Le moine, l'Ottoman et la femme du grand argentier
de Vénus Khoury-Ghata

critiqué par FROISSART, le 2 juillet 2006
(St Paul - 77 ans)


La note:  étoiles
La lecture de Patryck Froissart
Titre : Le moine, l’Ottoman et la femme du grand argentier
Auteur : V. Khoury-Ghata
Editeur : Actes Sud 2003
ISBN 2742749241
Collection Babel

A la fin du 18e siècle, alors que commence l’épopée napoléonienne, un moine trinitaire, le frère Lucas, quitte son monastère savoyard, avec un âne et une mission : retrouver et ramener à son époux, le grand argentier de Saint Jean d’Acre, Marie, femme doublement infidèle qui s’est enfuie avec Jaffar Bey, ambassadeur du sultan ottoman Sélim III, et l’a épousé, scandaleusement, sous le régime de la mitaa (régime matrimonial musulman qui permet à un homme d’épouser une femme pour un temps limité et uniquement pour le plaisir, à l’exclusion de toute fin de procréation).

L’ordre des Trinitaires s’est spécialisé dans la recherche et le rachat des chrétiens capturés et mis en esclavage par les Barbaresques.
Un périple initiatique entraîne le jeune moine, jusqu’alors ignorant des réalités du monde séculier, tout autour de la Méditerranée, à travers l’Espagne, où il fait la connaissance de Goya, puis le Maghreb, où il découvre l’Islam et perd sa virginité avec l’étrange Amina, vit quelque temps chez la chaleureuse Maryamou, Touareg chrétienne, et chemine jusqu’en Anatolie, sur les traces de Marie, de qui il est devenu amoureux fou, et dont il croise la route à plusieurs reprises (la rencontre nocturne dans un ancien palais d’un roi des Aurès, devenu la folle demeure d’un ex-ambassadeur de France en Turquie qui s’est converti au soufisme et se fait appeler Sidi Alphonse est d’un romantisme échevelé).
Il perd plusieurs fois son âne, est volé, battu, devient, dans un hameau macabre, polisseur d’objets récupérés dans les tombes antiques, seul homme à travailler dans le quartier des femmes dont les cuisses ouvertes excitent à la fois son souvenir d’Amina et son désir de Marie, est jeté en prison, et vit une cascade d’aventures jusqu’à ce que Marie, rejetée par son amant, naufragée sur les côtes d’Alger, meure en mettant au monde le bâtard de Jaffar.

Récit rocambolesque, certes, mais plutôt riche d’enseignements sur les cultures méditerranéennes de l’époque, sur la confrontation des mondes chrétien et musulman, sur la vision, par les personnages orientaux, d’un Occident dont les ambitions expansionnistes, hégémoniques et universalistes commencent à se lire dans l’Histoire immédiate.

Curieusement, le rythme de la narration est soudainement rompu par l’auteur aux deux tiers du récit, lorsque le personnage principal, le moine Lucas, par les yeux de qui le lecteur vit l’action, est remplacé par Yakout, l’esclave de Marie.
Ce changement d’angle, regrettable, n’est pas une réussite littéraire.

Abstraction faite de cette erreur d’écriture, le roman vaut d’être lu.

Patryck Froissart, le 2 juillet 2006