L'audace de vivre
de Arnaud Desjardins, Véronique Loiseleur

critiqué par Lucien, le 5 août 2006
( - 69 ans)


La note:  étoiles
Oser mourir, oser naître.
« Les Occidentaux opposent communément la vie à la mort, tandis que c’est la naissance qui s’oppose à la mort pour les Orientaux, la vie s’exprimant par un mouvement perpétuel de changement, par un jeu ininterrompu de morts et de naissances. […] La naissance de l’enfant, c’est la mort du bébé, puis la naissance de l’adolescent, c’est la mort de l’enfant. Oser vivre, c’est oser mourir à chaque instant mais c’est également oser naître, c’est-à-dire franchir de grandes étapes dans l’existence où celui que nous avons été meurt pour faire place à un autre, avec une vision nouvelle. » Quoi de plus juste que ces phrases d’Arnaud Desjardins ? Chaque jour, quelque chose en nous meurt, quelque chose en nous naît. J’ai sans doute, aujourd’hui, perdu un mot, un souvenir, un savoir que j’aurais pu mobiliser hier, comme disparaissent avec certaines vieilles personnes un savoir, un savoir-faire, une langue parfois. Et j’ai vécu de nouvelles expériences qui m’ont renouvelé, transformé, fait renaître.

« Soyons d’abord parfaitement naturels avant d’accéder au surnaturel », écrit encore Arnaud Desjardins.
Autrement dit, le chemin passe par la souffrance. Le disciple, « c’est celui qui n’a pas peur de souffrir et de se mettre dans des situations qui l’amèneront peut-être à souffrir. Au moins il aura expérimenté, au moins il aura vécu… »
« Si nous voulons sentir que nous sommes à la fois complètement invulnérables et complètement non protégés, il faut que nous soyons allés jusqu’au bout de nous-mêmes. »
Ce voyage au bout de soi passe, toujours selon Arnaud Desjardins, par la découverte de notre énergie positive, autrement dit de notre puissance de vie, à redécouvrir notamment dans le « hara », « par la respiration, et surtout l’expiration. »
Ne pas vivre sa vie à moitié, dit Desjardins. Être fidèle à soi-même, investi d’une liberté nouvelle bridée non par les tabous mais par le sentiment de sa dignité. « Est-ce digne de moi ? » comme impératif catégorique, en somme. Ce qui compte, écrit-il ensuite, c’est de privilégier le vécu et le ressenti plutôt que la nostalgie du passé. De ne négliger aucune de nos parts, ni yin, ni yang, alors que notre part féminine, émotive, est si souvent niée. Retrouver notre part féminine en cessant de pratiquer « l’activisme » et en nous ouvrant, nous ouvrant toujours plus à « ce » qui cherche à entrer.

L’Audace de vivre retrace les étapes d’un cheminement dont l’auteur nous livre la synthèse. Le chapitre II montre comment, à un moment donné de sa vie, il a été partagé entre la volonté de « bâtir une structure intérieure » et l’idée que la paix, la vérité sont « déjà » en nous. On retrouve ici l’opposition des deux visions du zen : gradualiste ou subitiste. « Pour le vedanta, ce que nous cherchons est déjà là, comme nous sommes déjà nus sous nos vêtements et il suffit d’enlever les vêtements pour découvrir cette nudité. » écrit-il. C’est aussi l’hypothèse du zen subitiste. Nous sommes déjà Bouddha. Pendant des années, Desjardins s’est demandé comment concilier ces deux points de vue. Car il lui semblait également nécessaire de « bâtir une structure intérieure ». Il se réfère constamment aux Fragments d’un enseignement inconnu, de Gurdjieff, avec qui il a étudié dans sa jeunesse. On trouve chez Gurdjieff une théorie des différents « centres » (émotionnel, intellectuel, instinctif, sexuel) de l’homme, qui se répartissent en « centres ordinaires » et « centres supérieurs » (d’ordre émotionnel et intellectuel). Il faut donc « affiner » nos fonctions grossières pour tâcher de nous connecter aux « centres supérieurs » qui n’ont pas de moitié négative : ils disent toujours OUI.
Ce qui peut être structuré en nous pour entrer en contact, en harmonie avec le non-duel, c’est ce que les Hindous appellent le corps subtil (par opposition au corps physique), et l’on parviendra à le structurer, donc le contrôler, grâce à l’ascèse.
Or, il faut de l’énergie pour recevoir des impressions liées aux différents centres. Cette énergie, selon Desjardins, provient de « nourritures » (et « tout est nourriture »…) fournies par la vie, et « gardées en réserve » puis « raffinées ». Donc, ne pas consommer l’énergie fournie par les différentes nourritures sous forme d’émotion, de colère… Mais comment ? Par la pratique. Desjardins devient très intéressant quand il relève deux dénominateurs communs à des voies spirituelles aussi diverses que Zen, hindouisme, soufisme… : la vigilance, et la soumission, ou l’acceptation de ce qui est, en quelque sorte la disparition des émotions ordinaires du type « j’aime, je n’aime pas ».
Secrète alchimie, transformation comparable à celle au terme de laquelle le vin se transforme en « eau-de-vie » : « il faut beaucoup d’énergie grossière pour produire un peu d’énergie fine. »
C’est d’une forme de « cristallisation » qu’il s’agit selon Arnaud Desjardins. Une cristallisation qui n’est possible qu’au terme d’un long chemin de vigilance et de travail sur les émotions. Long travail : peut-être demandera-t-il quinze ans, vingt ans. La patience est aussi ne vertu zen. Mais, une fois la cristallisation opérée, le changement est irréversible.

Dans le troisième chapitre de L’Audace de vivre, Desjardins considère l’énergie sexuelle comme l’énergie fondamentale qui préexiste à toutes les autres. Chacun d’entre nous est en effet d’abord le fruit de deux cellules sexuelles. Sexe – ou amour – comme base même de la vie. Accepter nos deux parts – masculine, féminine – pour « participer à la création », à la naissance, en nous, d’un homme neuf.
« Nous vivons dans la prison de notre monde au lieu de vivre dans le monde. » dit Arnaud Desjardins. Autrement dit, notre « centre sexuel » manque de spontanéité car il établit des connexions névrotiques avec les centres émotionnel ou intellectuel qui ont été perturbés par certaines expériences négatives. Le centre sexuel en tant que tel ne comporte pas de part négative. Il est pure adhésion, il ne peut que dire « oui ». Mais il entre en conflit avec la part négative des autres centres d’énergie.
Il existe plusieurs façons d’employer correctement l’énergie sexuelle, notamment la continence et l’acte sexuel épanoui. Mais, mal utilisée, cette énergie alimente les autres centres et produit névrose, hyperactivité, esprit de compétition… Il faut donc prendre l’habitude de « dire oui à ce qui est » pour éviter les interférences négatives entre le centre sexuel et les autres centres d’énergie. Une technique recommandée par Arnaud Desjardins est le « lying », une forme de thérapie libératrice qui repose sur le oui à tout : « Oui à la souffrance, oui à la peur, oui au désespoir, oui à la mort de maman quand j’avais quatre ans… »
Il s’agit, à terme, d’oser. « Oser être enfant ». Vivre pleinement l’instant, avec la force de vie que l’enfant met dans son jeu, dans son plaisir.

Dans le chapitre V, La source toujours pure, Desjardins expose l’idée suivant laquelle le point commun de toutes les spiritualités est de vivre « ici et maintenant », délivré du poids du passé c’est-à-dire de notre propre passé. Il est donc nécessaire – et difficile –, pour devenir nous-même, pour vivre pleinement une existence enfin adulte, de tuer en nous ces autres que nous avons été et que nous continuons à dorloter, cet enfant triste, cet adolescent idéaliste, ce jeune adulte blessé que nous avons été et qui entravent notre pleine éclosion. Les tuer ou, plus positivement, les amener à nous rejoindre enfin dans une vie vraiment adulte.
Comment réaliser cette métamorphose ? Grâce à la respiration consciente au cours de la méditation – et notamment grâce à une expiration profonde menée jusque dans le hara. Faire circuler la vie en nous redevenir fluides et souples. Éliminer, par l’expiration, tous les déchets du passé.

Un livre important, donc, où Desjardins livre la somme d’une expérience spirituelle originale, d’un chemin personnel qui l’a toujours conduit loin des sentiers battus. À méditer.