I.G.H.
de J. G. Ballard

critiqué par B1p, le 15 février 2007
( - 51 ans)


La note:  étoiles
pourquoi aller aussi haut si ce n'est pour contempler le vide ?
Une belle provocation de la part de James Graham Ballard. Merveilleusement bien écrite et parfaitement menée à bien. D'une logique et d'une progression implacables.

Les habitants d'un « immeuble de grande hauteur » ne se rendent pas compte de ce qui les attend lorsqu'ils emménagent dans l'une des tours mastodonte d'un complexe ultra-moderne. Qu'est-ce qui pourrait réellement les menacer ? Ils sont issus d'une classe aisée (nous ne sommes pas ici dans un HLM) et leur nouvelle demeure et ses commodités – piscine, école, centre commercial – devraient les préserver de bien des soucis et tracas. Tout le confort moderne, en quelque sorte...
Sauf que l'opulence ne les avait pas préservés d'eux-mêmes.

« Un faible taux de criminalité, docteur, lui dit-elle aimablement, voilà le signe certain d'une société bloquée. »

Roman déroutant que cet « I.G.H. ». On reste d'abord perplexe face à cette vie en logements de masse. HLM et autres cauchemars urbains nous sont suffisamment connus pour qu'on ne s'émeuvent plus à la lecture des aléas de la vie commune.
Sauf qu'avec I.G.H., ce n'est pas tout à fait pareil. Certainement parce que c'est la classe aisée qui y a élu domicile et qu'il n'y a a priori aucune raison que le tout dérape, mais surtout parce que Ballard sait trousser une histoire pour la faire dévier du chemin tout tracé.
De Ballard, on pourrait dire qu'il aime à décrire les moeurs corrompues et qu'il aime attribuer aux masses les comportements de quelques détraqués mentaux. Si, contrairement à certains de ces romans, il n'y a ici pas un seul observateur de la folie généralisée mais bien trois, l'essence de ses récits est toujours là : à la répulsion normale que devraient inspirer les actes se substitue un détachement mêlé de fascination. Et c'est en cela que les romans de Ballard sont exceptionnels (dans les deux sens du terme) : il se débarrasse des notions conventionnelles du bien et du mal pour suivre une voie médiane faisant appel à la fascination et aux instincts animaux de ses personnages. Et le plus incroyable est qu'il arrive à communiquer cette sensation au lecteur.

« Royal haïssait ce conformisme de l'intelligence. Lorsqu'il rendait visite à ses voisins, il se sentait saisi d'un dégoût physique devant les contours d'une cafetière lauréate, les modulations soignées des couleurs, l'intelligence et le bon goût, qui - véritables Midas – réalisaient sur chaque objet le mariage idéal de la fonction et du design. En un sens, ces gens étaient l'avant-garde de prolétariats de l'avenir, possédant une éducation supérieure et de hauts revenus, emboîtés dans leur coûteux appartement, avec leur mobilier élégant et leur sensibilité raffinée – sans la moindre chance de s'en tirer. Royal aurait donné n'importe quoi pour apercevoir une garniture de cheminée vulgaire, un évier pas tout à fait net, une lueur d'espoir. Dieu merci, ils allaient enfin secouer cette prison doublée de fourrure. »

Depuis que j'ai lu ce roman, chaque fois que je vois un I.G.H., je ne peux m'empêcher d'en compter méthodiquement le nombre d'étages et d'imaginer les processus de destruction qui y sont déjà à l'oeuvre...
Aspect sociologique... 8 étoiles

Finalement, ce roman pourrait constituer un pendant moderne de Pot-Bouille de Zola ! Seuls changent l'époque et le nombre d'étages...
Je ne vais pas ajouter grand chose aux critiques précédentes... Nous voici pris dans cet immeuble qui devient progressivement un lieu clos où les clans s'organisent. L'analyse est essentiellement sociale. L'on suit plus particulièrement dans cette guerre des clans 3 personnages, l'un d' "en bas", l'un "du milieu", et l'architecte suprême, finalement détrôné. Très intéressant à lire, même si certains aspects ont un peu vieilli, ce qui est souvent le cas dans le genre de la science-fiction d'anticipation.

Cecezi - Bourg-en-Bresse - 44 ans - 31 décembre 2015


Baroque. 10 étoiles

IGH part d'un concept original : il s'agit d'un immeuble très complexe, intégrant habitations, mais aussi commerces, piscines, centre commercial, etc. Un univers replié sur lui-même, qu'on pourrait à la limite ne jamais quitter. Une sorte de ville miniature. La vie en autarcie.
Plus on monte dans les étages, plus les classes sociales sont aisées. Et tout au sommet, habite celui qui l'a créé. Un architecte, ou une parabole sur Dieu ?
Et puis, tout se dégrade peu à peu. Ballard est très fort à ce jeu, pour nous présenter les choses graduellement, avec un ton distancié, clinique. Il s'agit d'une traduction, bien sûr, et on ne peut préjuger de ce qu'est le texte dans la langue originale. Mais la qualité est là, indéniable.
Cela commence par des actes de vandalisme, des réactions isolées. Mais le malaise va grandissant. Et il n'y aura pas de limites, ni de quartier.

C'est un livre mené par un dessein simple, évident, au premier abord. Mais qui réussit à ne pas se faire piéger par son propos. Bien plus complexe qu'on pourrait le croire au départ. Très ambitieux, même. Il va installer une tension grandissante, basée sur fond de... lutte des classes ? C'est bien possible. En tous cas, tout, d'un bout à l'autre, est crédible, sonne vrai, semble sortir d'un cauchemar éveillé.

Un très très grand roman.

Natalia Epstein - - 44 ans - 14 novembre 2015