Pourquoi j'ai tué Pierre
de Olivier Ka (Scénario), Alfred (Dessin)

critiqué par Shelton, le 2 octobre 2006
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Souvenirs et libération en bulles...
Comme depuis les débuts de cette collection Mirages de chez Delcourt, chaque album de bande dessinée, ici, est le fruit d’un travail profond, tant de la part du scénariste que du dessinateur. C’est encore plus fort quand l’histoire racontée est le fruit d’une tranche de vie réelle, observée ou vécue… Avec cette histoire, c’est vécu par le scénariste… et racontée au dessinateur, un de ses amis.
Mais comment vous en parler sans dénaturer la vie d’Olivier Ka, sans tomber dans les clichés, les illusions, le conformisme… Ce sera très difficile et je présente, par avance, mes excuses au scénariste si je m’écartais de la vérité par inadvertance…
Olivier Ka a été, en son temps, un petit garçon, dans une famille, avec un frère… C’était l’époque des « babas cool », lorsque certains adultes pensaient que faire différemment des générations précédentes était préférable à tout, y compris pour l’éducation des enfants… Dans une Ardèche lointaine, celle où l’on redécouvrait la nature et la vie originelle, vivait un curé atypique, qui jouait de la guitare, votait à gauche, était cool avec les jeunes, organisait des colonies de vacances, ne parlait jamais de foi, ni d’Eglise… Un vrai pote !
Pierre est devenu l’ami d’Olivier qui voyait en lui un modèle d’adulte… mais quand on a douze ans, on ne peut pas imaginer que le mal existe aussi sur cette terre…
C’est à cet âge là que les choses vont se compliquer pour Olivier. La vie sexuelle de ses parents est assez complexe pour qu’il ne puisse pas tout comprendre… C’est beau la liberté, les couples ouverts à tout, mais les enfants ont du mal à s’y retrouver… C’est beau un copain curé… mais quand il propose une nuit de « massages », de « caresses »… quand il « offre » une nuit côte à côte nus…
Olivier va garder cela en lui comme un secret, puis comme une interrogation profonde, enfin comme une blessure… un jour, il en parlera avec sa mère, le début de la mise au clair de ce qu’il ressentait au fond de lui…
Quand il devient papa, quand il voit sa fille grandir, il comprend bien que quelque chose ne fonctionne pas, qu’il va falloir que ça sorte de sa mémoire… Il écrit sur du papier… Mais ce n’est pas encore assez… C’est là que son ami Alfred, dessinateur de bédés, accepte de travailler avec lui pour en faire une bande dessinée, tout simplement… Une mise en images de sa vie…
C’est lorsqu’ils décident de descendre en Ardèche pour clore leur travail que les deux amis vont rencontrer le fameux Pierre qui vivait encore. C’est un homme assez âgé… Olivier va avoir l’occasion, après quelques péripéties, de parler, face à face, avec cet homme qui l’a fait tant souffrir sans s’en rendre compte… C’est là, en quelque sorte, qu’Olivier retrouve entièrement sa liberté et sa valeur d’homme…
Vous allez pouvoir lire tout cela dans un récit bédé qui ne laissera personne indifférent, j’en suis sûr. La souffrance d’Olivier sera partagée par tous ceux qui ont été abusés, d’une façon ou d’une autre, par des adultes… Les larmes de Pierre, en fin d’album, couleront, je n’en doute pas, sur les joues de tous ceux qui ont eu, un jour ou l’autre, des comportements irresponsables avec des enfants…
Mais Olivier Ka disait dans une interview qu’il portait cela depuis longtemps et qu’il avait fallu que ça sorte, un peu comme s’il était devenu raconteur d’histoires en bédé pour celle-là, la vraie, celle qui le libère à tout jamais…
C’est, bien sûr, une histoire incontournable à lire le plus rapidement possible car elle éclaire sur l’humanité…
époustouflant! 9 étoiles

Voici une bande dessinée, qui, pour une raison encore mystérieuse, faisait partie de ma pile "bd en attente". Peut-être que devant le flot d'éloges inondant ce récit , j'avais peur, soit d'être déçu, soit frustré de n'avoir pas su dénicher plus tôt cette fabuleuse pépite. Ayant eu pourtant connaissance de la trame du livre, j'ai été littéralement bluffé par la maîtrise du sujet. Une approche calme, méthodique presque chirurgicale de la pédophilie. Il est des livres qui nous prennent à la gorge, "pourquoi, j'ai tué Pierre" en fait évidemment partie. Le récit d'Olivier Ka est poignant, et encore plus que l'acte lui-même, répugnant, ce sont les dernières pages du récit qui m'ont bouleversé (en fait, les 30 dernières pages). A l'image d'Alfred, dans le récit, on reste sans voix. Cette voix off, tout au long de ces dernières superbes pages de paysage, raisonne encore dans ma tête tant le drame est y à la fois présent et pesant. Dans le film "Adèle H." de François Truffault, la dernière phrase était (si ma mémoire est bonne) : "je n'ai plus de haine, non, j'ai dépassé la haine". Je pense que l'on peut appliquer cette phrase à la conclusion de ce bouleversant livre. L'illustration d'Alfred est à la hauteur du récit, et je ne peux que saluer cette association d'auteurs. Un livre à mettre à la portée de tous et qui, je l'espère, trouvera sa juste place dans les bibliothèques

Hervé28 - Chartres - 55 ans - 9 septembre 2011


prix essentiel du public Angoulême 2007 10 étoiles

Qu'ajouter à la très juste critique de Shelton ?
Je ne suis pas une grande lectrice de BD, mais c'est avec des albums de ce genre que j'apprends à aimer le genre et que j'y découvre des oeuvres profondes et fortes.
Un excellent travail de scénario et d'images, même si au départ, le dessin ne m'attirait pas. Il évolue au fil de l'histoire, utilise la photo, traduit la noirceur du récit.
Cet album a été récompensé par le prix Essentiel du Public au festival d'Angoulême 2007. Il le mérite amplement.

Laure256 - - 52 ans - 5 juillet 2007