L'Affaire
de Jean-Denis Bredin

critiqué par Hiram33, le 3 août 2006
(Bicêtre - 55 ans)


La note:  étoiles
Dreyfus : la vérité contre le dogme
A l'heure où l'on célèbre le centenaire de la réhabilitation de Dreyfus, je voulais analyser le livre de référence (avec ceux de Zola et Mirbaux) sur l'Affaire :

L’affaire Dreyfus

Simple affaire d'espionnage révélée par Edouard Drumont dans La Libre Parole en 1894, elle devient «l'Affaire» en 1898. Riche en rebondissements, elle est l'une des crises les plus graves de la IIIe République. L’Affaire attise l'opinion publique et partage les familles. Mis à part son volet judiciaire, elle est à l’origine d’une consolidation des deux camps qui s’étaient formés sous la Révolution française : les libéraux éclairés et les conservateurs. Deux camps opposant leur propre conception de l'Homme et de la société. L’Affaire Dreyfus a également permis à la gauche de se débarrasser définitivement de son antisémitisme “économique”, c’est-à-dire une haine des Juifs symbolisant le Bourgeois, le riche propriétaire. Cette image d’Epinal fut véhiculée par de nombreux socialistes tel que Fourier et Proudhon. A la suite de l’Affaire, l’antisémitisme fut ancré parmi les combats de la droite et de l’extrême-droite. Les services de renseignements sont développées au cours des années 1890 dans toute l’Europe car l'évolution de la diplomatie et de l'armement s’est intensifiée. L'alliance franco-russe (conçue en 1891-1893) change les stratégies de l'état-major, qui obtient à la même époque un nouveau matériel d'artillerie. Le contexte politico-militaire est donc très sensible. Quand le 2e Bureau (le service de contre-espionnage français) découvre, en septembre 1894, une lettre adressée à l'attaché militaire allemand en poste à Paris, Schwartzkoppen, lui annonçant l'envoi de documents confidentiels relatif au matériel de guerre français, la chancellerie entre en ébullition. Ce document, anonyme, désigné sous le nom de «bordereau», évoque des relations anciennes entre son auteur et l'ambassade d'Allemagne.

A partir des informations dévoilées par le «bordereau», les recherches du contre-espionnage se dirigent vers les quelques officiers d'artillerie en stage à l'état-major. Parmi lesquels, Alfred Dreyfus, un capitaine de trente-cinq ans, juif, est bientôt accusé d'en être l'auteur en raison de similitudes d'écriture. Dreyfus dément, mais il est arrêté et inculpé d'espionnage pour le compte de l'Allemagne le 15 octobre 1894. Une trahison de Dreyfus est pourtant peu crédible: jeune officier modèle, le capitaine est issu d’ une famille riche. De plus, son père, Alsacien, a prouvé son patriotisme en choisissant la nationalité française en 1871, au moment de la cession de l'Alsace-Lorraine à l'Allemagne par la France vaincue.

Le procès

Le procès de Dreyfus commence sous une atmosphère d'antisémitisme qui n'a cessé de progresser depuis le scandale de Panama (1890-1893), dans lequel étaient compromis des banquiers et hommes d'affaires juifs. Pendant le procès, le général Mercier divulgue illégalement au jury, à l'insu de Dreyfus et de son avocat, des documents secrets accablants pour l'accusé. Les expertises graphologiques soient contradictoires et les preuves décisives sont absentes. Dreyfus est pourtant déclaré coupable par le conseil de guerre le 22 décembre et condamné à la dégradation et à la déportation perpétuelle, il est incarcéré à l'île du Diable, au large de la Guyane.

En mars 1896, le colonel Picquart, nouveau chef du service de renseignements, découvre un télégramme (le «petit bleu») adressé par l'attaché militaire allemand à un informateur, le commandant Esterházy. L'écriture d’Esterházy est identique à celle du bordereau. Par ailleurs, Esterházy aurait toutes les raisons d’espionner pour une puissance étrangère car il est endetté. Picquart révèle sa découverte à ses supérieurs qui le mutent en Tunisie. Tout n’est pas perdu puisque le sénateur Scheurer-Kestner, vice-président du Sénat, apprend l'existence du «petit bleu» par un ami du colonel Picquart. Scheurer-Kestner prend la tête de la campagne dans les milieux politiques pour la révision du procès. Après la condamnation de Dreyfus, seuls les proches du capitaine étaient encore convaincus de son innocence. Avec l'aide de Bernard Lazare, écrivain et journaliste indépendant de tendance socialiste, la famille du capitaine s'était adressée, sans succès, aux barons de la politique, mais aussi aux journalistes et aux écrivains réputés. En désespoir de cause les amis de Dreyfus diffusent des brochures, font circuler des pétitions pour obtenir la révision du procès. En novembre 1897, un passant parisien reconnaît, sur une affiche de Bernard Lazare qui reproduit côte à côte le bordereau et des lettres de Dreyfus, l'écriture d'Esterházy. Il prévient Mathieu Dreyfus, le frère du condamné, qui fait publier dans le Figaro des documents accablants pour Esterházy.

La presse d'extrême droite riposte aussitôt en prenant la défense d'Esterházy. La polémique atteint le Parlement, où les membres du gouvernement, souhaitant étouffer l'affaire, s'abritent derrière l'autorité de la chose jugée. Interpellé, le Premier ministre Jules Méline réplique: «Il n'y a pas d'affaire Dreyfus.» De leur côté, les députés socialistes dénoncent la «justice de classe» qui a soustrait l'espion Dreyfus, parce que bourgeois et officier, à la peine capitale. Le 11 janvier 1898, le conseil de guerre acquitte Esterházy. Malgré le ralliement au «révisionnisme» de quelques personnalités, dont Clemenceau, la raison d'État a remporté une victoire momentanée.

Une affaire politique
Mais, le surlendemain de l'acquittement d'Esterházy, l'Aurore , le journal de Clémenceau, publie une «Lettre au président de la République» [Félix Faure] signée d'Émile Zola sous le titre «J'accuse». Vendu à 300 000 exemplaires, placardé sur les murs de Paris, cette diatribe accuse de malhonnêteté l'état-major, y compris le ministre de la Guerre. L’article provocateur de l'auteur des Rougon-Macquart, au zénith de la popularité, s’attend à être poursuivi pour diffamation. Il espère que son procès brisera le silence et dévoilera aux Français les dessous de l'affaire Dreyfus. Depuis J’accuse, Dreyfus est devenu un symbole. L'affaire militaire et judiciaire s’est transformée en polémique politique et idéologique. Dès lors, deux camps vont s'opposer pendant près de deux ans: l'un pour obtenir la révision du procès du capitaine Dreyfus, l'autre pour l'éviter. Chacun a ses journaux, ses porte-parole, ses associations, ses relais politiques. Au-delà du cas Dreyfus, ce sont deux systèmes de valeurs morales, sociales et politiques qui s'affrontent.

Les dreyfusards
Considérés par l'opinion publique comme des gêneurs et des agitateurs, les révisionnistes (partisans de la révision du procès contre Dreyfus) resteront toujours minoritaires en France. Influencés par la philosophie des Lumières, les dreyfusards s'appuient sur une conception de l'Homme, de la justice et de la liberté héritée de la Révolution française. La Ligue des Droits de l'Homme et du citoyen est fondée sur ces principes pendant le procès Zola. Certains de l'irrégularité du procès de Dreyfus, ils soutiennent que l'esprit critique doit pouvoir se manifester contre toute affirmation et toute autorité qu’elle soit judiciaire ou politique. Certains Dreyfusards rêvent de soumettre l'armée au pouvoir civil, la plupart sont également anticléricaux en raison du soutien majeur apporté par les dirigeants catholiques à l'antidreyfusisme. Après J'accuse, les dreyfusards font signer et publier dans l'Aurore des pétitions appelant à la révision du procès. Dans ce premier cercle de révisionnistes se trouvent des écrivains (Anatole France, André Gide, Marcel Proust, Charles Péguy), des universitaires (Émile Durkheim, Lucien Lévy-Bruhl), des artistes (Gallé, Claude Monet) et des étudiants en lettres.
Au cours de l'Affaire, Clémenceau désigne les Dreyfusards sous le nom d’ «intellectuels» pour lui les célébrités soutenant le capitaine sont des «penseurs» qui, pour la première fois, interviennent collectivement dans le débat politique.