Portrait de l'artiste en jeune homme de James Joyce

Portrait de l'artiste en jeune homme de James Joyce
( A portrait of the artist as a young man)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Feint, le 15 juin 2006 (Inscrit le 21 mars 2006, 61 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (12 048ème position).
Visites : 7 963  (depuis Novembre 2007)

Déjà l’œuvre est en cours.

Il y a des livres dont on se dit : « Il faudra que je le relise ». Lu il y a vingt ans en version originale, A portrait of the artist as a young man ne me laissait plus qu’un souvenir fragmentaire, dont je ne savais trop si je devais imputer l’insuffisance simplement au temps qui passe, à ma connaissance imparfaite de l’anglais, à l’exigence de l’écriture de Joyce ou simplement à l’immaturité du lecteur que j’étais à l’époque. Autant de raisons pour en reprendre la lecture, en français cette fois, dans une traduction dont j’ai d’ailleurs apprécié la limpidité. A cette relecture, je me suis souvenu que j’avais pris autrefois un plaisir intense à la lecture du long premier chapitre – l’enfance de Stephen –, collage de scènes d’une précision extrême dans les sensations, sans que vraiment les choses soient dites :
« Puis, à la porte du château, le recteur avait serré les mains de ses parents, sa soutane palpitant dans la brise, et la voiture était partie avec son père et sa mère dedans.
Ils lui avaient crié, de la voiture, en agitant les mains :
« Au revoir, Stephen, au revoir !
– Au revoir, Stephen, au revoir ! »
Il fut pris dans le tourbillon d’une mêlée, et, redoutant les yeux étincelants et les bottes boueuses, il se pencha pour regarder entre les jambes. »
J’ai été entraîné à me méfier de l’identification du lecteur au personnage. Pourtant (peut-être est-ce dû à l’ancienneté de ma première lecture), j’ai souvent eu l’impression, surtout vers le début de livre, d’y lire, si j’ose dire, mes propres souvenirs – des souvenirs imaginaires. C’est probablement aussi lié au fait que Stephen, double sur papier de Joyce, partage forcément l’essentiel de ses souvenirs avec l’auteur.
La suite, je dois le reconnaître, je l’ai lue avec un intérêt plus distancié. On y voit comment, parallèlement à une dégradation de la situation financière de la famille de Stephen, le milieu catholique extrêmement pratiquant dans lequel il évolue l’amène au seuil d’une carrière ecclésiastique dont il se détourne finalement avec une brutalité nécessaire (car sinon inefficace). La description de cet itinéraire intérieur est marquée par la même précision déjà évoquée. Mais ce que je n’ai pas trouvé dans le livre – sans doute parce qu’à tort je l’y cherchais –, c’est la truculence et l’humour de l’auteur d’Ulysse, que Joyce deviendra, mais qu’il n’est pas encore.

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Les éditions

  • Portrait de l'artiste en jeune homme [Texte imprimé] trad. Ludmila Savitzky... James Joyce trad., préf. de Jacques Aubert...
    de Joyce, James Aubert, Jacques (Editeur scientifique) Savitzky, Ludmila (Traducteur)
    Gallimard / Collection Folio.
    ISBN : 9782070385690 ; 10,30 € ; 03/11/1992 ; 473 p. ; Poche
  • Dedalus [Texte imprimé], portrait de l'artiste jeune par lui-même James Joyce traduit de l'anglais par Ludmila Savitzky
    de Joyce, James Savitzky, Ludmila (Autre)
    Gallimard / Collection Folio
    ISBN : 9782070365708 ; 8,60 € ; 09/11/2001 ; 367 p. p. ; Broché
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L'éveil d'une vocation

9 étoiles

Critique de Eric Eliès (, Inscrit le 22 décembre 2011, 50 ans) - 24 juillet 2014

"Dédalus" est le récit de la vie d’un homme, des premiers instants de sa vie (quand il était encore un tout-ti-bébé) jusqu’à sa première décision d’adulte, quand il décide de tout quitter pour, au risque de la solitude, conquérir sa liberté en se confrontant au monde et s’affranchir de toutes les entraves qui musellent la vocation d’artiste qu’il sent s’éveiller en lui. Ce récit autobiographique est écrit à la 3ème personne sauf dans les dernières pages rédigées sous forme de journal intime à la 1ère personne, quand Stephen affermit sa décision de quitter l’Irlande et exalte l’appel des routes et des navires, ainsi que la beauté des départs.

La magie du récit repose sur la fluidité du style de Joyce, qui brasse avec une grande acuité les souvenirs en isolant les évènements qui émergent comme des amers dans la mémoire de Stephen, dont la personnalité se construit peu à peu en même temps qu’elle se révolte contre les incidents et les écueils d’une vie fortement marquée par le contexte social et religieux de l’Irlande à la fin du XIXème siècle. Joyce ne cherche pas à restituer exhaustivement les détails d’une vie vécue : son style restitue parfaitement les mouvements de la mémoire, qui enjambe parfois les années (passant insensiblement ou brutalement de l’enfance à l’adolescence puis à l’âge adulte) et se focalise sur certains évènements, parfois triviaux (le pipi au lit de la petite enfance, une grosse dispute de ses parents un soir de Noël, les punitions chez les Jésuites, les repas au réfectoire, etc.) parfois essentiels (notamment la scolarité chez les Jésuites, la découverte coupable du plaisir dans la fréquentation des prostituées, les troubles de la conscience face aux mystères de la religion, la retraite sous le patronage de St François-Xavier et les sermons du prédicateur qui provoquent l’affolement de Stephen qui se sait être en état de pêché mortel, les discussions avec ses parents, avec ses amis et collègues, etc. - nota : les frères et sœurs de Stephen sont parfois mentionnés mais sont curieusement transparents dans le récit).
L’omniprésence de la religion et du contexte social des luttes d’émancipation de l’Irlande apparaît comme un carcan pour Stephen, qui étouffe dans le microcosme de Dublin. Etre d’exception à l’intelligence remarquable et remarquée par les Jésuites et par l’Université, Stephen, après s’être sondé et découvert désireux d’ailleurs, refuse la carrière qui s’ouvre à lui dans la prêtrise et, au désespoir de ses parents dont la situation matérielle s'est fortement dégradée mais qui ont consenti à d’importants sacrifices pour permettre ses études, s’intéresse de plus en plus à l’art et aux théories philosophiques sur la beauté. En fait, Stephen se montre souvent solitaire et taciturne, même dans ses discussions où il est souvent péremptoire en faisant étalage d'une grande culture classique. Les dialogues constituent d'ailleurs pour moi le point faible de l'oeuvre car ils sont souvent trop littéraires, malgré quelques détails aux accents de vérité. Dans le même temps, Stéphen éprouve un désir secret pour une amie d’enfance devenue jeune fille mais ne s’ouvre pas à elle : cet amour refoulé épanouit sa voix intérieure qui lui dicte presque, dans un demi-sommeil, son premier poème.

L'édition "Dédalus" est précédé d’une très intéressante préface de la traductrice (Ludmila Savitzky), qui explique les difficultés de son travail (notamment ses relations avec les éditeurs) et la façon dont Joyce fut découvert puis accueilli en France (chaleureusement mais tardivement en raison de l'hésitation des éditeurs - Savitzky ne se prive d'ailleurs pas d'adresser quelques piques à Gallimard/NRF).

vertes années

10 étoiles

Critique de Jfp (La Selle en Hermoy (Loiret), Inscrit le 21 juin 2009, 76 ans) - 12 septembre 2010

Comme le titre le suggère, il s'agit d'un récit des jeunes années du célèbre écrivain irlandais. Stephen Dedalus, que l'on suit de l'enfance à l'aube de l'âge adulte, découvre à travers le regard des autres et grâce à sa propre introspection ce qui sera son destin: celui d'un homme seul, qui se sent différent des autres et ne parvient guère à communiquer autrement que par la littérature et l'érudition. Son angoisse existentielle, fortement imprégnée d'interdits religieux, acquis grâce à une scolarité complète chez les jésuites puis au Trinity College de Dublin, est faite de culpabilité. Le conflit entre son caractère rebelle et les modèles prônés par les "bons" pères en charge de son éducation en ont fait un être renfermé, degoûté de lui-même et de son désir de vivre. Ce récit au pessimisme sublimé par l'écriture, jaillissante d'inventions de toutes sortes (collages de chansons populaires, de citations, report de mille et un faits d'observation courante), rappelle "Mort à crédit" (Louis-Ferdinand Céline) et l'on a vite fait de rapprocher ces deux écrivains, aux destins et aux idées pourtant fort différents. Le regard de James Joyce est attentif à tout ce qui fait la richesse du petit peuple de Dublin, dont il observe et nous rapporte les faits et gestes quotidiens (voir aussi "Gens de Dublin", du même auteur). On entre plus facilement dans cette oeuvre de jeunesse, dont le récit reste linéaire, que dans les oeuvres de la maturité, comme "Ulysse", dont l'aspect kaléidoscopique peut rebuter le lecteur non averti. Reste qu'il faut, pour apprécier "Portrait de l'artiste en jeune homme", avoir une certaine culture religieuse (catholique romaine) et avoir effectué des études classiques, les nombreuses citations latines qui émaillent le récit échappant sans doute à la plupart des lecteurs actuels, ce qui est malheureusement mon cas...

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