Là où vont nos pères
de Shaun Tan

critiqué par Sahkti, le 7 juin 2007
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Le chemin de l'exil
Un homme quitte tout, son univers, sa maison, sa famille, pour partir vers un lieu inconnu où l'attend, il l'espère, un monde meilleur. Sur place, il est aidé par d'autres êtres ayant connu ce même voyage, cet exil vers un inconnu prometteur. Reste à savoir si ces promesses seront tenues...

Cet album de Shaun Tan est muet. Pas de texte, rien. Et je trouve ça formidable, parce que cela donne une telle puissance aux images... sans compter tout le travail de création et d'imagination du lecteur qui s'en trouve décuplé. Et aussi cette force, parfois effrayante, qui se dégage de certaines objets, de certaines images. C'est vraiment un bel album, j'ai beaucoup aimé cette manière de procéder, d'autant plus que Shaun Tan dessine très bien et crée un univers magique, onirique, qui transporte aisément le lecteur dans ce monde inconnu qui devient un objet de quête et de convoitise. En filigrane s'esquisse la question du voyage, de l'exil, de ces gens capables/forcés de tout quitter pour trouver un ailleurs moins rude, à défaut d'être agréable.
J'ai été profondément touchée par cet album qui dit tout en n'alignant aucun mot, simplement des images. De superbes images. Un gros coup de coeur!
Pour cette BD muette... je n'ai pas de mots !: 9 étoiles

Une BD muette pour illustrer le fait que le personnage, parti dans un pays aux us, coutumes, langue inconnus, est lui aussi réduit au silence.
Tout passe donc par le dessin. Aucune ambiguïté sur le parcours, sur les épreuves que ce migrant traverse tant le graphisme est réfléchi pour décrire clairement ces situations.
Les illustrations sont absolument magnifiques.
La dominante sépia évoque les vieilles photos évoquant ce qu'emmène le personnage principal. Cela est associé à divers format de l'intimiste dans les petits carrés à l'immersion dans des doubles pages.

Le récit est admirablement servi par cet ensemble.
Un plaisir de lecture riche dans le sens et pour l'oeil.

Mimi62 - Plaisance-du-Touch (31) - 71 ans - 21 septembre 2023


Un formidable hommage à tous les immigrés du monde 9 étoiles

Subjuguant. C’est le premier mot qui me vient à l’esprit pour parler de cette œuvre très originale. Tout d’abord par la beauté du dessin extrêmement soigné dans des tons monochromes allant du gris sale à une sépia très lumineuse. L’imagination et les trouvailles de l’auteur font le reste. Celui-ci confère une portée universelle au mythe de la terre promise, avec une dimension onirique tout à fait étonnante qui peut dérouter à la première lecture. L’histoire commence en effet de manière plutôt sombre et réaliste (la patrie) pour évoluer dans un univers merveilleux et quasi surréaliste (la terre d’accueil), truffé d’objets et de créatures extraordinaires, ainsi que de symboles mystérieux. De cette façon, l’auteur a parfaitement su représenter comment un monde nouveau pouvait être d’une étrangeté absolue aux yeux d’un immigrant. L’absence de textes n’est absolument pas gênante, au contraire, cela aurait presque paru redondant dans cette histoire avant tout visuelle. Elle comporte d’ailleurs une telle richesse qu’à mon avis on peut la relire plusieurs fois sans problème et y découvrir de nouveaux éléments qui n’auraient pas sauté aux yeux à la première lecture.

D’une certaine façon, ce magnifique ouvrage redonne de la dignité à tous les expatriés de la Terre, ceux qui ont quitté leur pays par nécessité, avec peut-être un sentiment diffus de honte (laisser ses proches derrière soi n’est certainement pas chose facile). Certes, la représentation de la Terre promise est très idéalisée, mais le but ici n’a pas été de produire une histoire réaliste. D’après moi, l’auteur a voulu d’abord montrer les raisons qui conduisaient à quitter son pays natal, en mettant en scène la vision rêvée, si déformée soit-elle, de ces hommes rêvant d’un ailleurs où la vie serait plus douce.

Prix du meilleur album en 2008 à Angoulême, on peut le dire, c'est largement mérité.

Blue Boy - Saint-Denis - - ans - 4 mai 2013


Bande dessinée sans bande son 9 étoiles

« Là où vont nos pères » est à la BD ce que le cinéma muet est au parlant, comme on disait avant, le cinéma moderne quoi (quoique bientôt le cinéma moderne ce sera peut-être le 3D ?). Il n’y a en effet aucun écrit dans cette BD, pas une bulle, pas un mot … Et la couleur s’est mise à l’unisson ; un ton sépia qui évolue du gris au jaune, mais reste sépia. On comprend : l’équivalent du Noir et Blanc.
C’est donc l’histoire d’un père, qui part pour … « là où vont nos pères ». Et où vont nos pères, je vous prie ? Nos pères, je ne sais pas, mais les pères dont il est question émigrent, quittent leur pays pour gagner de quoi subsister pour la famille – ici la femme et la fille – restée au pays. Nous parlons bien de travailleur migrant. Les images sont largement oniriques, on ne sait donc pas d’où part ce père, ni où il va. Seul indice, Shaun Tan est australien, pays d’immigration s’il en est.
Au fil des images, on suit donc les préparatifs du départ du père, son voyage, son arrivée sur place, ses difficultés, sa solitude, son inquiétude pour celles restées au pays, … jusqu’à … la fin dont je ne préciserai pas si elle est happy ou non !
Et la grande force de cet ouvrage découle de son originalité : l’absence de textes. C’est tout ce qu’on peut, à titre personnel, investir comme suppositions, certitudes, hypothèses, fantasmes, … dans la mesure où seul le trait suggère. Il n’y a pas de propos, d’écrit pour imposer une grille de lecture. Je dirais même être persuadé que chaque lecteur a sa propre lecture tant la liberté accordée à l’interprétation par Shaun Tan est grande.
Une expérience étonnante.

Tistou - - 68 ans - 22 juillet 2012


immigration : un espoir? 9 étoiles

Ce n'est qu'en fermant le livre que j'ai remarqué que "Là où vont nos pères" était publié dans la collection "long courrier" de Dargaud, tant cette bande dessinée tranche avec la production actuelle (et le style Dargaud). Ce type d'ouvrage se rapproche au niveau graphique plus de la collection Mirages de Delcourt, à l'image d'un" Fritz Haber "de David Vandermeulen que d'une série de Dargaud.

En effet, il s'agit ici d'une bande dessinée muette, mais qui, de par son étonnante palette de vignettes peut se passer de dialogue.
"Là où vont nos pères" aurait pu être un portrait triste et poignant de l'immigration, mais non. L'auteur, Shaun Tan, a choisi une toute autre voie, qui oscille sans cesse entre Chaplin ("Modern times", ou encore" L'émigrant") et un monde à la Kafka, où tout nous est inconnu : alphabet, animaux, transports, langage etc.

Si j'ai été, dans un premier temps, assez désorienté par le scénario, j'avoue qu'il faut une seconde lecture pour bien appréhender la richesse de l'histoire. Mais c'est vrai que le scénario est peut-être étouffé par la beauté des illustrations, d'ailleurs, je n'ai eu de cesse de contempler les superbes pages à plusieurs reprises depuis que j'ai acheté cette bande dessinée.

Ce livre est une fable, fable sur l'émigration, fable universelle et magnifiquement illustrée, et surtout qui ne sombre pas dans le misérabilisme mais au contraire dans l'optimisme et la joie de vivre.

C'est beau, souvent sombre et angoissant, mais résolument tourné vers l'avenir, vers l'espoir (comme le montre la dernière page).

Cette bd c'est le rêve américain sans le Crack de 29.

Hervé28 - Chartres - 55 ans - 4 septembre 2011


Universel 10 étoiles

Wow ! Cette lecture a été pour moi une expérience bouleversante ! C’est une bande dessinée pas ordinaire, qui confondrait tous les sceptiques de ce médium.

Un homme quitte son pays et sa famille pour un endroit tout à fait nouveau qu’il espère moins hostile.

Onirique, métaphorique et réaliste à la fois, on sent du vrai dans les émotions tout en trouvant époustouflant le monde merveilleux dans lequel on nous emporte. C’est une oeuvre graphique silencieuse, complexe, avec un coup de crayon efficace, remarquable. Ce livre mérite largement tous les éloges qu’on lui fait ! J’ai vraiment passé par toute la gamme des émotions.

Nance - - - ans - 10 février 2010


Silenzio 10 étoiles

Serait-il malvenu, sur un site littéraire, de se rallier à l’adage selon lequel « a picture’s worth a thousand words » ? Quelle que soit la réticence, impossible de ne pas y penser après contemplation de cette merveilleuse bande dessinée qu’on qualifierait de muette si elle ne nous parlait pas si bien. Les seuls mots qu’elle comprend sont dans son titre – qui, une fois n’est pas coutume, surpasse largement en poésie et en signification la version originale, ça mérite d’être noté – si bien qu’une fois la couverture tournée, il ne nous reste plus qu’à contempler pendant de longues heures les cases à travers lesquelles nous est contée l’histoire à laquelle ce petit bijou est consacré. Qu’on ne s’y trompe pas, l’expérience durera bien plus longtemps que la lecture d’une BD classique : c’est qu’on est cette fois devant un véritable chef-d’œuvre qu’il faut traiter avec la déférence qui lui est due.
Le livre s’ouvre sur une galerie de portraits – des photos d’identité arrachées à un passeport pas encore électronique ? –, des hommes et des femmes, jeunes et vieux, dont les traits traduisent des origines d’Europe de l’Ouest, du Caucase, du Moyen-Orient, d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique. Parfois, on peut presque identifier le pays d’origine, imaginer l’histoire de ce visage déterminé, triste ou plein d’espoir : ici, un Afghan qui fuit la persécution, là, un Egyptien ; ailleurs, un Russe s’arrache à la révolution, une Bosniaque à la guerre, un Cambodgien à la folie, un Juif au génocide ou encore un Espagnol, là, avec ses moustaches daliesque, au fascisme.
Celui qui nous accompagnera dans les pages suivantes vient d’un pays inconnu, n’importe lequel, ce qui compte, c’est simplement que de sombres tentacules épineuses nous font comprendre que son village est en proie à un malheur – guerre ou pauvreté – poussant ce père de famille à boucler sa valise sur laquelle ses mains effleurent celles de sa femme. Tout le propos du livre se trouve ainsi résumé dans cette petite case, c’est l’histoire de ces hommes qui quittent tout dans l’espoir de trouver mieux dans un ailleurs qui leur est inconnu mais dans lequel ils placent tout leur espoir.
Cet ailleurs, comme se doit de l’être tout espoir, est ici à forte connotation onirique, certaines figures rappellent même un peu le design japonais, tel cet étrange animal qui accompagne notre héros anonyme sur la couverture et tout au long de son aventure dans son nouveau chez lui. Une compagnie certainement agréable car les premiers temps ne sont pas faciles : après un examen sûrement inspiré par Ellis Island, le tristement célèbre port d’entrée des premiers immigrants aux Etats-Unis, notre homme est désemparé devant une ville, un langage, un mode de vie qu’il ne connaît pas. Heureusement, il pourra compter sur la solidarité d’autres migrants qui, comme lui, ont leur histoire, ce passé qui les a poussé eux aussi à tenter l’aventure et qui, maintenant, continue de forger leur présent. Belle image, le livre s’ouvre et se ferme sur les mêmes images : une cocotte en papier, un dessin d’enfant, une théière et une tasse, une horloge ; elles ont juste un peu changé : beau symbole d’acculturation, chaque culture, loin de se renier, emprunte et apporte à l’autre. Une image qui fait du bien dans ces temps de faux débat sur l’identité nationale et qui montre qu’elle n’est pas figée, cette identité, qu’elle évolue au fil des vagues de migration, chacun adoptant ce qui existe et y apportant sa contribution personnelle. L’identité nationale, ce n’est pas un cadre rigide dans lequel chacun doit se fondre et devenir anonyme ; c’est une forme souple qui se meut et s’étend, somme et reflet des identités individuelles qui la composent, et plus elles sont diverses, plus elle y gagne. Qu’est-ce qui peut mieux l’illustrer que ces objets qui conservent leur ancienne identité tout en empruntant à celle du pays où elles seront désormais utilisées ?
On l’aura compris, le message de ce livre est beau et fort ; universel comme son langage. Mais là n’est pas la seule beauté de l’ouvrage et cette ode à la migration est servie par une réalisation splendide. Le dessin est magnifique, tout en finesse et en expressivité, et certaines des planches illustrant ce monde onirique mériteraient d’être encadrées. A vrai dire, on a parfois l’impression de tourner les pages d’un livre d’art, mais ce serait nier la puissance évocatrice de ces images qui servent parfaitement la trame narrative de l’ouvrage. Cette réalisation impeccable fait en effet partie d’un tout et quelles que soient ses qualités intrinsèques, elle s’inscrit au service du message véhiculé par le livre. Un objet d’art au message fort, une merveille !

Stavroguine - Paris - 40 ans - 17 décembre 2009


Immigré, pas par choix. 9 étoiles

L'histoire du héros de cette bd est une histoire contemporaine universelle. L'histoire d'un homme qui doit quitter ceux qu'il aime. Pour gagner sa vie. Parce qu'il n'a pas le choix. Il va devoir découvrir un nouveau pays, chercher un logement, rencontrer des hommes... se refaire une vie, avant de pouvoir faire venir sa famille.

Une histoire qui, par les temps qui courent (...) fait sentir combien pour ceux qui n'ont pas le choix, l'immigration n'est pas une partie de plaisir. On ne choisit pas l'exil, tel que le décrit Shaun Tan, avec la gaieté au cœur.

Une histoire forte et douce. Originale dans sa forme. Qui fait aussi appel à l'irréel à travers des animaux de compagnie et une architecture sortie tout droit de l'imaginaire du créateur.

Garance62 - - 62 ans - 9 avril 2009


La BD sans bulles : superbe album très "graphique". 10 étoiles

La BD sans bulles.
Avec Là où vont nos pères de Shaun Tan (The Arrival en VO), voilà bien une bande dessinée qui sort de l'ordinaire puisque les cases sont ... muettes.
Une BD sans texte où seul le dessin parle de lui-même et se montre suffisamment expressif pour raconter quand même une (belle) histoire.
Une idée originale mais aussi réussie, puisqu'ici "BD sans bulles" ne signifie pas "BD plate".
On déambule avec plaisir dans le montage des images sépias (alternant zooms, gros plans et vues d'ensemble), genre photos à l'ancienne, d'où se dégage un parfum étrange et un peu nostalgique qui rappelle les films expressionnistes du début du siècle (films ... muets, eux aussi !).
L'agencement des cases sans bulles de cet album fait d'ailleurs penser à un montage de cinéma.
Shaun Tan est australien et son album raconte une histoire d'émigrant parti "là-bas" ("là-bas, là où vont nos pères", et pour une fois le titre en VF vaut largement la VO).
Parti "là-bas" pour travailler bien sûr et nourrir sa famille restée au pays, quitter une terre inhospitalière et gagner un eldorado.
On ne sait ni où ni quand situer cet universel "là-bas", même si les premières planches font assurément référence à Ellis Island où débarquaient les émigrants candidats au statut d'américain (et dont la visite aujourd'hui dégage toujours une forte émotion, visite qu'on vous recommande lors d'un passage à NY !).
La suite nous plonge dans un monde un peu fantastique peuplé de fruits et d'animaux étranges.
Le héros y est confronté à une langue et des signes inconnus. Et comme lui, l'absence de dialogues et la présence de signes cabalistiques nous rend nécessairement attentif aux expressions, aux visages et aux gestes.
Un monde plein de poésie et une BD très "graphique".

BMR & MAM - Paris - 64 ans - 14 août 2007