Americana
de Don DeLillo

critiqué par Apostrophe, le 3 août 2001
(Bruxelles - 63 ans)


La note:  étoiles
Un road movie superbe de noirceur
David Bell, journaliste d'une télé célèbre de la côte Est, décide de faire un reportage sur les Indiens. Parti de New-York avec quelques copains, caméra sur l'épaule, il commence à filmer des scènes de la vie américaine et à interviewer des personnages variés au gré de ses rencontres.
Il cherche à saisir la réalité ambiguë, complexe, anarchique de son pays ; il veut en faire un documentaire qui engloberait ce gigantesque kaléidoscope qu'est la nation américaine. C'est sans compter sur ses désordres intérieurs, grandioses à l'image de son pays, qui vont le faire errer sans but d'Est en Ouest.
On pourrait comparer ce livre à "Sur la route" de Kérouac ; on est dans le genre du road movie qui est bien le modèle du roman américain contemporain, allégorie de la liberté errante de l'individu. Mais ici, on est à un tout autre niveau de littérature ; on dépasse l'anecdote pour toucher à l'essentiel c'est-à-dire aux questions philosophiques ; le style est superbe, très élaboré sans être redondant ; il y a des moments de grande poésie, une poésie noire, teintée par le cynisme d'une certaine littérature américaine ; il faut dire que le bouquin a été écrit pendant la guerre du Vietnam ; on y sent tout le désespoir d'une nation qui se remet en question et qui ne trouve plus sa route. "Americana" est comme un diamant noir : beau,acéré, à multiples facettes, et rare. Un roman un peu difficile d'accès mais brillantissime ; recommandé pour tous ceux qui ont la patience de chercher et qui sans se décourager, iront jusqu'au bout ; ceux-là comprendront qu'ils ont lu un chef-d'oeuvre
L'appel de l'Ouest 6 étoiles

Je regrette de ne pouvoir mettre 5 à ce livre tant j'en ai adoré certaines parties, captivé par les mots de De Lillo racontant David "blondin" Bell, sa vie au sein du Network new-yorkais et la naissance, l'enfance et l'adolescence du personnage dans une petite centaine de pages que j'ai trouvé brillantes.
A l'opposé, une fois ce monde urbain lâché et le grand voyage vers l'Ouest lancé, j'ai un peu décroché.
La galerie de personnages, ainsi que la vie de caravanes du quatuor mené par David Bell m'a moins intéressé.
Autant j'ai dévoré la première moitié du livre, autant j'ai trainé sur la deuxième.
Il m'en reste malgré tout un beau livre -dont je relirai le début assurément- par lequel je découvre un auteur que je vais m'attacher à connaître davantage.

Lescapricesdenicolas - - 41 ans - 6 octobre 2010


brain movie 8 étoiles

Dans ma grande naïveté, je me disais que le premier roman de Delillo devait être quelque chose de simple, transparent, plaisant comme le road movie classique dont les américains ont le secret.

La première partie avait quelque chose d'inhabituel chez Delillo dans son entreprise de déconstruction du mythe américain : l'humour. Puis, par la suite, les images se brouillent. Une deuxième partie en forme d'(auto?-) biographie. Une troisième où le cinéma semble servir de substitut psychanalytique à la réalité pour terminer par une quatrième partie où la noirceur existentielle semble se cristalliser avant de se dissiper de façon improbable.

Etrange. Très étrange. Et je me demande quelle impression il en subsistera...

Un long récit désarticulé sans histoire apparente ? De brillantes fulgurances sur le sens caché de la civilisation ? Un faux road movie où le chemin se fait de manière intérieure sans recours à la réalité ? Une impression de folle érudition maladroitement enveloppée dans les pages d'un roman ?

Je ne sais pas.

Une chose est sûre : le premier roman de Delillo est encore plus étrange que ceux qui ont suivi. Et ce n'est pourtant pas une mince affaire...

B1p - - 51 ans - 7 novembre 2004


Je n'ai pas aimé ce roman. 4 étoiles

Et même si je reconnais certaines qualités à celui ci, la narration en est tellement confuse, surtout dans la troisième partie, que l'on se perd en conjectures entre les moments qui semblent parfaitement clair et ceux qui sont abscons.
Pour revenir à la première partie qui se situe dans son milieu professionnel essentiellement, je l'ai trouvé intéressante et amusante sans pour autant être hilarant, comme le dit Saule. Certaines scènes au sein de son entreprise sont bien vues et empreintes d'une vision désabusée sur un système en déliquescence. Une analyse sans concession et désespérée d'un pays et de ses citoyens échoués sur les récifs d'une société émasculée dont les néons incandescents brûlent, plus qu'ils n'éclairent, les rêves improbables de ceux à qui on promet la réussite au bout du chemin aux mille détours. Pour y parvenir chacun plonge dans des aventures périlleuses sans lendemain comme autant de révélateurs d'une vie insipide à l'issue aléatoire, souvent destructrice. Ainsi le jeu du chat et de la souris pour attirer les flatteries du chef afin de ne pas perdre sa place, les partie fines avec ses collègues, les cancans, les dénonciations viles. Ainsi un pays en guerre au Vietnam qui s'enlise comme si c'était juste pour voir ce que cela va donner. Son mariage semble être également une tentative futile pour réaliser une vie de couple, mais sans plus.
Jusque là le livre me paraissait intéressant voire même prometteur.
La deuxième partie est intéressante également, le roman prend une autre dimension qui semble vouloir orienter le récit vers une investigation sur les origines du mal être et de la dérive de David Bell. Tous ces souvenirs qui ressurgissent et qui tournent autour de sa mère, de cette mère tant aimée et si mystérieuse, victime des autres et d'elle-même qui mourra de n'avoir pas su s'extraire de l'ombre et briser les silences maudits. L'auteur lève furtivement le voile sur l'enfance de Bell sans pour autant tout révéler comme pour forcer le lecteur à saisir l'insaisissable afin qu'il comprenne mieux le héros et les blessures du passé. Tout ce passage est dans l'ensemble bien écrit et exprime avec beaucoup de sensibilité les moments cruciaux de l'enfance qui sont une sorte de quête vers une compréhension de soi et des autres, de tous les rouages de cette matrice sociale et familiale qui font de l'enfant un adulte pour le meilleur et pour le pire.
Mais pour ce qui est de la dernière partie du livre (que, contrairement à Jules, j'ai terminé non sans mal) elle m'a paru complètement confuse la rendant presque incompréhensible. Derrière la démarche introspective de Bell, qui consiste à capter les maux de l'Amérique profonde à travers l'objectif de sa caméra, on devine l'effort d'un homme qui tente vainement de trouver des raisons valables susceptibles de donner une sens à tout "ça". Où l'art, par les symboliques qui y sont développé, est peut-être synonyme d'une recherche d'aspirations à une vie jusqu'au bout et sans détour, mais malheureusement moi je n'adhère pas au propos, du moins pas tel que l'auteur l'a exprimé. En revanche j'y vois surtout un récit qui s'égare dans des divagations ineptes, pour finir par une espèce d'orgie absurde et retour à la maison chez son ex-femme. Je n'y ai pas vu de Road Movie à la Kerouac pas plus qu'un chef d'oeuvre, mais juste un roman qui fonctionne bien dans sa première moitié pour terminer dans les décors en carton pâte d'une histoire, à l'image de l'Amérique de cette époque, en panne de sens.

Heyrike - Eure - 57 ans - 9 septembre 2003


Je n'ai pas accroché 5 étoiles

Ce livre débute par une soirée dans un appartement de New York. Nous y sommes aussi perdus que les invités eux-mêmes. Personne n’a l’air de bien se connaître et les rares conversations semblent n'avoir ni queue, ni tête. Heureusement ce premier chapitre n'est pas bien long et je me suis dit que la suite serait meilleure.
Le second débute ainsi : « J’étais un jeune homme d'une extrême beauté. » et il poursuit sur le même ton un peu plus loin : « L'identité physique signifiait beaucoup pour moi, quand j'avais vingt-huit ans. J'avais presque le même type de relation avec mon miroir que tant de mes contemporains avec leur analyste. J’étais David Bell, l’homme aux yeux bleus. Ma vie dépendait évidemment de ce fait. »
Voilà un homme qui se laisse facilement définir par des critères bien légers, me suis-je dis… Mais bon, être beau, cela aide dans la vie, alors attendons toujours la suite. Mais elle ne m'a pas davantage enthousiasmé.
David Bell travaille, je devrais plutôt dire « s'occupe », dans la pub. Il a l'air plus stressé par les rapports entre lui et les autres, par faire semblant d' être occupé, par glaner des infos auprès de sa secrétaire qui couche avec son supérieur chaque vendredi après le déjeuner, par le fait de savoir s'il a dépassé des collègues plus âgés que lui ou non, que par son boulot. D’ailleurs, qui fait quoi dans cette boîte ?. Qui ces téléphones qui sonnent appellent-ils ? D'autres zombies comme lui ?… Et nous revoilà, soudain, plongé dans une réflexion plus profonde : « Burt au clair de lune était un crescendo de perfection masculine. ».
Si je n'étais toujours pas captivé par l’univers dans lequel évolue le narrateur, ce n’était pourtant pas faute de qualités d'écriture. Lisez ceci : « Il n'existe pas un endroit au monde qui procure une meilleure stimulation sexuelle qu’un grand bureau. C'est comme un fantasme de labyrinthe femelle très élaboré ; où que l'on aille, derrière les coins, dans les compartiments cloisonnés, dans les escaliers, on est accueilli par un spectacle presque lascif. On trouve des femmes debout, assises, agenouillées, accroupies, toutes dans des positions qui paraissent calculées pour vous laisser pantois. C’est comme un rêve de jardins luxuriants où chaque arbre dissimule une nymphe laiteuse… » C'est très bien écrit et nombreux sont ceux qui ont déjà dû se faire cette remarque, fugitivement, un jour.
Voilà l’univers professionnel campé… David Bell aborde alors un pan de sa vie sentimentale : son premier mariage. Là aussi, nous allons surfer sur du plus que flou… Il semble s'être marié un peu par hasard, s'être installé dans la vie avec sa femme de la même manière et chacune de leurs expériences de vie est plus un morceau de film qu’une action réelle.
Don DeLillo a manifestement l’intention de nous décrire une Amérique qui ressemblerait davantage à une immense scène de théâtre dans laquelle chacun jouerait un rôle qui lui a été imparti, plutôt qu'à un pays composé de gens vrais. Il y réussit d'ailleurs très bien et c'est vraiment la sensation que nous avons. Mais est-ce suffisant pour accrocher un lecteur avec un livre de plus de 450 pages ? Il ne manque pas d'humour non plus, mais, pour moi, cela n'a toujours pas été suffisant… L'absence totale d’une « histoire » m'a empêché de rentrer vraiment dans ce livre. Je l'ai donc abandonné.
Et pourtant, les qualités d'écriture me feront en essayer un autre.

Jules - Bruxelles - 80 ans - 21 mars 2002


Livre culte 10 étoiles

Après quelques pages, j'avais compris que ce livre était différent de tout ce que j'avais lu avant, un livre comme on n'en voit un que tous les dix ans.
Depuis, David Bell, le narrateur un peu délirant de ce roman, n'est jamais très loin dans mes pensées, prêt à ressurgir à tout moment.
Par rapport à la critique d'Apostrophe, il faut ajouter que ce livre est souvent hilarant, ce qui n'est pas la moindre de ses qualités. Il est aussi d'une densité incroyable, il faut régulièrement reprendre son souffle pour réaliser ce qu'on vient de lire.
C'est aussi un livre qui peut se lire à plusieurs niveaux. On le lit la première fois pour le style délirant et l'humour détonnant de l'auteur. On peut le relire ensuite et se rendre compte qu'il y a aussi une analyse sans compassion de l'Amérique et du système (même si ce n'est pas évident). Le voyage initiatique est aussi un voyage du narrateur dans son passé familial, comme pour régler ses comptes avec son passé (je ne sais pas si c'est auto-biographique).
A lire aussi, 'Bruit de Fond', dont le style est similaire mais qui est plus facile d'accès et qui est un des livres de Delillo le plus reconnu.

Saule - Bruxelles - 59 ans - 6 août 2001