Ailleurs
de Henri Michaux

critiqué par Feint, le 14 août 2006
( - 61 ans)


La note:  étoiles
Explorations
Ailleurs (1948) rassemble trois recueils : Voyage en Grande Garabagne, publié initialement en 1936, Au pays de la Magie (1941) et Ici, Poddema (1946).
Après avoir porté son regard de « barbare » sur des contrées réelles dites « exotiques » (l’Amérique latine dans Equador, l’Asie dans Un barbare en Asie), voici que Michaux porte un regard d’ethnologue sur les pays imaginaires de son espace intérieur. Cela donne ces textes étonnants auxquels je reviens sans cesse, souvent au hasard, sûr d’y découvrir une nouvelle merveille qui m’avait échappé.
Au hasard donc :

« LES ÉCALITES
« Je n'ai jamais su si c'était l'effet d'une malade ou une simple disposition naturelle. Le corps des Écalites, pour peu qu'il soit touché d'un toucher appuyé, rougit (sauf aux mains et aux pieds).
Et la marque tient une heure, bien davantage parfois.
Les chasseurs qui reviennent de la forêt reviennent tout en fleurs, en feuilles, en graines.
Le corps des femmes est nacré, rose, à reflets, admirable.
Je ne me lassais pas d'y former comme à l'estompe, avec le pouce et les doigts, des figures rosées et d'autres corps rosés de fées ou de poupées. Et, grâce à ce petit talent, elles m'aimaient. Elles aimaient, soumises et espiègles, se laisser faire sous mes doigts. »
(Voyage en Grande Garabagne)
« Je vis un jour un lézard au bord d'un champ qu'il traversait avec quelque peine. Gros comme le bras, il laissa une ornière de près d’un demi-mètre de profondeur, comme s'il avait pesé non quelques livres mais au moins une tonne.
Je m'étonnai. « Ils sont au moins une cinquantaine là-dedans », me dit mon compagnon. « Une cinquantaine de quoi ? De lézards ? » – Non, fit-il, d'hommes et je voudrais bien savoir lesquels », et vite il courut chez les voisins s'enquérir des absents. Qui ? Cela seul l’intriguait et jamais je n'en pus savoir davantage. Par quelle magie et dans quel but invraisemblable des gens se fourraient-ils ainsi à l’étroit dans ce tout petit corps de lézard, voilà quel était le sujet de mon étonnement et ne lui parut pas mériter une question, ni une réponse. »
(Au pays de la Magie)