Préambule : C’est avec une curiosité non dissimulée que je fondis, lors d’une brocante, sur ce petit ouvrage à la couverture au romantisme suranné (voir la couverture des éditions librio). Pour quelques cents, je devins ainsi propriétaire d’un ouvrage dont l’auteur me laissait rêveur : au hasard de mes recherches littéraires sur la grande toile, j’avais lu un jour que Pierre Louÿs était l’auteur qui avait donné à l’érotisme ses lettres de noblesse, hissant un genre plutôt honteux à un niveau de qualité qui réclamait qu’on l’appelât « littérature ». Jusque là, j’avais en tête les couvertures criardes et extrêmement vulgaires des volumes d’ « Implacable » que je vendais moi-même aux brocantes sans, je vous le garantis, en avoir jamais lu une seule ligne.
D’érotisme, il en est finalement peu question dans « la femme et le pantin ». L’attirance de deux hommes pour une belle Sévillane reste en effet très longtemps sans suite, physique j’entends. L’enjeu du récit serait plutôt psychologique. Car Louÿs tisse une histoire d’une grande cruauté. Une cruauté faite aux hommes. Car, pendant des années, Conchita se jouera de Mateo en lui promettant un acte systématiquement repoussé tandis que l’amour de l’homme grandit jusqu’à lui faire perdre toute mesure.
OK. Ecrit comme ça, c’est plutôt banal. Mais le génie de Louÿs est de transformer une (non-)histoire de cul en supplice insoutenable. Le génie de Louÿs est de transcender une banale escroquerie amoureuse en une tragédie antique, sauf qu’elle se passe au XXe siècle dans le cœur vivant de l’Espagne.
Le génie de Louÿs, c’est, aussi, l’écriture : précise, au vocabulaire raffiné, à la force évocatrice évidente. En lisant la « la femme et le pantin », c’est l’Espagne colorée et ardente qui défile sous les yeux, en espagnol dans le texte parfois, c’est la violence des sentiments et la profondeur inhumaine de la duperie que Louÿs donne à lire, sans fioriture, sans voie de dégagement possible, de celles qui aboutissent à la folie ou au meurtre. Et on ne sait jusqu’à la fin vers quel dénouement Louÿs nous mènera.
Alors, pourquoi pas une note plus élevée au terme d’une description si élogieuse ? Parce que, j’aurai beau faire : le genre « amoureux » ne restera jamais pour moi qu’un genre secondaire de la littérature. Mais je pense que les lecteurs plus ouverts seront facilement enclin à décerner la note maximale à la « la femme et le pantin ». (Ce roman a d’ailleurs été tellement apprécié qu’il a été adapté plusieurs fois au cinéma, notamment avec Marlene Dietrich dans le rôle de la séductrice tortionnaire.)
Avertissement : Attention, pour conserver encore l’effet de surprise lors de la lecture, évitez de lire la chronique principale ci-dessus qui dévoile TOUTE l’histoire torturée de Mateo et Concha.
B1p - - 51 ans - 31 juillet 2007 |