Qu'il me soit permis de m'étonner que les livres de Jean Rouaud ne recueillent pas davantage d'écho auprès des lecteurs de 'Critique libre". La plupart d'entre eux ("Des hommes illustres", "Le monde à peu près", "Pour vos cadeaux", "Sur la terre comme au ciel", "L'invention de l'auteur" ) attendent toujours leur chroniqueur alors que nous avons affaire, à mon humble avis, à l'un des plus remarquables auteurs de langue française apparus au cours des quinze dernières années.
Concernant plus spécifiquement, "L'imitation du bonheur", je me rallie, dans ses grandes lignes, à l'excellente critique qu'en a fait Reginalda.
Peut-être convient-il, cependant, d'en dire un peu plus quant à l'action et aux personnages du roman. Celui-ci est centré autour des deux belles figures de Constance et d'Octave: l'une est une femme d'origine modeste que les aléas de la vie ont quasiment contrainte à céder aux avances d'un industriel peu ragoûtant qui deviendra son mari, l'autre est un jeune homme ayant activement participé à la Commune et miraculeusement échappé aux terribles massacres qui ont suivi son écrasement. La plus grande partie du roman se situe au cours de trois journées pendant lesquelles Constance voyage en diligence entre Le Puy et Saint-Martin-de l'Our tandis qu'Octave erre dans la même région tentant de fuir la féroce répression qui s'abat sur les communards. Alors qu'elle semble résignée à vivre une existence terne, étriquée, la rencontre inopinée qu'elle fera d'Octave bouleversera cependant l'existence de Constance qui s'ouvrira à l'amour et au désir de justice sociale.
Autour de cette trame très schématique, Rouaud tisse mille variations, nous entraîne dans moult digressions centrées autour de cette même question: comment est-il encore possible d'écrire une telle histoire au vingt et unième siècle?
La réponse est évidemment constituée par son magnifique roman.
Reginalda a bien mis en exergue l'originalité de celui-ci, la subtilité des procédé utilisés. Je n'y reviendrai donc pas. Une petite remarque cependant: je ne pense pas que Rouaud ait une vue schématique, trop idéalisée de la Commune. En fait, il réserve sa pleine adhésion au courant anti-autoritaire, libertaire même qui existait au sein de celle-ci (incarné par Vallès, Courbet, Louise Michel, Lissagaray, Varlin) et s'opposait au courant jacobin majoritaire se situant dans la filiation de Blanqui, qui aurait volontiers instauré un régime de terreur calqué sur celui de 1794.
Qu'on ne croie surtout pas que nous avons ici affaire à un roman didactique, ennuyeux. Au contraire, le livre de Rouaud déborde de vie, ses innombrables digressions nous font tantôt sourire, tantôt réfléchir et la lecture du livre constitue un véritable régal.
Guermantes - Bruxelles - 78 ans - 21 janvier 2008 |