Autobiographie de Régis Jauffret

Autobiographie de Régis Jauffret

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Kinbote, le 27 août 2006 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 8 étoiles
Visites : 4 238  (depuis Novembre 2007)

Notre part d'insensibilité

C’est l’histoire d’un homme qui vit des femmes, les entraînant volontiers à se prostituer et les quittant dès qu’elles constituent un frein à son existence oisive, commettant des actes crapuleux, non par goût du vice mais afin de poursuivre dans la voie qu’il s’est tracée. Indifférent au bonheur comme à la souffrance d’autrui, « exaspéré autant par le plaisir que par la douleur », ne s’aimant pas plus qu’il n’aime les autres, à l’exception d’une fois où il ressent pour une de ces femmes rencontrée un sentiment amoureux qui ne sera pas payé en retour.
« Les femmes m’avaient permis de survivre, comme des flaques d’eau disséminées dans le désert, mais elles n’avaient pas su gagner ma sympathie, et je les avais quittées sans nostalgie comme on change de brosse à dents lorsque les soies se mettent à frisotter. »

A la lecture des multiples aventures vécues par cet être immoral, auquel toutefois on se surprend à s’identifier parce qu’il représente notre part d’insensibilité, notre égoïsme fondamental, que d’ordinaire les contraintes sociales tempèrent et modèlent au gré des nécessités de la vie en commun, on n’a pas l’impression du réel. Au contraire et, comme dans les romans de Sade, on a peine à croire - rien n’est fait pour (aucun effet de réel ici) -, à la pertinence des scènes rapportées, crûment, sans pathos, avec un minimum de mots.
En titrant sa brève fiction Autobiographie, du nom d’un genre littéraire, Régis Jauffret, à l’instar par exemple d’Echenoz ou Chevillard avec les divers genres littéraires, a sans doute voulu questionner ce type de livres qui racontent la vie des gens avec, souvent, l’appui de l’émotion de façon à emporter, à moindre frais, l’adhésion du lecteur.

Au terme de son existence désoeuvrée, le narrateur fait le bilan de sa vie ; il écrit : « J’avais connu le bonheur que fait monter en soi l’émission de sperme, celui d’avaler la nourriture, la boisson et le plaisir d’amener la digestion à son terme ». Que des plaisirs physiques donc, aucune satisfaction mentale ou d’ordre spirituel. Mais cependant la conscience d’avoir été comme un déchet, condamné à se traîner jusqu’à la mort, toutes ces tentatives de suicide ayant échoué, car nécessitant trop d’efforts.

La morale de cette fable noire pourrait bien être que vivre en fonction de ses seuls désirs ou besoins entraîne à coup sûr l’exclusion, une existence impossible, sans trêve, et que, pour jouir d’un minimum de « protection » et de reconnaissance sociales, il faut s’accorder aux lois de cette société, manifester un minimum d’intérêt à l’Autre ou/et au travail.

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