Prenez un bricoleur dont le cerveau affaibli est aussi déglingué que les bagnoles cabossées par des congénères qu’il méprise, même si cela le fait vivre, dans un quartier dont l’appellation
(« Celui qui boit de l’eau est un idiot ») est aussi pittoresque que les mœurs de ses habitants . Vous avez là le décor amusant d’African Psycho.
Ce type, à tête rectangulaire, se trouve moche. Il se le dit chaque jour qu’Angualima, son assassin de héros fait. Il rêve de l’imiter. Il lui voue un culte régulier. Ses visites sont intéressées pour les conseils prodigués de sa tombe. En même temps le Maître le méprise, et le carrossier démontre son masochisme.
« Grand Maître » repose après s’être supprimé, estimant qu’il a accompli son devoir, à savoir commettre le plus de crimes parfaits, en faisant trembler les chaumières et pisser les plumitifs de la presse à sensations, sans être pris.
Il rêve donc d’égaler le « Grand maître ». Pour cela il s’est mis en tête de supprimer une fille. Ce devra être une prostituée venue de l’autre côté du fleuve, exercer son métier avec des clients assez fantaisistes.
L’auteur cite en dédicace Hermann Ungar : « J’ai tué un être humain, mais il me semble que je n’ai pas fait cela moi-même ». L’on peut se demander si Mabanckou n’a pas surpassé son inspiration morbide au travers de lectures de ce tchèque morbide.
Aurait-on un double, un ange maléfique, se dédouble-t-on ? que se passe-t-il dans l’au-delà quand les vivants conversent avec leurs défunts ? Mabanckou recoure à ces interrogations éclectiques dans le récit. La psychanalyse est bonifiée par sa truculence. Le lecteur peut aussi, à côté d’une lecture très savoureuse, se payer une psychanalyse bon marché, en lisant entre les lignes.
Le héros ordinaire se nomme Grégoire Nakoboyamo. Il lui arrive de s’abîmer longtemps dans des rêveries qui n’en finissent pas, heureusement que Mabanckou écrit avec faconde ! L’une de celles-ci est la capture d’une étoile qu’il mettrait en cage pour l’éclairer en se passant de soleil. Mabanckou nous livre le bric-à-brac de la parfaite péripatéticienne, sorte d’inventaire drolatique à la Prévert.
Je ne parle pas de la chute. Chutt !
Cela se lit avec amusement. L’irrévérence de l’auteur doit beaucoup, et au monde occidental, et à son Afrique, qu’il peint, au loin, à Manhattan, avec ses inventions littéraires grand-guignolesques, que l’on déguste comme on le fait de fruits savoureux et délétères.
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1893-1929. Ecrivain tchèque de langue allemande. Contemporain de Kafka, Ungar est un maître des destinées sordides. Ses nouvelles ( Editions ombres) ne sont jamais très longues, souvent sous forme de récit, mais que l'on se jure de ne plus lire. Cet univers malsain, glauque, peuplé d'avortons humiliés par l'existence, de frustrés sexuels, de meurtriers miséreux, de destinées persécutées et cruelles effraie le lecteur bien portant et le renvoie systématiquement à un troublant acte voyeuriste, voire masochiste. A partir de 1920, il acquiert peu à peu une belle notoriété qui n'est pas sans rapport avec l'admiration que lui porte Thomas Mann. Puis tout s'accélère. Le 10 octobre 1929, il demande un congé sans solde de six mois au ministère des Affaires étrangères pour se consacrer uniquement à la littérature et quitte son poste de secrétaire de légation à l'ambassade de Tchécoslovaquie à Berlin. Cinq jours avant la naissance de son second fils. Le 28 octobre, il meurt d'une crise d'appendicite aiguë. (in le Matricule des anges avril 1993).
Habertus - - 81 ans - 6 août 2009 |