Le goût des jeunes filles
de Dany Laferrière

critiqué par Jean Meurtrier, le 21 septembre 2007
(Tilff - 49 ans)


La note:  étoiles
Goût diffus
Comme deux de ses tantes et beaucoup de ses compatriotes, Dany est un exilé tahitien vivant à Miami. Un beau jour, il reçoit un coup de fil de Miki, la fille qui habitait en face de chez lui à Port-Au-Prince, du temps de son adolescence. Elle lui suggère d’acheter l’édition du magazine Vogue dans laquelle, selon elle, une surprise l’attend. Il y découvre en effet des photos de Pasqualine, une des bimbos qui zonaient chez Miki, prises à l’époque où il en était fou amoureux. Mais il apprend surtout que Marie-Michèle, une autre de ces filles, a publié son journal de bord, rédigé avec une maturité précoce à l’âge de dix-sept ans. Elle s’est attachée à décrire l’inégale société haïtienne de 1971, aux accents très sixties.
C’est avec l’aide de ce document que Dany récrée pour nous le film du fameux week-end de ses quinze ans où, à cause d’un incident provoqué par son ami Gégé, il a du se réfugier en face, chez Miki. Le cercle de Miki rassemble des filles d’horizons assez différents, de Marie-Michèle la petite bourgeoise rebelle à Choupette, la fille du peuple portée (davantage que les autres) sur le sexe. Cette meute d’allumeuses nonchalantes joue de son charme pour manœuvrer les tontons macoutes, membres de la milice du tyran Duvalier père. Elles arrivent de cette manière à jouir d’une liberté difficile à acquérir dans le contexte répressif et sanglant d’une telle république bananière.
Fierté mise à part, il est difficile de savoir qui manipule qui. Car ces filles capricieuses (franchement agaçantes même), sont en fin de compte considérées comme des objets sexuels. Leur libertinage constitue l’unique manière de payer les largesses qu’elles s’octroient. Rien de tout cela ne serait sans doute possible si les tontons macoutes réfléchissaient autrement qu’avec leur sexe.
En plus d’une critique sociale, ce livre constitue également un roman d’initiation. Le jeune Dany, grand admirateur du poète local Magloire Saint-Aude, vit entouré de femmes. Son père étant en exil, il est éduqué par sa mère et ses tantes. Bien involontairement, il pénètre dans l’intimité sacrée des jeunes filles d’en face. Quand il n’est pas ignoré, il se retrouve soumis en raison de sa jeunesse et de son inexpérience, victimes des obsessions sexuelles des adolescentes. Ces situations engendrent des rapports superficiels qui rappellent un peu Djian, l’intensité dramatique en moins.
Ces épisodes de vie haïtienne, entrecoupés d’extraits du journal de Marie-Michèle, dépeignent avec succès l’atmosphère de cette ancienne colonie française. Le style léger de Laferrière se boit comme du petit lait, mais les pages défilent sans grande passion. Au bout du compte, c’est un ouvrage qui ne suscite qu’un intérêt modéré.
Un véritable enchantement haïtien 8 étoiles

Je m'étais promis de ne jamais lire Dany Laferrière tellement sa personnalité m'exaspère et m'irrite. Bon, je lui ai laissé une chance avec ce livre et j'ai été agréablement surprise. C'est curieux, je m'imaginais découvrir une écriture prétentieuse et d'un intellectualisme exacerbé alors que c'est tout le contraire que ce livre nous offre.

Je n'ai pas résisté à l'humour, la simplicité, la chaleur et surtout aux odeurs et couleurs qui font de ce livre un véritable enchantement haïtien ! L'auteur nous raconte un épisode de son adolescence fort mouvementée en compagnie de son ami Gégé et de cinq filles délurées qui ne pensent qu'aux hommes et aux plaisirs que l'argent apporte à celles qui savent user de leurs corps et de leurs charmes afin de faire cracher les mecs et les tenir sous l'emprise de leur sexe bouillant. C'est aussi une excellente analyse sociologique décrivant le gouffre immense qui existe entre les différentes classe sociales de l'île. Les bien-nantis de Pétionville vivent dans leur monde de privilégiés et laissent crever le peuple sans remords ni conscience, enfin pour la plupart. Il y a Marie-Michèle, une jeune fille dont la mère est issue de ce cercle de riches femmes oisives, qui écrit son journal et nous livre ses pensées et réflexions sur le monde et les gens qui l'entourent. L'auteur alterne donc entre la narration de "Vieux-Os" et celle de Marie-Michelle.

C'est une écriture savoureuse et fort vivante. L'action ne manque pas avec les filles qui se crêpent souvent le chignon pour des mecs dont elles se montrent fort possessives tout en les dénigrant et se moquant d'eux ouvertement et sans vergogne. Elles sont odieuses mais attachantes au possible. Elle se débattent pour survivre dans un monde de machos qui ne pensent qu'à se les envoyer dès qu'elle ont l'âge et les charmes assez développés pour attirer la convoitise des mâles à la langue pendante et au sexe infatigable.

L'image de la femme haïtienne est cependant assez négative puisqu'on ne rencontre que des adolescentes vivant follement leur jeunesse et des femmes de la classe supérieure qui ne pensent qu'aux salons de beauté et à leurs amants. Mais il y a Marie-Michèle...

Intéressant de constater les difficultés de la population sous le régime dictatorial de François Duvalier et la terreur que leur inspiraient les tontons macoute. Un excellent livre qui me réconcilie quelque peu avec cet auteur.

Dirlandaise - Québec - 69 ans - 14 février 2010