Le dieu du carnage
de Yasmina Reza

critiqué par Ddh, le 21 avril 2007
(Mouscron - 83 ans)


La note:  étoiles
Un p'tit dieu provoque un p'tit carnage
Est-ce un carnage ? Les personnages présentés sont plutôt b.c.b.g. Et pourtant, il y a eu violence. Pourquoi le dieu, le dieu du carnage ? Tout tourne autour d’un méfait d’un enfant : une bagarre qui a provoqué un dommage. Les parents s’expliquent pour discuter du litige : les enfants, ces petits dieux, qui ont provoqué un carnage… hyperbole !
D’un fait divers banal, Yasmina Reza crée tout un univers qui est le reflet de la vie actuelle. Alain et son épouse Annette Reille sont chez les Houillé, Véronique et Michel. Motif ? Ferdinand Reille a quelque peu amoché Bruno Houillé avec un bâton. Ils sont tous là pour établir un constat à remettre à leur assurance familiale. Au fil de la conversation, il ressort que chacun a en soi de la violence et elle s’exerce au sein du couple, entre deux couples, entre le père et l’enfant, la mère et l’enfant. Il y en a partout mais, le tout, c’est de garder son calme, de relativiser. Ici, dans la pièce, la violence n’est qu’anodine, mais chaque personnage, petit à petit, s’exaspère, s’excite, perd son contrôle : ce qui rend la scène cocasse pour le spectateur, ou le lecteur !
Par le truchement d’un dialogue clair, l’auteur parvient à amener un crescendo à cette pièce, en partant d’une situation qui prête à conflit, mais que les antagonistes maîtrisent grâce à leur savoir-vivre. Chassez le naturel et il revient au galop… Chaque personnage se montre alors sous son vrai jour.
Ce moment où tout bascule ... 7 étoiles

Deux familles se retrouvent pour faire un constat suite à un mauvais coup donné par l'un des enfants. Cette formalité va réveiller des discussions mouvementées et faire surgir des tensions dans cet univers bourgeois.

Les dialogues fusent et sonnent par leur justesse. Cette pièce est un véritable miroir tendu au lecteur. "Le dieu du carnage" a une portée satirique. Yasmina Reza dénonce et se moque d'un bon nombre de nos travers. Il y a ce père de famille peu intéressé par sa vie personnelle qui fait passer sa vie professionnelle avant tout le reste. Derrière ces familles qui semblent unies et qui vivent dans un cadre confortable se perçoivent quelques fausses notes. L'extrême dépendance à son portable d'un des personnages souligne l'incommunicabilité propre à notre monde moderne et le sens des priorités quelque peu détestable. Ces couples ne font pas rêver. Le lecteur observe cette déliquescence et prend conscience qu'il faut corriger certains travers engendrés par la modernité. Cet avocat n'attire pas la sympathie du lecteur. On perçoit de la corruption et un manque de sincérité. Les magouilles en lien avec l'industrie pharmaceutique sont tout simplement révoltantes. Le mensonge et l'inhumanité prédominent. Tout ceci est associé à l'égoïsme du monde occidental très centré sur ses intérêts. La pièce contient de nombreuses références à l'Afrique. La confrontation de nos soucis à ceux des Africains est complètement indécente. Derrière le rire se cache une réalité déplaisante. Tout est sujet à colère et à expression de la violence : un enfant en a frappé un autre, les parents s'affrontent, la guerre est entre les deux couples et dans le couple même, les mots deviennent durs, les reproches fusent, un personnage vomit ... Tout est dans l'extériorisation de ce qui est enfoui et innommable.

Cette pièce fait aussi sourire le lecteur par certaines situations et certaines réactions excessives. Elle se lit avec plaisir et emporte le lecteur par son énergie. De plus les scènes décrites sont tellement empreintes de réalisme que l'on ne peut s'empêcher de se reconnaître dans certains faits. Il vaut mieux en rire qu'en pleurer, car le fond de cette pièce reste une belle charge contre notre société contemporaine. Yasmina Reza excelle dans ce genre de situation où tout bascule. Elle dépeint efficacement ces instants où tout vrille. On ne s'y attendait pas et en même temps, à force d'enfouir et de refouler certains faits quotidiens on s'expose à un surgissement incontrôlable de vérités. Cela est habilement mené dans cette pièce de théâtre.

Pucksimberg - Toulon - 45 ans - 16 décembre 2018


Des règlements de compte désagréables 6 étoiles

Suite à une tentative de règlement à l'amiable d'un conflit, suite à une bagarre entre deux jeunes garçons qui a dégénéré, les parents exposent leurs divergences sur la conception de la vie et de la responsabilité, puis du couple et de la courtoisie, avec des tirs croisés dans chacun des deux couples.
La conversation commence déjà de manière tendue, la tension ne faisant que monter crescendo, sur des sujets de plus en plus tirés par les cheveux et éloignés du thème initial, dans une ambiance généralisée de pétage de plombs. Cela pourrait devenir drôle, mais cette pièce m'a laissé un goût désagréable, face à une volonté plus ou moins avouée d'alimenter le conflit et d'assumer sa mauvaise foi. Dans le genre, ce n'est pas mal fait, mais ça ne fait pas passer un bon moment, en tout cas pour moi.

Veneziano - Paris - 47 ans - 26 juin 2018


Grinçant 8 étoiles

À partir apparemment des meilleures intentions, deux couples se rencontrent pour discuter à propos de leurs enfants qui se sont battus et dont un a été gravement blessé. Ce qui commence cordialement et plein de civilité va lentement dégénérer...

« ANNETTE. Nous sommes très touchés par votre générosité, nous sommes sensibles au fait que vous tentiez d'aplanir cette situation au lieu de l'envenimer.

VÉRONIQUE. Franchement c'est la moindre des choses.

MICHEL. Oui !

ANNETTE. Non, non. Combien de parents prennent fait et cause pour leurs enfants de façon elle-même infantile. »

La pièce va être bientôt à l’affiche au grand écran et c’est ça qui m’a donné le goût de la lire. Bien qu’on a de la difficulté à prendre à part l’homme et l’oeuvre maintenant, j’ai très hâte de voir cette adaptation cinématographique réalisée par Roman Polanski, elle regroupe quatre d’acteurs que j’apprécie beaucoup : Jodie Foster (dans le rôle de Véronique), John C. Reilly (Michel), Christoph Waltz (Alan) et Kate Winslet (Annette).

Une pièce de théâtre grinçante où les personnages s’égratignent tous, limite cynique. Je recommande, c’est très court à lire et les réparties sont délicieuses.

Nance - - - ans - 5 septembre 2011


sur scène à Bruxelles 8 étoiles

Du piano martelé en rage dans le noir absolu. Puis la lumière illumine des personnages figés dans un calme apparent. Le décor est plus que banal, à part au fond une immense toile couverte de fissures, de ruptures, de dédales, un grand Rien, comme les craquelures d’un désert d’amour. Soudain, chaque nature s’anime en toute civilité : un bon fils travailleur et méritoire harcelé par sa mère, une femme éprise de changements planétaires, sublimée par ses idéologies. Pour elle c’est le dialogue à tout prix, mais une parole de trop et tout dérape ! Un avocat ridiculement ensorcelé par son portable incapable de se tenir debout sans son attribut électronique. Une femme poupée, incapable de se contenir au propre et au figuré, crachant venin de tripes dès qu’on s’en prend à son rejeton, lui qui est bourreau et non pas victime! Une victime expiatoire : le pauvre cochon d’Inde détesté, ensuite exilé, sans doute mort de peur et de froid… Les enfants, par qui tout arrive, totalement absents, loin de ces violences d’école maternelle. Voici une promenade jeu de massacre où les alliances ne cessent de s’inverser dans l’absurdité la plus complète. Scènes de pugilats paroxystiques bien aidées par les effets désinhibiteurs de l’alcool. Pour finir un requiem pour le cochon d’Inde assassiné. A vrai dire, le seul non coupable si ce n’est d’exister. Musique douce, extinction des voix et des lumières. Vive le silence hypocrite. Les quatre comédiens rivalisent d’excellence, campés avec justesse, un peu comme dans une comédie de boulevard il est vrai, mais que de rires au cœur du cynisme de la situation. Est dévoilé en crescendo habile un certain naturel de l’homme, égoïste et dictateur, qu’il serait bon de d’amener vers des sphères plus élevées. Vers - un autre dieu s’il existe, un autre idéal.

Deashelle - Tervuren - 15 ans - 25 juin 2010


Mais où est donc dieu ? 8 étoiles

Suite à une rixe entre deux gamins, dont l’un fut assez sérieusement blessé, les quatre parents ont convenu de se rencontrer afin de trouver un accord à l’amiable. L’intention est louable, certes. Mais chacun a ses occupations ( dialogues via gsm avec un quidam ) ou ses préoccupations ( nausée subite ) ; les négociations tournent court. L’occasion est trop belle pour régler des comptes larvés à l’intérieur de chaque couple. Des alliances se forment – entre les hommes, entres les femmes, mixtes – et se défont aussi vite. Le constat risque, vous l’avez devinez, d’être assez navrant ; pour notre plus grand plaisir. Un joli crêpage de chignon et, il faut le craindre, un miroir de nos propres vies .

Ah ! N’y cherchez pas Dieu : il n’y est pas !

Catinus - Liège - 73 ans - 15 novembre 2009


Du bonbon! 8 étoiles

Quel petit délice que cette pièce! L’histoire est simple, presque banale. Véronique et Michel Houllié accueillent dans leur demeure Alain et Annette Reille. Il ne s’agit pas d’une rencontre qui tient à de l’amitié, mais bien de deux couples qui veulent régler une dispute entre deux garçons. Ferdinand Reille a asséné un coup de bâton à Bruno Houllié, lui arrangeant bien la mine.

Modernes et de caractères conciliants, les parents semblent être déterminé à s’entendre assez facilement sur ce qui a fait quoi et sur la marche à suivre afin d’éviter pareil élan de violence des enfants à l’avenir. Cette rencontre se fera dans les règles ou ne se fera pas.

Pourtant, au fur à mesure que la pièce avance, l’histoire, qui était simple au départ, se complique. N’est-ce pas dans la nature humaine de compliquer tout? Une banale dispute entre deux enfants finira par devenir une guerre ouverte entre les deux couples. En fait, même époux et épouses se retourneront l’un contre l’autre.

L’auteure semble vouloir nous convaincre qu’au fond de chacun de nous, il y a toujours cette certitude d’avoir raison. L’autre a toujours tort. Par ailleurs, cette pièce nous prouve encore que les apparences sont pour la plupart du temps trompeuses. Chose certaine, sous ses airs de petite pièce simplette, ce livre fournit quand même matière à réflexion.

Leroymarko - Toronto - 51 ans - 25 septembre 2009


Une rapide petite détente 6 étoiles

La lecture en est très plaisante à mon sens. On y ressent une sensibilité féminine à fleur de peau, ce qui est très agréable et rafraichissant en soi. Mais aussi parfaitement adapté au sujet. Un sujet que je trouve cocasse : une satire caustique du bienséant civilisé qui du bien policé dérape en un règlement de compte généralisé. Très drôle ! J’ai beaucoup apprécié, et cette lecture m’a bien aéré l’esprit. Je le conseille à ceux qui veulent se dégager un peu des soucis, cette pièce de théâtre peut se lire en une soirée. Et pour tout âge, même mon « ado » a trouvé cela très drôle.

Mais je lui trouve un défaut : il me donne une impression de pas fini. On arrive à la fin comme sur une queue de poisson. Souvent, l’on sent le désir de laisser le lecteur (et même le spectateur dans l’art cinématographique où le procédé est souvent utilisé) avoir sa propre fin. Mais là, je n’ai pas ce sentiment. Et pour le coup, je reste sur ma faim.

Naturev - DOLE - 58 ans - 23 octobre 2008


Et pan dans les dents 8 étoiles

Les Houllié ont invité les Reille dans leur salon pour rédiger une déclaration relatant l’altercation survenue entre leurs fils respectifs. En effet, Ferdinand Reille a frappé Bruno Houllié au visage avec un bâton. La victime souffre d’une tuméfaction de la lèvre et de deux dents brisées dont une se retrouve avec le nerf à vif.
Les deux couples font connaissance et s’expliquent dans le calme et le respect. Michel est grossiste en articles ménagers tandis que Véronique écrit des ouvrages qui traitent des conflits africains. Du côté des Reille, Annette s’occupe de gestion du patrimoine et Alain est avocat, profession qui occasionne d’ailleurs d’incessantes interruptions téléphoniques au sujet d’un médicament dont il doit taire les effets secondaires deux semaines avant l’assemblée générale de la compagnie pharmaceutique qu’il défend.
De nombreuses digressions émaillent la conversation au sujet de la suite à donner au pugilat des enfants. Les esprits s’échauffent et les masques tombent progressivement. Tour à tour, les protagonistes se lâchent, accusant le couple adverse ou leur propre conjoint. Aidés de quelques rasades de rhum pour catalyser les vexations refoulées, chacun finit par exprimer son mal-être, ses désillusions dans un crescendo dont on ne peut déterminer s’il est salvateur ou destructeur, car personne n’est disposé à se remettre en question.
En considérant que les digressions participent à dépeindre les personnages, cette pièce respecte la règle des trois unités: temps, lieu et action. L’unique scène se joue d’une traite dans un décor minimal, retenant le spectateur captif dans la joute verbale, à première vue amusante, que se livrent les Houllié et les Reille.
Idéaliste, Véronique tente principalement de positiver. Mais son sens intransigeant de la justice finit par agacer son entourage, et principalement son propre mari. Car l’attitude ouverte de Michel n’est qu’une fragile façade. Poussé à bout, il se révèle macho, égoïste et parfois odieux. Un caractère manifestement érigé en réaction aux convictions de sa femme.
Alain ne cherche pas à cacher son manque d’humanité proche du cynisme. On devine que son activité d’avocat peu scrupuleux l’a amené à une vision désabusée du monde. Sans doute conscient de cette dérive, il lui arrive de lancer des réflexions d’une rare lucidité. Annette, sa femme qu’il appelle affectueusement Toutou, est tellement anxieuse qu’elle en vomit. Plutôt conciliante au début, il est difficile de définir dans quelle mesure l’alcool est responsable de son agressivité croissante.
Cette pièce expose avec brio le spectacle consternant d’adultes guère plus matures que leur progéniture. Faut-il en rire ou en pleurer? Il y a immanquablement matière à réflexion.

Jean Meurtrier - Tilff - 49 ans - 17 décembre 2007