Waltenberg de Hédi Kaddour

Waltenberg de Hédi Kaddour

Catégorie(s) : Littérature => Romans historiques

Critiqué par Jean Meurtrier, le 10 août 2007 (Tilff, Inscrit le 19 janvier 2005, 49 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (3 748ème position).
Visites : 5 538  (depuis Novembre 2007)

Pour le siècle des siècles

Avec Waltenberg, Hédi Kaddour nous offre un magistral survol des 80 années centrales du 20ème siècle, d’un point de vue tantôt politique, tantôt philosophique et littéraire. Sa fiction mêle une multitude d’intervenants, d’où ressortent une poignée de personnages passionnés et passionnants. Citons d’abord Max Goffard, poilu puis journaliste, grande gueule aux grandes oreilles. Il a tout vu, tout vécu et jouit d’un certain talent pour le narrer. L’assurance en moins, Hans Kappler est également doué pour raconter. Cet ancien ingénieur naval allemand s’est reconverti dans la littérature à l’issue de la guerre 14-18. Entre Max et lui se noue une grande amitié franco-allemande. Il est également question de passion amoureuse, avec Lena Hotspur, superbe et impétueuse cantatrice américaine, germanophile et spécialiste de Schubert.
A ces protagonistes engendrés peu avant le siècle s’ajoute Michael Lilstein, citoyen allemand né avec la première guerre mondiale. Le jeune Lilstein, communiste idéaliste et impulsif deviendra un agent dans les services secrets est-allemands, s’accommodant vaille que vaille des méthodes soviétiques. En pleine guerre froide il s’attache les services d’une jeune taupe française influente dont l’identité ne sera révélée qu’après 750 pages. Henri de Vèze, héros de la seconde guerre mondiale promu ambassadeur de France clôt la liste.
Ces marionnettes de l’histoire se croiseront à diverses époques et en divers lieux. A travers ces destins sont abordés en vrac la grande guerre en France, la décolonisation en Afrique, la guerre froide en Allemagne de l’Est, l’insurrection de Budapest, la fin de l’Empire soviétique, le contre-espionnage à Moscou... Curieusement il n’est pas vraiment question de la seconde guerre mondiale.
Tous ces évènements s’articulent autour de l’hôtel Waldhaus, à Waltenberg, petite localité au cœur des Grisons. Inutile de chercher sur une carte. C’est en 1929, dans cet énorme chalet double que l’auteur dépose la clé de voûte de son œuvre: un grand séminaire international, une partouze à idées, ersatz de Davos mais débattant également de science et de philosophie en sus de l’économie.
Une fresque aussi ambitieuse qui réinterprète l’Histoire et met en scène d’épiques joutes intellectuelles génère inévitablement des dialogues grandiloquents, mais l’ensemble n’est pas nécessairement pompeux ni solennel. Si l’auteur place quelques grandes répliques, il les équilibre avec des situations absurdes.
La narration est quelquefois décousue, surtout au début. L’auteur bascule régulièrement d’une époque à l’autre, parfois dans la même phrase. Il lui arrive soudain d’utiliser le «je» par empathie pour le personnage au cœur de l’action. Et tout cela semble couler très naturellement. Hédi Kaddour est un poète qui a déjà roulé sa bosse, ce qui épargne à «Waltenberg» les défauts habituels propres aux premiers romans. L’écriture constituée de longues phrases rythmées de virgules est légère, romanesque et légèrement esthétisante comme une photo sépia.
Ce livre ne s’adresse pas aux lecteurs pressés. A l’instar des conversations de Lilstein, les digressions sont nombreuses et instructives. Kaddour évoque pêle-mêle Alain Fournier, McCarthy, Beria, Staline, De Gaulle, Briand... Il ose mettre en scène Malraux participant à l’analyse de son œuvre «La condition humaine» lors d’un dîner au consulat de France à Singapour, scène apparemment tirée des «Antimémoires». Mais à côté des personnages connus évoqués sous leur véritable identité, il est possible d’en repérer d’autres camouflés derrière des pseudonymes. Maynes, le nom du grand économiste invité au sommet de Waltenberg, est selon toute vraisemblance une contraction de John Maynard Keynes. Les liens patronymiques sont parfois moins évidents, comme pour cette Maisie qui rappelle furieusement Condoleezza Rice. On se demande alors, en fonction de sa culture générale, combien de clins d’œil ont été loupés et dans quelle mesure certains personnages inventés sont inspirés de célébrités du siècle passé…
Waltenberg est une œuvre ambitieuse comme on en voit trop peu dans la littérature francophone. Elle a le mérite de constituer une captivante vulgarisation historique, flatteuse pour l’auteur et pour le lecteur qui s’imagine dans le secret des dieux.

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espion, es-tu là?

10 étoiles

Critique de Jfp (La Selle en Hermoy (Loiret), Inscrit le 21 juin 2009, 76 ans) - 29 juillet 2012

1914, quelque part sur le front, au bord de la Marne, deux soldats, l'un allemand, Hans Kappler, l'autre français, Max Goffard, ignorent encore que leurs destins vont être inextricablement liés. Tous deux ont aimé, ou vont aimer, la même femme, la très belle Lena Hellström, chanteuse lyrique à l'incomparable voix d'alto. Tel est le point de départ de cette incroyable saga, aux multiples personnages, qui va nous emmener aux quatre coins d'une Europe déchirée, sur une période embrassant la quasi-totalité du siècle passé. Tous ces personnages, Max, Hans, Lena, et les plus jeunes qui vont les rejoindre plus tard, sont ou vont devenir des espions, au service des grandes puissances du moment, mais tous sont animés d'une foi commune en la paix: échanger du renseignement, c'est aussi déjouer les calculs égoïstes de tyrans fous avides de puissance et de gloire. Une vision originale de l'espionnage, aux antipodes des James Bond et autres OSS 117, beaucoup plus proche des héros fatigués d'un John Le Carré. Pourtant, Hédi Kaddour n'a pas voulu écrire un énième roman d'espionnage. La déconstruction du récit, sautant allègrement du présent au passé proche ou lointain, la multiplication des angles de vue, parfois même au milieu d'une même phrase, s'accordent bien au sujet, et à l'interrogation profonde de l'auteur sur le réel et l'imaginaire, l'identité de l'être humain, et tous les petits faits anodins qui font (ou défont) les grandes catastrophes planétaires. À sa manière, "Wallenberg" renoue avec les thèmes pacifistes chers à Thomas Mann ("La montagne magique"), et qu'il serait bon de remettre à l'honneur, en ces temps d'affrontements sanguinaires entre ethnies et entre religions. Un message humaniste d'une grande portée, une œuvre rare, qui alimentera le plaisir et la réflexion du lecteur peu pressé et amoureux des belles lettres...

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