Goodis, la vie en noir et blanc de Philippe Garnier

Goodis, la vie en noir et blanc de Philippe Garnier

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Grass, le 16 mai 2007 (montréal, Inscrit le 29 août 2004, 47 ans)
La note : 9 étoiles
Visites : 5 552  (depuis Novembre 2007)

Paperback Writer

Écrire une biographie doit déjà être une somme de travail considérable, s’il faut en plus que le sujet n’ait laissé que très peu d’information et qu’une grande partie de ses connaissances ne soient plus de ce monde, c’est carrément aller se foutre dans le trou par soi-même.

C’est pourtant ce qu’a acompli Philippe Garnier en se lançant sur les traces de David Goodis, auteur américain de romans noirs, mort en 1967 à l’âge de 55 ans. Le problème est le suivant : En France, Goodis a occupé une place de choix dans le prestigieux catalogue de la Série Noire chez Gallimard, a été édité également chez la non moins importante collection Rivages/Noir, en plus d’avoir eu l’un de ses meilleurs romans « Tirez sur le pianiste! » adapté au cinéma par Truffaut. Garnier fait remarquer qu’aux dix ans, une nouvelle vague d’intérêt s’empare de Goodis. Comme si les Français voulaient qu’il ne disparaisse jamais. Aux Etats-Unis, c’est une autre histoire. Goodis a commencé sa carrière comme « Ghost Writer » dans les « Pulp Magazines », écrivant sous différents pseudonymes des histoires de détectives, de pilotes de guerre ou de sport, pour ensuite publier ses propres romans directement en éditions de poche. Auteur de romans de gare dans son pays, écrivain majeur du roman noir en France, cette simple différence illustre parfaitement le personnage complexe que semble avoir été Goodis. C,es à croire que personne ne l’a connu « pour vrai ».

Son deuxième roman, « Dark Passage » fut adapté au cinéma, avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall dans les rôles principaux. Goodis restera à Hollywood quelques années comme scénariste et connaîtra un certain succès. Cependant, selon les recherches de Garnier, personne là-bas n’a souvenir de lui. Certain se rappellent bien l’avoir vu, mais il aurait pu être technicien ou concierge, personne ne saurait dire. Ceux qui l’ont connu sont morts. Garnier se rend donc à Philadelphie, ville natale et décor principal de la plus grande partie de ses roman. À force d’acharnement, ses recherche portent fruit et il parvient à rencontrer de vieilles connaissances, qui le décrivent pour la plupart comme un bouffon excentrique. Ce qui plaisait à certains, et rendait d’autres plutôt mal à l’aise. Goodis semble n’avoir montré sa réelle personnalité qu’à très peu de gens. Sinon, il se cachait derrière cette boufonnerie un peu limite, le genre de conneries qui durent juste un peu trop longtemps, et qui finissent par jeter un malaise. Invariablement, tout le monde s’entend sur ses manies. Goodis n’en a jamais parlé, mais il était plein aux as. Et pas dépensier pour deux sous. Il vivait avec sa mère, ou bien dans de petites chambres minables, portait toujours le même complet saumon usé à la corde et le teignait en bleu quand ça allait trop loin. Et il roulait dans une voiture qui s’apparentait davantage à un bac de recyclage qu’un véhicule. Certaines personne se rappellent plus de sa voiture que de lui.

Goodis n’était pas un littéraire. Il ne parlait jamais de littérature, ni de ses livres, et encore moins de ses textes en chantier. Il avait bien quelques livres chez lui, mais uniquement des best-sellers. Lorsqu’on lui parlait par exemple du concept d’anti-héros dans « Tirez sur le pianiste! », il répondait qu’il n’avait en fait qu’essayer d’enligner une histoire. Et je ne crois pas qu’il y ait eu de fausse modestie dans ce genre de commentaire. Goodis a toujours écrit, et dans ses premières publications, il était payé au mot. Il y a peut-être quelque chose d’alimentaire dans tout ça, mais fondamentalement, Goodis provenait de la culture de masse et n’a jamais prétendu à autre chose. Il dira qu’à un certain moment, il se conformait au marché et aux demandes de l’éditeur, mais mis à part à Hollywood, on ne lui a jamais vraiment demander de se plier à quoi que ce soit. Mais encore là, ça fait partie du mystère Goodis. C’est pas parce que c’est dit que c’est vrai.

Je me suis lancé dans cette lecture sans trop y penser. J’aurais peut-être pu attendre d’avoir lu plus qu’un seul livre de cet auteur. Mais quelque chose m’y poussait, et je ne m’en porte que mieux. Ce livre n’est pas une biographie de David Goodis. Une biographie relate des faits, des accomplissements de sujets dignes qu’on en parle. Une grande partie des gens contactés par Garnier, en plus de constater qu’il en savait plus sur Goodis qu’eux-mêmes, n’en revenaient pas qu’un livre soit en train de s’écrire sur quelqu’un comme Goodis. Plusieurs le trouvaient insignifiant. Ses amis ne lisaient pas ses romans. Ne s’y abaissaient pas. C’était un excentrique désolant. Un petit juif bouffon qui fantasmait sur les grosses noires vulgaires. Et à travers son pèlerinage, Garnier nous fait revivre (ou simplement Vivre, dans mon cas) l’histoire du cinéma des années quarante à travers ses fouilles dans les archives de Warner, ainsi que l’évolution du monde de l’édition, des Pulp Magazines aux Paperbacks aux couvertures criardes (avec inévitablement une femme fatale, qu’il y en ait une ou non dans l’histoire), jusqu’aux maisons de prestige en France. C’est impressionnant de voir à quel point les choix éditoriaux influencent non seulement sur la lecture, mais aussi sur l’opinion que l’on se fait d’un livre.


Bien qu’un grande partie du livre comporte des entretiens transcrits ou des données d’archives, l’écriture de Garnier, dans la grande tradition des journalistes rock, fait grand bien (voir le magnifique prologue). L’auteur est traducteur de nombreux romans policiers américains, en plus d’être lui-même romancier et d’écrire pour les Inrockuptibles. Et on a envie qu’il nous en raconte. Seulement, un point qui confirme peut-être que ceci n’est pas une vraie biographie : ce livre ne donne pas particulièrement envie de lire Goodis. Le personnage est certes passionant et boulversant, mais l’idée de son œuvre qui ressort de ce livre est moins convaincante. Le fait que Goodis représente pour Garnier ses premières lectures noires à l’âge de quatorze quinze ans y est peut-être pour quelque chose. Mais plutôt que de se lancer les yeux fermés dans Goodis, on fera un tri pour se concentrer sur des titres comme « Les Passagers de la nuit », « Cauchemar », « Vendredi 13 », « La nuit tombe », « Tirez sur le pianiste! » ou « La blonde au coin de la rue ». Le reste pourra attendre.

Alors lisez ce livre si Goodis vous intrigue, vous ne serez pas déçu. Lisez-le aussi si vous vous intéressez à l’histoire du roman et du cinéma noir. Vous ne serez pas déçu non plus. Mais lisez au moins un livre de Goodis avant, vous ne vous en porterez que mieux.

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