La mémoire du bourreau
de Maud Tabachnik

critiqué par Jean Meurtrier, le 5 décembre 2006
(Tilff - 49 ans)


La note:  étoiles
Ignoble et fier de l'être
A l’heure où le roman « Les bienveillantes » se vend comme des petits pains sur fond d’éloge, j’ai pensé qu’il était opportun de parler d’un livre que j’ai lu il y a quelques années racontant lui aussi les mémoires d’un ancien officier nazi.
Bien que je n’aie pas encore lu le livre de Jonathan Littell, je crois comprendre que ce dernier explore la personnalité complexe de son personnage principal. Maud Tabachnik décrit plutôt le régime nazi et ses dessous aussi peu reluisant que son idéologie à travers les mémoires d’un officier allemand qui ne connaît pas le remord, bien au contraire.
Anton Strübel, réfugié en Syrie livre son histoire à son fils, venu d’Allemagne pour enregistrer son témoignage. Celui-ci est destiné aux groupuscules nazis éparpillés dans le monde, dans le but de relancer le mouvement. Anton ne cache rien. Il décrit sans détour la cruauté de la chasse aux juifs et homosexuels qu’il a menée avec zèle, ainsi que le détournement d’une partie du trésor nazi à son profit personnel. Il raconte également sans honte ses aventures avec ses maîtresses dans le luxe d’un Paris occupé, alors que sa femme et son fils galéraient en Allemagne. Il est difficile de saisir le sentiment exact du fiston face au déballage nauséabond de son papa. Est-il choqué par le contraste entre l’idéologie à laquelle il semble adhérer et la réalité désenchantée? Ou ces séances d’enregistrement sont-elles un moyen de cerner de plus près la répugnante personnalité de son père?
Mais voici que Strübell père est victime d’une attaque. C’est provisoirement réduit à l’état de légume qu’il est ramené en Allemagne sous la tutelle de son fils. Il devra alors faire face à son passé qui lui revient à la figure comme un boomerang. Cette épreuve déclenchera un retournement de situation assez peu crédible. De manière générale, il est également difficile de comprendre pourquoi cet ancien SS décrit les vices du régime pour lequel il est censé faire de la propagande.
Ces incohérences dans le chef du bourreau nous rappellent que ces mémoires ne sont pour l’auteur qu’un prétexte afin de souligner la cruauté (mais en doutions-nous?), la corruption et l’absence totale d’honnêteté de certains dignitaires d’un régime qui se prétendait pourtant propre et intègre. Ce livre ouvre la perspective suivante : même si les nazis avaient gagné la guerre, l’enthousiasme que ce parti a généré au sein du peuple allemand serait retombé après quelques années, victime des abus du parti, pour faire place à la désillusion.