Spartacus
de Arthur Koestler

critiqué par Manu_C, le 12 juin 2006
( - 55 ans)


La note:  étoiles
Révolution avortée
Ne pensez pas avoir entre les mains le script du film de Kubrick ou bien celui de «Gladiator », il s’agit de l’un des trois romans d’Arthur Koestler consacrés aux « révolutions avortées » avec « Le Zéro et l’Infini » et « Croisades sans croix ». Donc amateurs de romans d’aventures et de combats épiques, passez votre chemin, vous seriez bien déçus.

L’ouvrage est structuré en trois parties d’importances inégales :

- la première débute par l’évasion des 70 gladiateurs puis leur fuite à travers le pays qui s’accompagne de victoires surprenantes sur l’ordre établi et par l’accroissement en nombre des fugitifs jusqu’au nombre de 70 000.
- La deuxième, la plus politique, vous présente la construction de la cité du soleil, où se concentrent l’ensemble des fuyards, son organisation, véritable modèle socialiste, et ses interactions avec le monde extérieur. Koestler, dans cette partie, insistera beaucoup sur le modèle politique et législatif. Cette illustration atteindra son paroxysme lorsque Spartacus, confronté à une rébellion interne, remettra en cause ses pleins pouvoirs jusqu’à la rupture du modèle ; il aura le choix entre la dictature extrême (réprimer la révolte dans le sang) ou l’attitude plus conciliante (effectivement adoptée) mais aux impacts négatifs sur la cohésion de la communauté et qui finiront par causer sa perte. L’auteur insiste beaucoup dans la postface sur cet élément crucial de l’ouvrage en le mettant en perspective avec la décision de Roubatchev dans le Zéro et l’infini pour finalement conclure que le résultat est le même, à savoir de totalement dénaturer la révolution.
- La troisième nous emmène dans le déclin du mouvement jusqu’à son extinction qui se terminera par la traque et la mort de l’ensemble des insurgés ; plus romanesque, elle comporte cependant quelques moments choisis très intéressants à travers les réflexions de Spartacus et de Crassus, consul lâché à sa poursuite.

L’autre intérêt de l’ouvrage dans sa structure narrative est de présenter tout au long du récit différents regards récurrents sur cette révolution, à travers un greffier à Capoue, un habitant de Thurium, cité voisine de la cité du soleil et d’autres intervenants cycliques au sein du groupe « révolutionnaire ». Ces interventions récurrentes sur la progression du mouvement et de ses impacts illustrent souvent la résistance au changement de l’homme et les différents modèles de société confrontés au sein de l’ouvrage.

Loin d’être un cours de politique ou d’analyse de la révolution, cet ouvrage se révèle tout aussi recommandable que le Zéro ou l’Infini ou Croisades sans Croix et certainement plus facile à lire. Certes, l’ouvrage est plutôt noir et pessimiste, mais n’oublions pas que l’auteur est un déçu du communisme et que cette déception est à la hauteur de son engagement précédent (que ce soit pendant la guerre d’Espagne ou en URSS).

Peut être un peu démodé par son style et par son sujet, cet ouvrage n’est pas désagréable à lire et très intéressant sur le fond. L’auteur fait dire par un de ses personnages dès le début du livre « Nous sommes au siècle des révolutions avortées », force est de constater que cette remarque n’a pas de limites dans le temps…