Ce que dit le majordome
de Javier Marías

critiqué par Dirlandaise, le 3 septembre 2006
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Nouvelles étranges et absurdes
Recueil de dix courtes nouvelles d’un auteur espagnol à l’imagination fertile. Dans la première intitulée « Ce que dit le majordome », le narrateur est bloqué dans un ascenseur en compagnie d'un majordome raffiné qui lui fait des confidences. La deuxième, « Gualta », vraiment étrange, narre la rencontre d’un homme et de son double et leurs efforts communs pour se différencier du sosie détesté. « La démission de Santiesteban » raconte l’arrivée d’un jeune professeur dans un lycée hanté par un fantôme démissionnaire. Dans « Prodige, malédiction » qui est ma préférée, l’auteur nous décrit le séjour d’un jeune prodige musicien et obèse chez son oncle et leurs difficultés de cohabitation.

Ces nouvelles sont vraiment étranges. L’écriture de Javier Marias est dense, incisive et percutante. Le vocabulaire est riche et l’auteur utilise des thèmes variés dont certains touchent au surnaturel et à l’inexpliqué. Les personnages sont truculents tels ce fantôme qui remet tous les soirs sa démission du lycée, cet obèse musicien de génie qui ne peut faire vingt pas sans tomber tellement il est gros, ce soldat faisant preuve de bravoure exceptionnelle et qui se fait accuser de trahison, cet écrivain devenu clochard à Londres et ce quinquagénaire en adoration devant sa jeune maîtresse ravissante, prêt à la tuer pour ne pas la perdre.

Les thèmes sont inquiétants, parfois violents et durs mais la lecture de ce livre m’a comblée. Un auteur original et plein de surprises qui entraîne le lecteur dans des histoires abracadabrantes et pleines de rebondissements. Il possède un petit côté qui rappelle Kafka. À lire.

« Je m’étais assis sur le plancher de l’ascenseur. Lui, en revanche, si bien mis et circonspect, restait debout, en manteau, et ganté, une main appuyée sur la paroi et un pied gracieusement croisé sur l’autre. Ses chaussures reluisaient exagérément. » (Ce qui dit le majordome)

« Jusqu’à l’âge de trente ans je vécus dans la quiétude et la vertu, en harmonie avec ma propre biographie, et je n’aurais jamais imaginé que des personnages oubliés de mes lectures d’adolescent pussent s’immiscer dans ma vie, voire dans celle des autres. » (Gualta)

« …comme cette mort, oui, comme cette mort qui va son propre chemin tracé depuis des siècles et que nous ne reconnaissons que lorsqu’à notre insu nous nous y sommes déjà engagés, ainsi, en pénétrant dans sa dimension cendreuse et vorace désormais étrange et lointaine, elle nous absorbe, nous dissout ou nous volatilise ; comme cette femme sourde, aveugle et sans tact que nous ne connaissons pas, de qui nous ne pourrons jamais parler et dont le souvenir ineffaçable exigera de nous l’effrayant tribut d’oublier tout le reste ;… » (Le miroir du martyr)