Les Protocoles des Sages de Sion
de Pierre-André Taguieff

critiqué par Hiram33, le 9 août 2006
(Bicêtre - 55 ans)


La note:  étoiles
destruction d'un mythe
Dans cet ouvrage, Taguieff ne conte pas l’histoire de la genèse du faux, contrairement au livre de Cohn. Il commence par évoquer la sociologie du complot ou plutôt de la croyance au complot. Croire au complot consiste à trouver des responsables aux événements historiques, le complot confère un principe d’intelligibilité à l’histoire, apaisant ainsi le besoin de savoir autant que celui de se défendre. Taguieff explique ainsi la principale raison du succès du faux de Golovinski. Il s’arrête un instant à la diffusion des Protocoles et à leur réception en Europe et dans les pays musulmans. Il affirme que le quotidien vénérable “The Times” est à l’origine du succès de la diffusion après avoir publié un éditorial intitulé “Le Péril juif” résumant les Protocoles en 1920. Même si le “Times” se rétractera un an plus tard il aura contribué à la promotion du faux. Taguieff s’intéresse également aux contre-argumentations des partisans des Protocoles. Elles sont les suivantes : 1) tentatives juives de faire disparaître les Protocoles, 2) l’affirmation qu’il existe des preuves surabondantes, 3) la preuve par l’esprit juif qui imprégnerait les Protocoles, 4) La valeur prédictive des Protocoles, 5) La relativisation des opinions sur les Protocoles, en faisant comme si la preuve du plagiat n’avait jamais été apportée, 6) l’absence de preuves claires et décisives, d’indices matériels d’authenticité provoquant un antisémitisme de diversion sur la puissance des véritables “Supérieurs inconnus” dont le judaïsme moderne n’aurait été qu’un instrument. Taguieff met en relation les Protocoles avec les essais de Maurras et La psychologie des foules de Gustave Le Bon. Il relève dans les deux cas de nombreuses analogies, prouvant que les Protocoles ont bien été rédigés sous l’influence du contexte politique français des années 1890. Le sociologue note également que la vision conspirationniste de l’histoire n’a pas attendu la diffusion des Protocoles pour se manifester. Mgr Meurin a devancé les Protocoles en publiant un ouvrage intitulé La Franc-Maçonnerie, synagogue de Satan. Taguieff relève que l’antisionisme démonologique a été lancé dès les années 1890 par les jésuites, soit cinquante ans avant la création de l’Etat d’Israël. Il est donc possible de rapprocher l’antisionisme à l’antisémitisme. Enfin, le politologue analyse la perception des Protocoles dans l’Union soviétique de Staline aux années 1980 et dans le monde arabe. Il note que le stalinisme était malhonnête en s’affirmant antiraciste tout en stigmatisant le sionisme comme vecteur du capitalisme international. Pour Taguieff, le monde arabe n’a pas supporté la création d’un Etat juif car pour les musulmans, les Juifs devaient rester des “humiliés et des misérables “ juste tolérés dans les pays de l’Islam. On apprend que ce sont les chrétiens du proche-orient qui ont importé les Protocoles et que ceux-ci ont réellement été diffusés à partir des années 1950, en représaille à la création de l’Etat d’Israël. Le politologue a réalisé un ouvrage précieux tout à fait complémentaire à celui de Norman Cohn. On peut seulement regretter que le vocabulaire employé soit réservé à une élite universitaire car un tel ouvrage aurait mérité d’être diffusé auprès d’un large public.