Par temps clair
de Philippe Annocque

critiqué par Scénarandco, le 27 juin 2006
( Ivry sur Seine - 70 ans)


La note:  étoiles
Une petite musique...
L'effet le plus prégnant et le plus durable du dernier roman de Philippe Annocque c'est qu'il vous laisse, en touches claires, mais inscrites au tréfond, le souvenir de "cette petite voix", qui envahit insensiblement votre espace intérieur, puis qui, rapidement, vous accompagne dans vos rêves et que vous êtes content de retrouver au réveil, déjà presque comme une amie...
Cette petite voix, c'est celle qui, un beau jour, fait irruption dans la tête du narrateur, qui lui parle à la deuxième personne du singulier et que vous ne tardez pas à entendre vous même...

Au réveil, j'ai donc repris la lecture et, le livre fini, je me suis pris à vous adresser cette critique, avec des phrases que j'aimerais, courtes, précises, précieuses, comme tirées de cet étrange et fascinant roman d'un genre nouveau.

Une des qualités de Philippe Annocque (et pas la moindre pour le lieu où je poste), c'est qu'il vous donne l'illusion qu'écrire est facile.
La preuve, je m'en sens soudain le courage.
Le véritable virtuose fait oublier la difficulté de la partition pour ne retransmettre que les sensations, les impressions, les sentiments qui font dire au poête : "la musique parfois me prend comme une mer..."
Philippe Annocque vous entraîne vers ce "sentiment océanique", mais avec beaucoup plus de légèreté, sans pédantisme (et sans renfort de citation).

Mais alors, l'histoire me direz-vous ?
Une période de vacance, imprévue et un emploi du temps qui s'improvise au jour le jour, pour un homme comblé, reconnu, que les promotions successives et la reconnaissance professionnelle n'ont pas figées dans ses certitudes.
Paul jouit des fruits de son travail, d'une confortable demeure (qui fait l'admiration de ses parents), entretient une relation qu'il ne qualifie pas d'amoureuse avec une femme de 10 ans sa cadette qui se donne pour le plaisir, avec tendresse et sans arrière pensées. Il rend visite à son frère, jardine, cuisine... Son univers nous devient vite familier.
On est tout de suite "pris".
A cause de cette trouvaille narrative, la "petite voix", bien sûr. C'est que dans ce dialogue permanent entre la pensée qui s'élabore au fil de l'écriture et notre narrateur, Paul devient très vite plus qu'un personnage... Nous entendons la même "petite voix", qui le connaît de toute éternité, et ses moindres secrets nous sont révèlés...
Il ne nous reste plus qu'à l'accompagner tandis qu'il fait retour sur ses femmes aimées (qui reparaissent au détour d'une exposition où surgissent au détour d'un souvenir), pour l'aider à murer définitivement la grande bâtisse froide qu'il abandonnée aux nostalgies, au passé.... Et nous remettre à espérer avec lui...
Et puis qui sait ? Peut-être trouvera-t-il une nouvelle route ensoleillée, et accostera-t-il à une demeure lumineuse et aérée...
Et si la petite musique de cette voix en avait été la clef ?
En vacance 8 étoiles

Etre en vacances, c'est en général un moment attendu. Paul Beaufils les apprécie et les occupe sportivement chaque année. Mais un travail terminé plus tôt que prévu lui laisse une semaine libre, une semaine de vacance.
L'inactivité est dangereuse. Elle laisse la place à la réflexion, à l’introspection ;
sa conscience se met à lui parler, utilisant de façon très originale, la deuxième personne pour s'adresser à lui.
Un discours intérieur, permanent, dérangeant, l'obligeant à une mise au point, un bilan de sa vie au mitan de celle-ci.
Que ce soit dans sa vie amoureuse, familiale, amicale, il est observé, analysé ; chaque choix, chaque engagement ou absence d'engagement, aboutissant à ce constat d'une vie solitaire et égocentrée.
"Fais donc un peu attention aux autres, ne pense pas qu'à toi, ces phrases là viennent de loin, tu te dis que tu aimerais bien te les dire, tu n'y arrives pas vraiment, tu n'y crois pas vraiment, peut-être n'ont-elles pas vraiment de sens."
Il peut ne plus entendre cette voix ; il suffit qu'il accélère le pas, qu'il soit très occupé et elle s'éloigne, le laissant en paix quelques heures.
"C'est drôle, tout de même, tout ce qu'on peut voir se passer en soi, pourvu qu'on y regarde, c'est si drôle que, peut-être, ça ne s'y passe pas."

On l'a tous entendu cette voix ; lors d'une pause volontaire ou pas, elle nous oblige au questionnement, pointant le moment ultime pour prendre une décision.
L'auteur nous emmène dans une lente promenade introspective avec une très belle écriture.

Marvic - Normandie - 66 ans - 31 octobre 2016


Le "tu" qui fait..grandir? 10 étoiles

En exergue:
Pas nécessairement une aile
Steven Jay Gould ( L'adaptation, La foire aux dinosaures)

Association d'idées pendant cette lecture,Louis Aragon avec:

Il n'aurait fallu
Qu'un moment de plus
Pour que la mort vienne
Mais une main nue
Alors est venue
Qui a pris la mienne

Qui donc a rendu
Leurs couleurs perdues
Aux jours aux semaines
Sa réalité
A l'immense été
Des choses humaines


La " main" étant remplacée par ce "tu"...
Première phrase: Tu es mort. Derniers mots:parce que bien sûr tu n'es pas mort encore; parce que bien sûr, depuis toujours , tu meurs.

Entre-temps, dans le bref moment d'existence de ce personnage , le " tu" va dominer. Le "tu qui lui parle en permanence. De tout. Le "tu" qui lui dit , par exemple, que sur les choses simples, naturelles, il faut mettre des noms pour qu'elles existent. Et qu' il faut les regarder. En botanique, il sait bien le faire. Dans d'autres domaines, un peu moins.
Le "tu" qui le dérange, quand même, qui dérange sa quiétude, son sommeil alors qu'il n'a pas l'impression de dormir . Le "tu" qui traverse la carapace de défenses mises en place au fil des années pour des raisons qui lui sont propres et qui le protègent de la souffrance . Mais qui parvient à lui faire prendre conscience juste d'un détail, que la couleur de ses dessins pâlit avec le temps..

Le temps...

Oui, c'est bien comme ça qu'il faudrait faire, comme Jules, quand il joue sur son ordinateur: sauvegarder! Il est fort, ce mot, grandiloquent; il y a là quelque chose de crucial: sauvegarder, garder sauf, afin de pouvoir y revenir en cas d'erreur, en cas d'errance, à ce moment là, à cette situation, et la retrouver telle quelle, inchangée, aussi vive, aussi présente qu'au premier jour, prête à se développer, à croître, à former de nouveaux rameaux , à mettre tes vies au pluriel. C'est comme ça qu'on peut envisager l'infini, l'éternité; plutôt que d'essayer vainement de tout connaître, de tout savoir faire. Plutôt que d'essayer de compter, un, deux, trois, quatre, jusqu'au bout; se contenter de deux et trois, par exemple , se les approprier, sans rien chercher ni au-delà ni en deçà, se contenter de leur intervalle, et le partager, le partager encore, dès que le besoin s'en fait sentir, à perpétuité: après tout, le temps qui te sépare de ta mort, quelque court qu'il soit, tu pourras toujours le diviser.

Mais l'espace de temps de la vie ne se divise pas à l'infini. Et la sauvegarde n'existe pas.
Il n'est pas mort, ce personnage, mais il n'est pas vivant non plus. Il attend de vivre.
Cette sorte de mentisme insistant, presque pathologique, c'est un .. réveil. Un tournant. Une naissance? Ou du moins une sortie de l'enfance où l'on croit que tout est éternel et qu'on peut prendre son temps. Où on tue des personnages dans des jeux vidéos, sauf qu'ils renaissent à chaque fois. Où on pense qu'à ses parents, on parlera la prochaine fois. Où on a des amies "du moment".
Mais le temps, c'est comme les couleurs, ça passe.

C'est un beau roman sur la possibilité de l'évolution d'un être humain, la naissance d'un " Je". D'un " moi". D'un homme.

Paofaia - Moorea - - ans - 4 janvier 2014


Le temps peut être clair sans que l’horizon soit dégagé … 8 étoiles

C’est comme pour l’eau. L’eau. Vous avez la source, le torrent, la mare, les rivières, les fleuves, … C’est de l’eau tout ça mais peu de commune mesure à priori entre ces différentes formes.
Pour les romans, c’est pareil. Certains vous emmènent comme des torrents impétueux, sans nuances misant tout sur une action débridée. D‘autres ont le débit lent et inexorable du fleuve, emportant tout sur leur passage, tout en force et conviction. Certains sont de simples mares, un peu statiques, aux eaux troubles. Et d’autres coulent comme une source, l’eau limpide, cristalline, qui coule goutte à goutte ou qui suinte, qui disparait dans une rigole du pré et qui réapparait un peu plus loin, chantante et dansante. On peut la croire tarie ou fragile et elle est là, toujours. Elle chante sa petite chanson d’eau claire qui va aller gonfler d’autres fleuves, d’autres mers …
« Par temps clair » est de ceux-là. La « petite musique » est là tout au long des pages, qui serpente, qu’on croit perdue et qui, non, de toutes façons ira jusqu’à la mer, parce qu’elle n’a pas l’intention de finir en mare.
Nous vivons les affres –affres, c’est beaucoup dire quand même – de Paul Bonfils, un enseignant, qui vit seul et qui commence à s’en rendre compte, qui commence à se demander s’il n’a pas raté quelque chose. Il y a des tournants dans la vie, comme ça. Autour de Paul Bonfils, il y a Lauren, une femme un peu plus jeune que lui qui gravite autour de lui. Il y a eu Isabelle, par le passé, à laquelle il se met à beaucoup penser, à beaucoup repenser, plutôt. Il y a que Paul Bonfils a l’âge des états d’âme, des remises en question.
Au fil de ses rencontres avec son frère, ses parents, Isabelle, Lauren, on va suivre le filet d’eau claire qui chemine, forcément, mais qui n’a pas son cours enraciné, taillé, comme celui d’un fleuve.
Par petites touches réalisées à coup de petits chapitres, Philippe Annocque nous trimballe, hors certitudes, à travers le pré de la vie. Son style, aérien, jamais catégorique, laisse planer tout doute, n’interdit aucune incertitude … La vie quoi !

“Il paraîtrait donc que tu serais quelqu’un de bien, tu vois ; c’est ce qu’elle t’a laissé entendre, Isabelle. C’est bien ce que tu as cru comprendre. A moins que ce ne soit simplement par désir de te différencier de ton successeur. Les raisons de votre séparation n’auraient, à ses yeux en tout cas, rien à voir avec, disons, avec le bien et le mal. C’est là, si tu y penses bien ; c’est à ce moment-là que tu as dû te dire qu’elle non plus, en réalité, ne croyait pas que vos retrouvailles puissent avoir une suite, c’est à ce moment là que tu as supposé, que tu as pressenti peut-être, qu’elle avait agi par acquit de conscience, après une hésitation probable. Il vous manquait sans doute un épilogue. »

Tistou - - 68 ans - 25 décembre 2010


Un si beau temps clair 9 étoiles

Ce livre m'a parlé et j'ai aimé ses mots.
Combien cela semble simple, écrit comme l'auteur l'a fait !

L'histoire d'abord. Un week-end, chez des amis. Leurs enfants, leurs cris, leurs rires "tu peux penser à ces enfants qui ne sont pas les tiens et qui n'en sont peut-être que plus faciles à aimer". Et la voix intérieure, le double va commencer son travail d'introspection. C'est parti pour -presque- toute la durée du roman. Le "tu" est de mise, du début à.. je ne dévoilerai pas !
Première phrase donc : "Tu es mort". Mort virtuelle d'un jeu vidéo, uniquement. Mais... pour vivre vraiment, ne doit-on pas faire mourir un passé non fini, un passé qui s'est seulement effiloché, sans fin réelle ?
Puis, le week end terminé, Paul Bonfils "comme ils disent" revient chez lui. C'est un homme installé. Un métier d'enseignant, une maison achetée depuis deux ans, un jardin. Il vit seul. Lauren, pourtant, est dans sa vie. Ça, c'est pour "l'extérieur" du personnage.
L'intérieur va s'avérer être bouillonnant, envahi, foisonnant de pensées.
Pensées à propos de tout, de rien, précises, abstraites, fatigantes, essentielles surtout, même si elles ne le disent pas. Ébullition de paroles intérieures. Pas dites. Gardées. Un dialogue avec lui-même.
Jusqu'au moment où, une première fois, avec son frère, alors même qu'il ne s'y attendait pas vraiment.. mais si, la confiance, les liens qui les unissent permettent aux mots de sortir. C'est bon de pouvoir parler.
"Tu vois : finalement, tu as bien fait, finalement d'obéir à cette impulsion[..] tu as plus ou moins obtenu ce que tu voulais, ce que quelque chose en toi cherchait, pas là où tu l'attendais bien sûr.. pour la première fois, tu as été amené effectivement à le reconnaître, à le formuler, à le verbaliser devant un tiers. Voilà ce que tu peux te dire : tu penses, tu t'entends penser -"entendre", ce n'est pas le bon mot, non, peut-être seulement le moins impropre, mais peu importe. Car même maintenant, alors qu'en effet tu t'entends penser, cette pensée n'est pas, n'est plus ressentie comme une menace, comme une tumeur". (certains mots sont mis en italique, ce n'est pas possible ici).
Un autre évènement majeur va apparaître et modifier la longue parole intérieure... Je m'arrête là. A vous, maintenant !

La proximité avec ce personnage m'a semblé évidente, la présence de ce double qui nous envahit tous, à certains moments de nos vies, avec plus ou moins de force, qui nous permet -à condition qu'il ne nous dévore pas totalement- de pouvoir réenchanter notre vie. Ces pensées, ces doubles à la fois rassurants et pénibles à traîner qui nous éloigne des autres, d'une vie qu'on voudrait plus simple.
J'ai pu aussi m'identifier facilement avec le personnage quand il parle de sa passion pour la botanique, moments d'observation et de description où la pensée s'organise autour de quelque chose de concret, de rassurant, de terre à terre, de reposant comme quand, lors d'une promenade autour de chez lui, il nous donne une belle description de Ruscus aculeatus, nom latin du fragon petit houx.
Et, sans rien dévoiler de la fin, le livre fait une boucle, comme celle qu'il aurait justement voulu faire lors de cette promenade, pour revenir chez lui.
J'aimerais lire d'autres critiques de ce livre, lire comment d'autres ont reçu ces phrases qui m'ont si bien accompagnée.

Garance62 - - 62 ans - 14 juin 2009