La contorsionniste
de Éric Warnauts (Scénario), Raives (Dessin)

critiqué par Shelton, le 4 juin 2006
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
L'écriture est un art difficile...
Quand une bande dessinée est signée de deux noms, nous aimons bien savoir qui fait le dessin, qui écrit le scénario. Mais si dans certains cas, la question entraîne des réponses simples et précises, dans le cas de Warnauts et Raives les choses sont beaucoup plus compliquées… Alors, prenons le temps d’en parler quelques instants…
Comment travaillent Warnauts et Raives ? C’est simple, très simple… Si on les écoute, on commence par avoir un projet que les auteurs laissent mûrir, parfois assez longtemps, plusieurs années même. Puis, Eric Warnauts écrit un scénario avant que Guy Raives en fasse le découpage. Ces deux phases sont quand même interactives car à tout moment ou presque les deux compères s’écoutent et tiennent compte des remarques de l’autre… Guy Raives apporte ce côté cinématographique que l’on aime tant dans leurs travaux. C’est lui qui offre cette rapidité, cette efficacité de la narration graphique, ce rythme… C’est à ce moment là que Guy réalise le crayonné. Mais ce crayonné est repris par Eric qui fait aussi le lettrage. Le crayonné évolue de jour en jour, et c’est véritablement le moment où je crois qu’il faut parler de dessiner à quatre mains ! Une fois le crayonné terminé, il faut bien arrêter de le faire évoluer à un moment, ils le projettent sur papier aquarelle et c’est Guy qui met les couleurs. Enfin, ils mettent l’encre, mais c’est impossible de savoir qui est l’encreur, peut-être les deux, après tout… Ils ont l’air de travailler tellement à l’unisson…
Ces deux auteurs ont une longue carrière commune puisque le départ pourrait être en 1985 quand il propose un scénario à Guy Raives, Paris-Perdu, éditions Mijade… Mais, malheureusement, ce premier opus n’est plus disponible… Deux étapes vont marquer leur carrière : la création de Lou Cale, 1987, les aventures d’un photographe journaliste new-yorkais, série qui nous présente à chaque album une enquête policière et qui a connu un certain succès et qui a été rééditée en noir et blanc, petit format aux Humanoïdes associés ; mais, plus fort encore, leur entrée dans le magazine (A suivre), envisagée depuis 1978… mais concrétisée avec Congo 40 en 1987… Guy Raives a du mal à cacher que c’était leur objectif : « On voulait en être, on voulait voir notre signature dans ce magazine que nous lisions tous les deux depuis longtemps. Ce ne fut pas simple, mais c’est quand même arrivé un jour et ce fut un vrai bonheur ». La suite des publications communes n’est qu’une liste de réussites : L’innocente, Equatoriales, Intermezzo, L’envers des rêves, Lettres d’Outremer et le chef d’œuvre en neuf volumes, Les suites vénitiennes…
La contorsionniste est avant tout le récit, au quotidien, d’un pseudo romancier à la recherche de son inspiration, un homme qui attend de pondre le roman du siècle… Mais c’est aussi un homme, ancien du Vietnam, Harold qui part à Londres et qui tout en vivant une aventure revit une partie de sa vie pour finir par comprendre un peu mieux qui il est… Romancier ? Scénariste ? Raté ? Mari incapable d’aimer ? Recueil de souffrance ? …
Cette très belle histoire est parfaitement racontée par ces deux auteurs de bédé qui montrent que cet art narratif convient parfaitement aux récits de vie, ce qui deviendra, au fil du temps, une de leurs grandes spécialités…
C’est donc à lire ! C’est de la bande dessinée adulte et pour adultes, du travail abouti et de qualité qui ne rougira pas de rester dans vos livres au milieu de vos romans préférés…