Seul ce qui brûle de Christiane Singer

Seul ce qui brûle de Christiane Singer

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Babsid, le 19 mai 2007 (La Varenne St Hilaire, Inscrite le 8 mai 2006, 37 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (40 534ème position).
Visites : 5 249  (depuis Novembre 2007)

Une douloureuse passion.

Je n'ai pas voulu cantonner ce roman sous l'appellation "roman d'amour" pour la bonne raison qu'il transcende cet état.

L'histoire est simple.
Au Moyen-Age, un voyageur est contraint de faire halte pour la nuit dans un château.
Il est très bien reçu par le seigneur des lieux.
Au moment du repas, il voit apparaître une jeune fille vêtue de noir, le crâne entièrement rasée.
Silencieuse, elle mange à leur table. Elle demande à boire. Le voyageur voit une scène irréelle se dérouler sous ses yeux. Elle boit dans un crâne humain !
Il va alors souhaiter en savoir plus.

Je vous laisse le soin de découvrir la suite.


Au début, Christiane Singer nous explique comment lui est venu l'idée de ce roman. Comment à l'origine cette histoire l'a troublée.
Comment depuis toujours "seul ce qui brûle" dans la vie l'intéresse.
Et le fait est, ce roman est celui de la passion dévorante, de la jalousie. De l'amour poussé dans ses retranchements. De l'amour qui meurtrit mais aussi de l'amour qui guérit.
Celui que l'on ne croise qu'une fois ou jamais.
Elle le résume ainsi dans la bouche de l'amoureux:

"Je ne sais si vous avez eu le terrifiant privilège de connaître la passion d'amour. C'est le plus vertigineux des abîmes dans lequel il est possible à l'homme de descendre.
Un abîme de flammes et de souffrances aiguës.
Mais si quelqu'un se mêlait de vouloir sauver celui qui y est tombé, vous l'entendriez hurler comme si on lui arrachait la peau !
La seule délivrance est d'y être consumé sans résidus !"

Et elle a douloureusement raison.


A lire, c'est magique !

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A travers la passion

7 étoiles

Critique de G. (Rambouillet, Inscrit le 14 décembre 2004, 49 ans) - 13 novembre 2007

Que ce soit par des romans, que ce soit par des essais, force est de constater que Christiane Singer a su porter de nombreuses réflexions sur les manières d’approcher une plus grande connaissance de soi, en osant, par la pensée, se frayer un chemin dans le sensible pour en extraire de l’or. Certains de ses essais, comme "Histoire d'âme"(Prix Albert Camus 1989) ou "Une Passion, entre ciel et chair", brûlaient déjà d’une puissante réflexion sur la passion, sujet au centre de son roman épistolaire: "Seul ce qui brûle", publié en 2006.

Elle a reçu d’ailleurs cette année-là, le Prix de la Langue Française pour l'ensemble de son oeuvre. Elle n'a jamais aimé la tiédeur, la platitude, l'insipide ; de cela, toute son oeuvre l'atteste. Son écriture dotée d'un lyrisme sec souligne la hauteur des sentiments dévorants au moyen d’une prose sans fioritures, concise, allant à l’essentiel.

Cette femme courageuse qui s'est éteinte en avril 2007, autant assoiffée de lumières que resplendissante d'une beauté lumineuse profonde, s'est tournée vers le type de flamme qui saisit l'existence soudainement embrasée de ceux qui aiment follement. Trifouillant dans la passion, Christiane Singer décrit toute la violence des sentiments, à travers l’évocation d’une histoire qui se déroule au XVIe siècle. Au temps des chevaliers, un comte, Sigismund d'Ehrenburg, et Albe, sa jeune épouse, sont deux amoureux épris, prisonniers de leurs rages, victimes de l’innocence. Ayant surpris sa femme dans les bras de son page, le comte l'a condamnée, cheveux rasés, à rester cloîtrée dans une chambre obscure, à descendre dîner avec son époux et boire dans le crâne de l'amant qu'il a tué. Mais l'amour n’est pas tué. Le puissant seigneur va finir par regretter cette sanction féroce. Dans une approche mystique de l'amour, Christiane Singer s'est inspirée de "l'Heptaméron" de Marguerite de Navarre et de "La Princesse de Clèves" de Madame de La Fayette.
Par l'entremise d'un voyageur venu de France, un élément extérieur débloque enfin la situation envenimée, débouchant sur une prise de conscience salutaire. Le rythme de l'écriture souligne parfaitement le silence douloureux qui ronge les personnages victimes de quelque chose qui les dépasse. Nous nous trouvons face à l’incandescence de la jalousie, lorsque nous est décrite l'insupportable brûlure de la passion amoureuse. Même si, à travers ce type de désastre à quoi s'exposent tous ceux qui rêvent d'absolu, il nous est rappelé combien de l’amour à la haine, il n’y a qu’un pas, l’accent porté sur la ferveur de l’amour tend à affirmer, malgré tout, l’idée rassurante que l’amour absolu est capable de transcender la violence la plus cruelle. Par le biais de lettres qui ne sont au fond que des confidences, ce sont les étapes d’une descente aux enfers qui deviennent visibles, où la transmission d’âme à âme permet, tout de même, par le miracle de l’écoute de dépasser la violence aveugle et irraisonnée. Que faire d’une passion sans limites et sans raison ? Le bourreau pétri d’orgueil et de certitudes, blessé dans ce qu’il croit être une trahison, s’enferme lui-même dans son malheur, nourrissant chaque jour sa blessure. Si la vengeance est un poison lent, l'introspection semble en être la clef, puisque pouvoir sortir de son propre enfermement impose de recourir aux renoncements nécessaires pour aller au-delà de ses maux. « Et ne pas haïr, c’est échapper à tout châtiment. »

Corps et âme, un être se donne parfois à un autre, et dans cette alchimie, dans la générosité naturelle de cet acte, nous voilà transportés aux portes du mystère de l'Être.
Avec l’attention extrême qu’elle sait porter sur les êtres et sur les choses, Christiane Singer nous ouvre les portes d’un domaine qui comprend les sentiments les plus complexes, pour favoriser l’accès au meilleur de nous-mêmes, nous livrant la possibilité de spiritualiser nos expériences les plus destructrices.

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