La violence est toujours présente, mais là encore on ne tombe pas dans le déjà vu, c'est du grand art avec beaucoup de respect. C'est un livre magnifique qui prouve, si besoin est, le talent de Joyce Carol Oates. Elle réussit à nous entrainer dans l'ambiance sordide du viol collectif, de son procès et de sa vengeance sans nous répugner ou nous dégoûter. Bravo, à lire absolument, attention aux âmes sensibles.

L'amour sera plus fort

8 étoiles

Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans) - 26 juillet 2006

C'est une histoire d'amour. Celle d'une femme avec la vie. Celle d'une enfant pour sa mère. Celle d'un flic pour la justice. Celle d'un lecteur pour des personnages détruits.
Un 4 juillet comme tant d'autres à Niagara Falls, un viol collectif, une enfance qui prend subitement fin et le commencement d'atroces rumeurs disant "Elle l'a bien cherché". Face au poids des accusations et du doute qu'elle lit partout dans le regard des autres, Tina Maguire préfère se taire, renoncer au procès et s'enfermer dans une semi-démence éthylique. Sa fille Bethel veille, aidée par Dromoor, un flic qui exerce la justice de manière très particulière.

Pas de voyeurisme chez Joyce Carol Oates, ce n'est pas son truc et c'est très bien. Ses mots pour dire ce qu'il y a autour d'un fait sont bien plus percutants que toutes les images qu'elle voudrait nous livrer. Très tôt la révolte s'installe face à cette injustice hélas encore trop fréquente de la victime devenue coupable. On ne sort pas indemne de cette lecture, il y a de la colère mais aussi énormément d'attachement ressenti pour les protagonistes, tant Tina que Bethel.
Oates n'a pas son pareil pour raconter la noirceur et la souffrance en les conservant vivantes, palpables, presque remplies d'espoir. Parce que même quand tout est noir, il y a de la vie. Encore et toujours.

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