L'homophobie
de Daniel Borrillo

critiqué par Veneziano, le 28 juin 2006
(Paris - 47 ans)


La note:  étoiles
Pour avoir les idées en place
Daniel Borillo, pénaliste et universitaire, commence par définir l'homophobie, puis en fait l'histoire, pour en analyser les pratiques, et enfin conclure sur les manières de lutter contre elles.
Le chapitre sur la définition permet d'en voir l'apparition, les différentes catégoriques et d'en opérer les classifications, difficilement envisageables dans leur ensemble pour un non-averti. On est là entre linguistique et anthropologie.
Puis, vient l'historique, déjà mieux connu. On apprend néanmoins que, dans la Grèce antique, l'homosexualité était perçue, à un stade juvénile, comme une forme d'initiation et qu'elle était instrumentée dans la formation militaire dans la conception du sentiment héroïque ; néanmoins, à l'âge adulte, l'homosexualité exclusive, notamment masculine, était mal perçue, alors que la bisexualité était tolérée. A Rome, l'homosexualité est plus sévèrement réprimée, notamment dans son époque tardive avec l'influence chrétienne, mais déjà antérieurement en raison de volontés de puissance démographique. La suite réserve moins d' "inédits.
La troisième partie, de nature anthropologique, est essentiellement sociologique et contemporaine : on y apprend comment les homosexuels sont perçus, les degrés divers d'hostilité, moindres envers les porteurs de clichés que ceux, perçus comme ambigus, chez qui la pathologie serait moins visible : et on a droit à la sociologie des homosexuels, spécialement face à leur rejet, puisque c'en est l'objet, et les graves conséquences qu'il peut avoir, sur leur exclusion, sociale et même familiale, l'auto-contrôle de ses instincts et la tentation, importante par rapport aux autres, du suicide.

Le style est concis et clair, et l'on pressent le personnage brillant, maître de conférences en droit privé, Argentin exerçant en France, une sorte d'Hector Bianciotti des libertés fondamentales, du droit pénal et des sciences sociales de l'homosexualité.

L'ouvrage, très pédagogique, permet d'apprendre ce qu'on ignore, de recadrer les idées sur le sujet et d'éliminer ainsi, ce qui est le but de cet ouvrage, les clichés erronés.
Il est donc aussi intéressant qu'il constitue une invitation à l'ouverture d'esprit et, plus largement, à la nuance de jugement.
Impasses égalitaristes 3 étoiles

Le terme homophobie, que j’ai introduit dans la langue française de France 1977, a atteint en 2004 à la sur-notoriété et envahit le vocabulaire politique. L’homophobologue Daniel Borrillo le définit ainsi : « hostilité (psychologique ou sociale) à l’égard des personnes désirant leur propre sexe » (page 26, 2e édition). Le point fort de cet opuscule est le survol, assez précis, de textes réprimant ou stigmatisant ce comportement minoritaire, depuis les textes « sacrés » des Hébreux jusqu’aux lois en vigueur dans d'assez nombreux pays du Tiers-Monde. La répression des comportements des hommes homosexuels par les nazis (dite abusivement "holocauste gay") et la réprobation par l’Église catholique sont assez bien documentées.

Quelques oublis importants sont cependant à déplorer, dont les injonctions d’hétérosexualité conjugale dans les Évangiles : Evangile selon Matthieu, XIX, 4-6: « mâle et femelle faits par Dieu ; l'homme s'attachera à sa femme ; ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas. » C'est repris dans l'Evangile selon Marc, X, 7-9 ; la remarque de l’existence de ces injonctions, faite à Mgr Jacques Gaillot lors d’un débat à l’ENS-Ulm, l’avait laissé sans voix. Oublié aussi le déplorable mais très influent article "Sodomie" dans l’Encyclopédie (1765), et la longue période "homophobe" du Parti Communiste Français et de toute la gauche française.

L’auteur s’enlise dans la distinction des homophobies clinique, anthropologique, libérale, bureaucratique-stalinienne, irrationnelle, cognitive, etc., donnant par cette accumulation l’impression (évidemment fausse) que pas une voix ne se serait élevée, dans la philosophie, l’histoire ou la littérature occidentale, pour approcher objectivement la question. Sigmund Freud et Jacques Lacan sont bien trop rapidement disqualifiés ; les références aux oeuvres de Freud, note 2 de la page 62 de la 1ère édition, sont très incomplètes. Indigente rhétorique de victime ... Il aurait été plus intéressant de distinguer l’homophobie positive, qui s’exprime, et le préjugé négatif, qui passe sous silence, par indifférence ou volonté de censure, l’existence de l’homosexualité ; préjugé négatif fort apparent, par exemple, dans le Magazine de la santé de France 5, et précisément dans sa rubrique sexo.

L’autonomie de l’hétérosexualité vis-à-vis de la procréation, déjà affirmée par les libertins, les philosophes (notamment le marquis de Sade et Nietzsche, après les Grecs), puis par la psychanalyse, n’est presque pas évoquée ; c’est pourtant un argument plus qu’intéressant : l’avortement et la contraception s’écartent bien davantage de la nature que la masturbation ou l’homosexualité. Le concept de liberté est écartée d’un revers de plume sous prétexte qu’au contraire des droits .., il n’aurait pas de contrepartie (page 72 de la 2e édition, à laquelle se réfèrent les références ultérieures) ; il est inattendu qu’un enseignant en droit exhibe ainsi son oubli de la notion de responsabilité, et de l’article 1382 du Code civil ! On a vu depuis que Daniel Borrillo méconnaissait aussi l’article 75 du même Code, puisqu’il a prétendu que ce Code civil était muet sur l’aspect hétérosexuel du mariage ...

Les causes de l’homophobie sont décelées dans la peur de sa propre homosexualité ("explication" tautologique, qui n’explique donc rien), et dans l'organisation de la société dite "homophobe" selon deux sexes qui n’auraient que peu de choses à voir avec la nature ; Daniel Borrillo y voit, prétendant suivre les traces de Michel Foucault, "une entreprise politique assujettissement des individus" ... (page 90). Ce "différentialisme sexuel" priverait les homos du "droit au mariage" ; Borrillo critique ce sous-mariage que serait le PACS au nom du principe constitutionnel d’égalité des sexes imposé comme absolu et radical.

On objectera que la distinction des deux sexes étant constitutive tout autant de l’hétérosexualité que de l’homosexualité, cette dernière n’annule donc pas cette différence (J.-L. Bory disait rechercher le "corps frère"). Si l’on supprimait la mention du sexe sur les cartes d’identité et autres papiers officiels, comme l’avait imaginé humoristiquement le regretté Philippe Muray, ainsi que les appellations Monsieur, Madame, maman, papa (dira-t-on alors camarade ?) cela suffirait-il pour faire admettre à tous ... ce qui n’existe pas ? L’obsession de l’égalité selon le juriste Borrillo conduit à de bien curieuses impasses.

Ccourouve - - 81 ans - 14 septembre 2010