L'enjomineur - 1792
de Pierre Bordage

critiqué par Numanuma, le 22 juillet 2006
(Tours - 51 ans)


La note:  étoiles
Ca ira, citoyen, ça ira... jusqu'à la guillotine!
Je ne sais pas pourquoi ma belle-mère m’a offert ce roman pour Noël 2004 mais qu’importe, ce fut une bonne idée. Une très bonne idée même. Je n’avais jamais entendu parler de Pierre Bordage auparavant, je ne connaissais pas ce bouquin, bref, je ne me suis pas jeté dessus, je l’ai mis de côté en attendant que l’envie de le lire me vienne et elle est venue longtemps après.
Nous sommes en 1792, la Terreur s’installe lentement dans le royaume de France. La Vendée est en ébullition car elle ne reconnaît pas les lois promulguées par Paris au nom de la nouvelle devise Liberté, Egalité, Fraternité. Elle ne voit dans la naissance des prêtres assermentés qu’une nouvelle forme de despotisme où de nouveaux maîtres remplacent les anciens. Les aristocrates du coin veulent rétablir la royauté d’avant, celle des parlements locaux, les révolutionnaires voient là une façon inespérée d’en finir avec les privilèges mais en profitent pour faire main basse sur les biens du clergé et deviennent au final ceux qu’ils combattent.
C’est dans ce contexte qu’Emile, né de parents inconnus, on le dit fils de la fée Mélusine, élevé par un curé dont les idées un peu trop larges l’ont condamné à un exil en plein bocage vendéen, s’engage comme saisonnier dans une ferme aux alentours de Luçon. Pour lui, ni l’Ancien Régime ni la révolution ne semble capables de réunir le genre humain et il refuse de s’engager dans l’un ou l’autre des camps, position pour le moins ardue à tenir en ces temps troublés.
Cornuaud, lui, rentre au pays, à Nantes, après 2 ans de voyage à bord d’un négrier. La ville a bien changé depuis son départ et ses anciens acolytes de la pègre nantaise sont désormais des membres actifs et zélés du club révolutionnaire de saint Vincent. Cornuaud aussi a changé : il est envoûté par une sorcière vaudou pour avoir violé une petite négresse sur le bateau.
Paris est en effervescence, Paris bruisse de rumeurs et de violence ; une société secrète, la secte de Mithra, semble tirer de bien puissantes ficelles en coulisse et reste impénétrable aux efforts de la police.
Ce sont 3 histoires qui nous sont données ici avec un talent certain pour la reconstitution historique et l’utilisation du patois vendéen très proche, dans son travail de reconstitution, des Fables de l’Humpur du même auteur. Le roman touche aussi aux légendes anciennes qui parcourent notre héritage culturel et oppose avec habileté les Lumières et le monde sombre et inquiétant de l’invisible, celui des contes, des farfadets et des lutins, des fées et des sorcières. Un monde chasse l’autre mais celui qui arrive semble n’être qu’une prison dorée pour l’humanité.
Pas de temps mort dans ce récit haletant dont l’amour n’est pas absent mais sans niaiserie, les chapitres, un chapitre par protagoniste, s’enchainent aisément et l’on n’est jamais perdu. L’habileté de l’auteur tient également à sa façon d’opposer subtilement la province et Paris. La Vendée est vue comme un immense puzzle de villages, de coins perdus, de fermes isolées, de forêts sombres, d’oppositions entre la Plaine, le Bocage, les villes et les campagnes alors qu’au fond, le pays entier offre en temps normal une unité que l’on devine derrière les affrontements fratricides. A l’inverse, Paris offre une image trompeuse d’unité : c’est LA grande ville, la capitale, le lieu du pouvoir. Les divers quartiers sont indiqués mais leur opposition politique est jugulée par la même volonté farouche d’un finir avec le trône de France, les privilèges de naissance, l’inégalité. Cependant, Pierre Bordage montre bien les diverses factions en lice pour la conquête du nouveau à prendre. Même si Paris, de par son statut, son enceinte, ses symboles, donne l’impression d’unité, au final, elle est beaucoup plus divisée que la Vendée ; plus dangereuse aussi.
Le seul reproche que j’ai fait à ce très bon roman à l’époque est que les volumes suivants n’étaient pas encore sortis lorsque j’eus fini celui-ci. C’est donc le compte-rendu de ma seconde lecture que je donne ici avant de me lancer avec plaisir dans la lecture des volumes suivants : 1793 et 1794.
un excellent cru Pierre Bordage, plus historique que fantastique 8 étoiles

La critique ci-dessous englobe les 3 romans de « L’enjomineur » : 1792, 1793 et 1794, que je place en une seule fois dans la critique du 1er tome.

Pierre Bordage, à la fin du 1er tome 1792, écrit que « ce ouvrage n’est pas à proprement parler un roman historique ».

J’affirme quant à moi, que toute la trilogie « L’enjomineur » n’est pas à proprement parler un roman de fantasy ! En effet, c’est vraiment le côté historique qu’il a dépeint qui frappe ! Le côté fantasy est minimaliste et je dirai presque que ce n’est là que pour justifier l’auteur dans son statut d’écrivain de science-fiction (inoubliables « Les guerriers du silence » !).

Mais bon, on va dire que c’est un roman historique mâtiné de fantasy, ou un roman de fantasy dans une trame historique, au choix.

Donc l’aspect fantasy a son importance, il est le fondement du récit et son fil directeur. Mais c’est surtout la trame historique qui vaut le détour et fait recommander chaudement qu’on le lise !
L’histoire entière se déroule, comme les années du titre l’indiquent, durant la Révolution française. Le 1er tome se passe essentiellement en Vendée, avant la révolte des vendéens et nous fait découvrir les circonstances qui ont préparé et abouti à cette révolte. Le 2ème tome se passe surtout à Paris, et nous fait découvrir la vie quotidienne d’un grand réalisme des parisiens sous la Terreur qui allait toujours croissant. Et le 3ème tome nous fait revenir, pour la plus grande part, en Vendée et nous fait découvrir le soulèvement vendéen et sa répression par les troupes de la Convention, une guerre terrible et atroce.

Ainsi, pour moi, c’est vraiment la reconstitution historique de cette époque qui m’a surtout le plus marqué, me faisant découvrir la réalité crue de la Révolution, faite de crimes innombrables, digne des horreurs du stalinisme, bien loin des images d’Epinal qu’on nous joue le plus souvent. J’avoue que j’en ai été surpris et fasciné, moi qui n’avais que des connaissances surtout théoriques et politiques de cette époque révolutionnaire, sans avoir vraiment conscience à quel point cela a été sanglant et cruel. Notre démocratie actuelle est donc fondée sur des massacres sans nom… Il n’y a pas d’accouchements sans douleurs….

C’est donc avec un très grand intérêt que j’ai lu cette trilogie de Pierre Bordage, en parcourant avec les héros principaux, Emile et Cornuaud, leur chemins de croix et de sang dans le contexte cette France de la Révolution. C’est passionnant et édifiant à la fois. Et la touche de fantasy ne gâte rien, ne dénature pas le récit, qui est quand même une intrigue fantastique à la base.

Bref, de très bons bouquins, instructifs et distrayants à la fois, qui donnent sans cesse envie d’en savoir la suite et se lisent sans difficultés, d’un bout à l’autre, portés par une écriture très bien maîtrisée et homogène. On sent là tout le métier de l’auteur, au sommet de son art. Mais quand même, tant de scènes sanglantes, tant d’horreurs qui se suivent, faut avoir le cœur accroché pour ne pas éprouver la lassitude du « trop c’est trop » !

Un excellent cru Pierre Bordage que cet « enjomineur ». Toutefois, « Les guerriers du silence » ont encore ma préférence. À lire surtout pour l’aspect historique plus que pour la fantasy.

Cédelor - Paris - 53 ans - 16 mars 2018


L'Enjomineur, 1792 10 étoiles

Pierre Bordage (1955- ) est un auteur de science-fiction français (Vendée).
C'est avec sa trilogie Les Guerriers du silence, vendue à 50 000 exemplaires, qu'il rencontre le succès.
L'Enjomineur est un cycle de fantasy historique composé de trois romans. "L'Enjomineur, 1792", le 1er opus est publié en 2004.

L'histoire a pour cadre la Vendée et se déroule après la Révolution française. Le roman est construit autour de deux personnages: Émile, l'enfant trouvé, est réputé fils de la fée Mélusine. Élevé par un prêtre rationaliste, il est confronté au jugement et s'éprend d'amour pour Perrette, avant de rencontrer le petit peuple et d'autres créatures, puis de partir pour Paris. Cornuaud est un ancien négrier possédé par une sorcière vaudoue qui lui fait payer ses erreurs passées. Il est "enjominé"...
Au fil de l'histoire, les liens se resserrent entre ces deux personnages.

Un roman très richement documenté et qui livre la face cachée de cette période post-révolution. La violence extrême rythme le quotidien de toutes les classes sociales.
La justice est inexistante ou expéditive.
Pierre Bordage respecte les vérités historiques et y mêle quelques touches de féerie.

J'ai adoré cette oeuvre passionnante où l'on apprend autant que l'on se passionne en suivant Emile et Cornuaud.
Les 2 personnages sont attachants et les dernières pages ne laissent d'autre choix que de ...lire la suite.
Un visage de l'écrivain que je ne connaissais pas.
Un excellent moment de lecture !

Frunny - PARIS - 59 ans - 11 novembre 2017


Du bon Bordage dans un registre inhabituel 10 étoiles

Pierre Bordage a fait dans ce roman une sortie de son univers habituel de la science-fiction pour donner dans le roman historique mêlé de fantasy.
On sent qu'il a voulu traiter là d'un thème qui lui était cher (la révolution française) tout en faisant une déclaration d'amour à sa Vendée natale (allant jusqu'à faire parler beaucoup de ses personnages dans un savoureux patois vendéen).
J'ai apprécié l'absence de parti pris : Bordage ne veut pas faire une thèse favorable à tel ou tel camp (en l’occurrence la chouannerie versus les révolutionnaires), mais s'efforce de montrer la réalité de ce que vivaient les 2 bords et leurs motivations (en ne cachant ni les bons ni les mauvais côtés).
Les thèmes habituels de Bordage sont repris : humanisme, interrogations sur le bien et le mal, importance du spirituel...
Je vais attaquer le deuxième tome (1793)...

JEANLEBLEU - Orange - 56 ans - 19 octobre 2013