Karl Marx ou l'esprit du monde
de Jacques Attali

critiqué par Dudule, le 16 mai 2007
(Orléans - - ans)


La note:  étoiles
toujours très actuel
A lire la vie de Karl Marx, ses écrits, cela nous permet de comprendre, d’approfondir les bases de la société, aussi bien en politique, en économie, qu’en philosophie.
Il nous parlait déjà de la mondialisation, de l’explosion du capitalisme, de l’essor de la précarité, de la diminution du temps de travail, de la délocalisation.

Ce livre m’a permis aussi de revisiter l’histoire de pendant plus d’un siècle, les luttes, les combats, La Commune de Paris, les dictatures, le totalitarisme communiste et le totalitarisme nazi.

Merci M. Attali pour cette merveilleuse biographie, et l’envie qu’elle donne de lire, relire les écrits de Karl Marx.

A lire pour comprendre notre monde
Un parallèle troublant avec le présent 7 étoiles

L’année 2018 est celle du bicentenaire de sa naissance, mais c’est en 2005 que Jacques Attali a publié sa biographie, une de plus de cette figure incontournable de son siècle et du suivant jusqu’à l’effondrement des régimes communistes qui ont plongé le monde dans l’abomination. Converti sur le tard à la nécessité d’une lecture de Marx par Louis Althusser, professeur de philosophie à l’Ecole Normale Supérieure, Jacques Attali en a retenu la lucidité visionnaire du personnage, son anticipation surprenante de l’état du monde actuel : l’espoir d’une vie meilleure pour tous permise par les libertés, plus de fraternité entre les hommes sous la bienveillance de la démocratie, la puissance démographique en Asie, la puissance économique et financière du monde anglo-saxon, la révolution technologique annonçant une réduction de la pénibilité du travail (transport, électricité, énergie à son époque, numérique aujourd’hui), la mondialisation des marchés, les inégalités croissantes accompagnant l’accumulation du capital.
La Rhénanie où Marx voit le jour, un temps française après les conquêtes napoléoniennes, permet à son père de famille juive depuis des siècles de changer de statut, de devenir avocat, de vivre dans l’aisance en accédant à la bourgeoisie. Père qui n’hésitera pas une fois venue la reprise en main de la Prusse réactionnaire à se convertir au luthéranisme pour conserver ces avantages. Enfant précoce, étudiant dépensier en excès malgré les rappels à l’ordre paternel, il s’oriente vers le droit pour se tourner ensuite vers la philosophie peu soucieux de gagner sa vie. Après son mariage avec Jenny, tendre amie d’enfance et voisine appartenant à l’aristocratie il n’essaiera même pas d’entretenir décemment sa famille. Toujours endetté, incapable de gérer ni sa propre production d’écrits ni les très maigres ressources du ménage, il refuse le moindre travail salarié qu’il juge aliénant au possible et par conséquent indigne de sa personne et des idées qu’il veut promouvoir. Il aurait fini à la rue sans le soutien financier indéfectible de son ami si proche Friedrich Engels, l’un des très rares avec lequel il ne se brouillera pas.
Ayant opté très tôt pour la démocratie, ses idées révolutionnaires à l’aune des régimes conservateurs lui valent maintes expulsions, de Prusse et de Rhénanie, de Paris, de Bruxelles jusqu’au refuge qu’il trouve à Londres malgré sa mauvaise pratique de l’anglais. Dans les mouvements du socialisme naissant animé par les Proudhon, Fourier, Bakounine et d’autres, son idée première est de favoriser d’abord une plus large diffusion du capitalisme avant qu’une crise majeure ne l’élimine naturellement à l’occasion d’élections au bénéfice de ce qu’il nomme le communisme. Le climat politique agité en Europe et les changements des conditions de travail instaurées par les entrepreneurs sont propices aux révolutions, dont celle de 1848 qui fera naître des espoirs vite étouffés. Ayant en tête d’élaborer une théorie économique sur des bases scientifiques mais qui restera en partie incohérente, il lui faudra plus de 20 ans pour publier une première version de « Le Capital », dont se réclameront les mouvements révolutionnaires par la suite, à commencer par la Commune de Paris (1871), puis la révolution bolchevique (1917).
Pour Jacques Attali il y aurait eu dévoiement de la pensée de Marx après sa mort (1883) par des héritiers plus ou moins légitimes, à commencer par Engels désireux de sortir de l’ombre à laquelle la personnalité écrasante de Marx l’avait contraint. C’est aussi la conséquence d’une écriture confuse et ambigüe ouvrant à diverses interprétations, parfois même à de vrais mensonges quand il s’est agi de Lénine. Pire encore ne serait-il pas resté un simple théoricien sans la popularité lui venant des soupçons de la police prussienne renforcés ensuite par le chancelier Bismarck, qui lui donnera une légitimité incontestée dans les sections socialistes des pays européens s’apprêtant à la révolution par les urnes ou par la violence ? En toile de fond c’est donc l’histoire socialiste menée par quelques penseurs isolés sans ressources tandis que les syndicats britanniques optaient résolument pour le réformisme, que Bismarck jetait les bases de l’Etat-Providence et qu’en 1917 peu avant la Révolution d’Octobre le gouvernement allemand faisait rapatrier dans leur pays les révolutionnaires russes exilés.

Colen8 - - 83 ans - 10 décembre 2017


Dans les chaussettes de Karl Marx 8 étoiles

Jacques Attali : « Je n'ai jamais été ni ne suis « marxiste » [...] Max m'a fasciné par la précision de sa pensée, la force de sa dialectique, la puissance de son raisonnement, la clarté de ses analyses, la férocité de ses critiques, l'humour de ses traits, la clarté de ses concepts. »
Attali a voulu, à propos de cet « esprit prodigieux » qui a fait l'objet de « dizaines de milliers d'études » écrire une biographie pour une fois ni « hagiographique » ni « hostile ».

Sous cet aspect biographique, son livre m'a paru une réussite, moi qui – c'est à la fois étrange et normal – ne me suis jamais intéressé au personnage en tant que tel.
Laissons donc de côté les aspects idéologiques. Les marxistes y trouveront à redire. Les autres y trouveront malgré tout à apprendre et à constater que le marxisme vaut infiniment plus que les simplifications niaises des opposants...et de certains partisans.

Au passage, Attali nous parle des personnages qui croisent la vie de Max. Engels bien sûr (qui lit 24 langues !) et bien d'autres intellectuels fascinants : le XIXe siècle est d'une richesse inouïe. Je ne vais pas ici résumer la vie de Marx. Uniquement le décrire en quelques détails que nous cite Attali. Durant ses études, l'année où il écrit une thèse de philosophie et une thèse d'histoire, Marx traduit en plus un historien grec, écrit 150 poèmes à sa future femme, commence des pièces de théâtre et des romans (tout ça à la plume et à la chandelle; pas d'ordinateurs) et...passe ses soirées à boire et à faire le coup de poing dans les tavernes de la ville. Quelle santé ! Plus tard, il ne va pas lambiner non plus. Il reçoit des visiteurs du monde entier et leur parle indifféremment en allemand, en anglais, en français, en espagnol ou en russe (j'en oublie peut-être). Pour préparer le « Capital », il se lance dans l'algèbre et les mathématiques supérieures, songeant même à écrire une histoire du calcul différentiel. Il lit des traités de Descartes, Newton, Leibniz, Lagrange, Maclaurin et Euler. Pour étudier la rente foncière, il se lance dans la géologie, l'agronomie, la physiologie des plantes, la théorie des engrais. Il remplit quatre épais cahiers de notes pour l'esquisse d'une Histoire universelle.
Il y a des jours, comme ça, où j'ai la sensation très nette de ne rien faire de ma vie. Pas vous ?

Sur le plan politique, le bouquin d'Attali est assez décevant. Attali répète à l'envi que pour Marx, le socialisme devait être l'aboutissement de l'universalisation du marché. Il est clair qu'Attali tient absolument à faire des derniers marxistes amers les militants les plus farouches de la mondialisation et du capitalisme, dans le genre, aidez-nous à pousser le capitalisme à son terme, ça vous rapprochera d'une société communiste : « Il est donc nécessaire d'accélérer la généralisation du capitalisme, de favoriser la mondialisation et le libre-échange ».

Pas toujours très bien écrit. Attali rédige trop et trop vite. On le sent manipuler sa montagne de fiches jusqu'à en prendre parfois deux au hasard et en faire une seule phrase : « Nanti d'un physique quelconque, d'un teint mat, d'une santé plutôt fragile, Karl témoigne une grande tendresse à sa mère ». Je cherche encore le rapport...

Parfois, Attali ne résiste pas au plaisir d'en rajouter. Il nous affirme que Lissagaray (auteur DU livre sur la Commune : « Histoire de la Commune de 1871) est le dernier combattant de la dernière barricade. La quatrième de couverture de l'édition de ce bouquin (édition préfacée par Jean Maitron), on trouve : « La légende veut que ce dernier combattant anonyme ne fût autre que Lissagaray lui-même... ». Attali qui pompe les quatrièmes de couverture en les déformant...

Mais tout ça n'est pas grave. Je conseille tout de même la lecture de la chose aux curieux (mais pas aux militants). A la fin, l'auteur se lance dans une prospective à termes très lointains (la prospective, c'est le truc d'Attali), après que le capitalisme aura transformé tous les rapports sociaux en marchandises, et il imagine une sorte de passage naturel au socialisme mondial. Les esprits pourront alors revenir à Marx et à son message principal : l'homme mérite qu'on espère en lui.

Je ne suis pas sûr que ce soit là le message principal. Disons que c'est le moins polémique.

Bolcho - Bruxelles - 76 ans - 25 novembre 2007