Cette série me semble une grande réussite tant dans le domaine de la bande dessinée, cet art narratif que je tente régulièrement de vous présenter, que dans le domaine humain, philosophique serais-je tenté de dire, car cette série est beaucoup plus qu’un amusement…

C’est d’ailleurs un grave problème que de vouloir présenter une telle bande dessinée car beaucoup de lecteurs, y compris parmi vous, ne pensent pas un seul instant que l’on puisse raconter des choses sérieuses en utilisant la bande dessinée comme outil narratif. Cela me fait penser à ceux qui sont surpris d’entendre de la poésie mise en chanson partant du principe que la chanson ne peut être qu’un assemblage de niaiseries bon marché pour midinettes en manque d’émotion… Oui, il faudrait, une bonne fois pour toute, comprendre qu’un roman de 300 pages peut ne pas dépasser les émotions superficielles tandis qu’une chanson de 3 minutes ou une bande dessinée de 46 planches peuvent atteindre les questions existentielles. Il en est de même, rassurez-vous, pour un jeu vidéo, un court métrage, un sketch… Non, il n’y a pas d’art mineur, il y a juste des grands et des petits auteurs…

Protecto est une série de bande dessinée qui va aborder le destin des hommes : existe-t-il un Dieu ? Les hommes sont-ils libres ? Sont-ils manipulés par grand horloger qui tiendrait leurs destins en ses mains ? Chaque homme aurait-il un ange gardien derrière lui pour le sauvegarder avant de l’abandonner, un jour, sur ordre ? Non, vous ne rêvez pas, ce sont bien les thèmes abordés dans cette série de bande dessinée. Certes, il n’y aura pas de grands discours philosophiques ou théologiques, même si, parfois, certains dialogues sont dignes des textes de Platon…

Pour plonger dans ces réflexions hautement métaphysiques, Zidrou, le scénariste, s’appuie sur une histoire solide qui cheminera entre réalisme et fantastique. Mais n’appelons-nous pas fantastique ce que nous n’arrivons pas à expliquer ?

Tout commence par une crèche vivante comme si l’humanité prenait naissance entre un âne et un bœuf, animaux qui ne semblent pas s’apprécier tant que cela… Quant aux anges… Kim et Alicia… Tiens, moi qui croyais que les anges n’avaient pas de sexe…

Mais, voilà, nous sommes en présence d’une société «Protecto» qui organise la protection de certains humains, les Elites. Ces « anges gardiens » ont beaucoup de travail sur la planche car il existe, aussi, une certaine Madame et son fidèle secrétaire Curriculum, que l’on surnomme dans d’autres civilisations la Grande Faucheuse…

Il arrive, parfois, que Madame se trompe, se laisse emporter par ses envies et répande la mort en ne respectant plus les informations du « scriptor ». Ce qui pourrait n’avoir qu’une petite incidence sur la vie des hommes en laissant quelques instants de plus à l’un ou l’autre, devient source de travail pour ces pauvres « scripto-programmateurs » qui doivent tout remettre à jour pour que la vie puisse continuer sur cette terre en respectant ce qui est écrit, ce qui est décidé…

Qui de Kim ou Alicia est protégée ? Pourquoi le destin ne se déroulera-t-il pas comme prévu et écrit ? Pourquoi Madame s’acharnera-t-elle contre cette pauvre famille qui n’a jamais rien demandé à personne ?

Il y a plusieurs niveau de lecture dans cette bande dessinée et en particulier dans cette « Genèse » qui donne toutes les règles de cette histoire. Un niveau initial, celui de cette famille qui ne cherche qu’à trouver le bonheur, y compris en jouant cette crèche vivante un soir de Noël… Mais il y a aussi l’affrontement entre les protecteurs et Madame, combat dont l’enjeu est tout simplement la mort pour les uns ou les autres… Il y a, bien évidemment, les erreurs de distribution qui obligent les acteurs cachés à refaire jouer des épisodes de vie, enfin, certaines séquences de la vie… Enfin, il y a les hommes et les femmes qui tentent de se libérer de ce destin obligatoire : vivre, aimer et mourir… Oui, mais librement !

Les personnages imaginés par Zidrou et dessinés par Matteo sont crédibles, même les plus surprenants ! Les dessins et les couleurs de Mattéo, sans être révolutionnaires, construisent une narration graphique d’une grande efficacité, dotée d’une grande sensibilité avec de nombreux gros plans sur les visages très expressifs…

J’ai beaucoup aimé cette bande dessinée et je ne peux que vous la recommander en vous avouant, quand même, que les plus jeunes lecteurs risqueront d’être quelque peu désarçonnés par se destin qu’ils pourront se mettre à craindre… Le défaut majeur de cette série est de mettre le lecteur en dépendance… Oui, quand sera-t-il possible de lire la suite ? L’avantage, pour vous en tous cas, c’est que la suite est déjà sortie puisque le premier cycle, le prolongement logique de cette «Genèse», est déjà en librairie et, parfois, en bibliothèque !

Ce genre de série démontre que la bande dessinée est arrivée depuis longtemps à un niveau de maturité qui lui permet d’aborder de nombreux sujets. Lorsque c’est réalisé par des auteurs talentueux comme Zidrou et Mattéo, c’est du pur bonheur !

A lire, à relire, à offrir, à prêter, à acheter, à emprunter… et plus, si affinité !