L'insupportable Bassington
de Saki

critiqué par Malic, le 7 octobre 2006
( - 83 ans)


La note:  étoiles
L'envers du masque
« Francesca elle même, si on l’avait brusquement priée de décrire son âme, aurait probablement décrit son salon .» Voilà comment l’auteur dépeint la belle Francesca Bassington, une femme raffinée, qui vit entourée d’objets de luxe. Son fils Comus est beau, intelligent, brillant , parfois charmant mais le plus souvent cynique et prompt à faire échouer les projets de mariages avantageux qu’elle lui propose.

On retrouve dans ce premier des deux romans de Saki les qualités de ses nouvelles : humour, sens de la formule et de la satire, concision, art de décrire un personnage en quelques mots. On y retrouve aussi l’atmosphère de l’Angleterre victorienne( post victorienne en fait) avec ses thés, ses garden-parties, ses jeunes gens insouciants mais aussi son matérialisme, son conformisme et sa cruauté ( les châtiments corporels).

L’habitué de Saki reconnaîtra en Comus un double des propres doubles de l’auteur, les Clovis, Réginald, Bertie, protagonistes des nouvelles. Mais Comus nous montre aussi l’envers du masque, la tragédie. Chez les premiers, la contestation de cette société à laquelle ils se sentent inadaptés et du monde adulte qu’ils refusent, se fait dans l’allégresse. Au contraire, les blagues de Comus sont souvent sinistres. Et alors que la mère et le fils s’aiment, il finiront par faire leur propre malheur.

Même dans ses nouvelles les plus noires ( comme son chef –d’œuvre « Sredni Vasthar », directement inspiré de sa propre enfance), Saki a toujours soigneusement évité l’esprit de sérieux et le pathétique. Dans un avertissement liminaire en forme de paradoxe, il éprouve le besoin de se justifier de cette gravité nouvelle chez lui : « Cette histoire n’a pas de morale. Si elle dénonce un mal, du moins n’y suggère-t-elle pas de remède.»

Cette façon de montrer de façon explicite ce qu’on pouvait lire en filigrane dans les nouvelles contribue à l’intérêt du roman, qui nous en apprend un peu plus sur l’auteur et sur ses personnages. Mais si comme l’écrit Roald Dahl, « les meilleurs des nouvelles de Saki sont plus belles que les meilleurs romans de n’importe qui d’autre », elles sont également supérieures à ses propres romans.

« L’insupportable Bassington » intéressera ceux qui apprécient déjà Saki. En revanche, pour ceux qui ne connaissent pas encore cet auteur, je conseille vivement de commencer par les nouvelles et en particulier par le recueil « La fenêtre ouverte »,excellente anthologie, accompagnée d’une très belle préface de Graham Greene ( 10/18).

Le roman « L’insupportable Bassington » est suivi de quatre nouvelles inédites. Elles ne comptent pas parmi les chefs d’œuvre de l’auteur mais donnent quand même un aperçu de son talent et de son art de la dérision et de la chute. Dans « L’almanach », Clovis fait un dernier tour de piste et l’on entend des coups de feu évocateurs de celui qui mettra fin aux facéties de Saki quelques années plus tard dans les tranchées…

La couverture est très laide, ce qui est bien dommage s’agissant d’un écrivain aussi raffiné.

Titre original : « The unbearable Bassington »