Les Errances Druon
de Claude Louis-Combet

critiqué par Feint, le 1 août 2006
( - 61 ans)


La note:  étoiles
Retour à la "cougne"
Citons honnêtement la quatrième de couverture, signée par l’auteur soi-même :
« Saint Druon est une figure très populaire du folklore religieux du Nord de la France où il est donné comme patron des bergers. Sa légende remonte au XIIe siècle. Elle rapporte qu’ayant provoqué la mort de sa mère à sa naissance, Druon éprouva dans son enfance un puissant sentiment de faute personnelle. Arrivé à l’adolescence, il s’enfuit du château familial, rompit tous liens avec sa classe aristocratique qui lui promettait un bel avenir et, afin de faire pénitence, s’engagea comme gardien de troupeau de moutons. Considérant ensuite que seul le pape pouvait l’absoudre de ce qu’il regardait comme le meurtre de sa mère, il fit neuf fois le pèlerinage à Rome, sans jamais pouvoir rencontrer le souverain pontife. Il revint alors dans son village d’adoption, s’enferma dans un ermitage et, pendant quarante ans, jusqu’à sa mort, mena la vie de reclus. »
Ce résumé des sources de l’auteur peut assurément passer pour un résumé objectif du livre lui-même. D’où vient alors que ce livre me laisse une impression si forte, moi si peu soucieux de religion, a fortiori de sainteté, toujours prompt à hausser le sourcil voire l’épaule à chaque occurrence du mot « foi » – forte impression que sans doute je n’aurais d’ailleurs pas eue à la seule lecture des « Petits Bollandistes », source de Louis-Combet ?
Il y a un second paragraphe à cette quatrième de couverture :
« Le narrateur, mythobiographe, s’empare de cette trame édifiante et romanesque. Il y insinue sa propre part de rêverie fortement hérétique et quelque peu érotique, sur la quête de la sainteté, l’expérience mystique, le désir de fusion amoureuse avec la Terre et la Femme, Vierge et Mère. La méthode implique l’abandon à la toute-puissance de l’identification inconsciente. Mais la langue intervient pour transmuer cette matière de ténèbre en transparence de prose et pur espace de texte. »
Je le lis rapidement. En fait, je n’aime guère les quatrièmes de couvertures. C’est toujours un peu du prédigéré. Ou encore on n’y comprend rien. Les éditions Corti elles-mêmes, qui publient Louis-Combet, ont longtemps résisté à ce qui passe désormais pour une obligation éditoriale. Celle-ci, je la lis rapidement mais tout de même, je la lis, puisqu’elle est signée C.L.-C. Au passage des mots s’accrochent à ma mémoire : « mythobiographe ( ?), « s’empare », « insinue sa propre part » (voilà qui me parle davantage), « hérétique / érotique » (évidemment), puis, vers la fin : « la langue », « pour transmuer… »
Maintenant que je le relis, évidemment, il m’est facile de dire que le premier paragraphe n’est que le résumé objectif d’un récit éminemment subjectif. Ce récit, cette vie de Saint-Druon, pour moi lecteur, et lecteur irréligieux, c’est comme une béquille (« trame (…) romanesque ») – de la sorte de celle qui m’a manqué sans doute quand, il y a quelques années, je suis passé à côté de Mémoire de bouche, du même auteur, plus jeune. Et précisément, c’est bien le reste, cette part d’ombre extraordinaire, propre à l’auteur, qui est à l’origine de ma fascination durable – la même avec laquelle, enfant, je regardais les gargouilles de Notre-Dame. Les ténèbres (d’autres diraient les fantasmes) de Louis-Combet sont pleines d’une monstruosité somptueuse. Parfois je pense à Grünewald, parfois à Jérôme Bosch ; mais non, ce n’est pas vraiment ça, peut-être surtout parce que c’est un texte, c’est de la langue, c’est du verbe. Le parcours de Druon, la langue de Louis-Combet (une langue élégante et classique qui contraste avec les fulgurances qu’elle exprime) donnent à ces fantasmes un sens qui est aussi une direction – vers la « cougne » originelle et virginale – au terme duquel le mythobiographe devient presque autobiographe.

Le site des éditions Corti propose en extrait les premières pages des Errances Druon :
http://jose-corti.fr/titresfrancais/…