Dites-nous comment survivre à notre folie
de Kenzaburō Ōe

critiqué par Vigno, le 27 juillet 2001
( - - ans)


La note:  étoiles
Du bruit et de la fureur
Que faire d'un Hercule noir, mi-bête mi-homme, rescapé d’un avion américain abattu, dont personne ne veut, hormis les enfants? (Gibier d’élevage)
Peut-on lâcher la main de son fils handicapé quand on sait que celui-ci a besoin de ce « conducteur de vision » pour que son cerveau fonctionne un tant soit peu, ce fils qui vous parasite autant que vous le faites ? (Dites-nous comment survivre à notre folie) Comment se comporter quand on est payé pour accompagner un célèbre musicien qui croit dur comme fer que les nuages sont les reflets de son fils mort qui descend sur terre? (Agwîî le monstre des nuages) A quoi ressemble le monde quand il est observé à travers les lunettes de plongée recouvertes de cellophane d'un hypocondriaque atteint d'un pseudo-cancer et fils d’un ancien conspirateur ? (Le jour où Il daignera Lui-même essuyer mes larmes)
À prime abord, ces quatre nouvelles de Oé présentent plus ou moins de liens entre elles. Mais à bien y regarder, on découvre que le même processus a engendré l'état dans lequel se trouvent les personnages : dans tous les cas, un cataclysme s'est produit qui a complètement détruit l’univers du héros. Chez Oé, il y a un avant et un après, les « happy days » se trouvant dans l’avant. L'onde de choc, c'est la Seconde guerre mondiale, surtout la découverte de l’humanité de l’empereur. « Eh oui! Il parle! » C'est aussi la naissance d'un enfant mal formé ou déficient.
Les personnages de Oé ont les mains sales. Ce sont des assiégés dans un univers écroulé. Complots, trahisons, désertions font partie des ascendants politiques familiaux difficiles à assumer pour les fils. Tentative d’infanticide, désirs incestueux balisent la légende familiale. On dirait que les événements politiques ont complètement chamboulé les familles nippones, renvoyant les uns contre les autres, père conspirateur, frère déserteur, mère castratrice et fils malade imaginaire. « Famille, je vous hais » répète l’écho. Les personnages portent en eux ce terrible pressentiment que la folie ou un terrible mal les guette. Certains sont envahis par l'obésité, d’autres rongés par le cancer quand ce n'est pas la folie. Le salut ne peut se trouver que dans la construction d’une vision mythique du passé.
Le style de Oé est très fort. Il y a une énergie dans cette écriture, surtout dans la dernière nouvelle, qui rend la lecture un peu difficile. Il suffit de lire une vingtaine de pages à la fois et on en est tellement récompensé.
On a dit que son irritation à l'égard des supporteurs de Mishima avait inspiré la dernière nouvelle. Oé, qui a milité dans les mouvements pacifistes de gauche, ne veut surtout pas voir réapparaître la divinisation d'un nouveau leader, fut-ce Mishima. Parce que la folie chez Oé a partie liée avec l’exaltation politique.
Des nouvelles tragiques 8 étoiles

"Ruisselant d'eau et réfléchissant les rayons du soleil, le noir, dans sa nudité, était aussi éclatant que la robe d'un cheval noir; il était d'une absolue beauté". C'est d'abord avec effroi, puis avec amusement et admiration que les jeunes garçons d'un petit village japonais considèrent un soldat noir dont l'avion s'est écrasé dans la forêt voisine et qui a été capturé par les adultes.
Dans 'Agwii, le monstre des nuages', un étudiant est engagé pour tenir compagnie à un homme au comportement bizarre; celui-ci communique avec les nuages, qui représentent dans son esprit le spectre de son fils qu'il a laissé mourir car il le croyait atteint d'un handicap grave.
Les deux autres nouvelles traitent également du traumatisme que constitue la naissance d'un enfant handicapé. Des textes tragiques et poignants, mais déconcertants et parfois difficiles à lire.

Saule - Bruxelles - 59 ans - 14 mars 2002


Candeur et tragique japonaise 9 étoiles

Le premier récit (Gibier d'élevage) décrit , dans un style simple, un événement qui revêt dans un petit village japonais une importance énorme: l'arrivée et la séquestration d'un prisonnier américain, qui est noir en plus. Chez les enfants, c'est tout d'abord avec épouvante, puis ensuite avec curiosité, et enfin, par amusement, qu'il considérèrent le prisonnier. Toute la naïveté et l’innocence des enfants se révèlent avec la description de leurs sentiments, de leur vision sur le prisonnier (et indirectement de la guerre).
Agwii le monstre des nuages montre toutes les conséquences que peut avoir un geste malheureux que l'on regretterait toute sa vie: avoir fait tuer son fils car on croyait celui-ci atteint d'une grave maladie. Cette nouvelle fait grandement réfléchir et fait penser aux problèmes actuels que sont aujourd'hui l'eugénisme et l'avortement.
La "punition" que s'inflige le père coupable pour pouvoir voir le spectre de son fils est peu commune mais tellement belle. "Dites-nous comment survivre à notre folie" pose lui aussi le problème - ou plutôt le défi, l'épreuve, auquel on se trouve confronté: la naissance d'un fils gravement handicapé. La lutte que mène le père pour essayer de sortir son fils de sa léthargie, de l'éveiller furent belles, mais vaines et mêmes néfastes (pour le père et pour le fils). C'est magnifique, mais tragique.

Platonov - Vernon - 41 ans - 7 septembre 2001