Le verdict
de Franz Kafka

critiqué par Sahkti, le 11 novembre 2006
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Haine réciproque
Il a fallu une nuit à Kafka pour rédiger ce texte, celle du 22 au 23 septembre 1912. Une nuit d'inspiration continue et un résultat que l'auteur ne reniera pas, contrairement à d'autres productions de sa plume. Un texte certainement très personnel, dans lequel Georg Bendemann termine l'écriture d'une lettre à un ami proche parti à Saint-Petersbourg. La lettre terminée, Georg se rend dans la chambre de son père, vieil homme qui vit avec lui, et va subir un affrontement inattendu par lequel le père révèle toute la haine qu'il ressent pour son fils et Georg tout le mal qu'il pense de la figure paternelle. Un thème cher à Kafka, une colère qu'on lui connaît.
L'affrontement est violent, rude et sans concessions. Le père reproche au fils d'être un homme sournois et intuile, un menteur, un jaloux, qui s'est laissé pervertir par le sexe et une fiancée avide de mariage et qui est prêt à faire mourir un homme qui voit pourtant clair dans le jeu de son fils depuis toujours. Au point de lui faire une violente révélation au sujet de l'ami de Russie.

Ce texte va bien au-delà d'une dispute, même intense, entre un père et son fils. C'est également le procès d'une certaine autorité, incarnée ici par l'image paternelle. Une autorité qui étouffe, paralyse et pousse au mensonge permanent, à l'apparence trompeuse. On peut se demander pourquoi Georg Bendemann ne se révolte pas contre son père, pourquoi il quitte la demeure, pourquoi il fait ce qu'il va faire. On peut se sentir agacé par cette apparente soumission, tout en étant révolté par le jeu qu'il joue lui-même, comme son père, depuis des années. Multiplicité de sentiments pour démontrer que la responsabilité est rarement unilatérale et que si autrui peut nous conduire à la faute, nous nous plaisons tôt ou tard, d'une manière ou d'une autre, à entretenir cette culpabilité et provoquer à nos tour divers dommages.

Il y a aussi une intéressante introspection de Georg sur le mariage, sur l'amitié, sur la gratitude filiale, autant d'éléments sur lesquels Kafka s'est penché sur un plan personnel à l'époque de la rédaction de ce texte; en 1912, sa soeur Valli se marie et Kafka vit cette décision avec des hauts et des bas.

On peut également se demander si le fameux ami de Russie, dont on ne saura pas vraiment si il existe ou non, n'est pas le symbole de quelque chose, enfermement ou liberté, les deux sont valables, étant donné que Georg Bendemann en parle en des termes durs (un être perdu par les affaires, la vanité et la corruption, qui oublie ses amis et sa ville natale et prétexte être trop occupé pour se rendre même à l'enterrement d'un proche) mais aussi envieux (il est libre, riche et a réussi, il fait ce qu'il veut de sa vie et peut s'offrir le luxe de renier son passé).
Un fatal ressentiment familial 8 étoiles

Une haine sourde et larvée tient lieu de lien familial entre un fils qui pense avoir réussi sa vie par lui-même seul et un père qui accepte mal sa déchéance et la médiocrité de son fils. L'échange acerbe finit au plus mal, comme l'annonce le titre, la tension montant crescendo. L'ambiance y est bien rude, comme à l'habitude chez l'auteur, mais l'analyse psychologique y est tout aussi bien menée qu'à l'accoutumée. Cette nouvelle vaut donc la peine, soit pour découvrir Kafka par une oeuvre courte, soit pour en filer la connaissance pour celles et ceux qui l'apprécient.

Veneziano - Paris - 47 ans - 19 janvier 2018